CHAPITRE 05
La façade du manoir était en elle même impressionnante mais l'armée de serviteurs qui vaquaient à leurs affaires dans les jardins l'était encore plus. Derrière les grandes grilles de fer noir, la jeune fille avait découvert des grands jardins bien rangés. Au loin, à droite, elle voyait l'entrée d'un labyrinthe végétal et sur la gauche, elle pouvait distinguer une partie 'salon de jardin' qui contenait une sorte de terrasse, des tables et un grand kiosque. Et face à elle, d'immenses carrés de fleurs, rangés par couleur, bien qu'elle ne put comprendre l'ordre de rangement des plans de végétaux.
La grande double porte, probablement fermée en dehors des occasions exceptionnelles, devait faire plus de trois mètres de haut et deux mètres de large. Recouverte de dorures, elle portait, sur les deux battants, une gravure de licorne, cabrée et debout sur ses deux pattes arrière.
Ne sachant pas si elle devait aller dans une certaine direction seule ou rester immobile, elle décida de rejoindre Clair, qui parlait avec un homme, bien trop habillé pour être un serviteur.
Il portait une chemise blanche serrée, un pantalon carmin et une immense cape aux épaulettes impressionnantes. Ses cheveux semblaient n'avoir jamais connu le soin d'une brosse et son sourire évoquait avec précision un cauchemar dont on ne se remettra jamais. En la remarquant, il fit une révérence ridicule et gracieuse à la foi qui fit tomber son diadème par terre. Il ne prit pas la peine de le ramasser.
"Eugène de la famille Gwi, enchanté de vous rencontrer !"
Elle lui fit une révérence parfaitement exécutée à son tour et Clair exhala un grognement qui devait être de l'exaspération.
"Je suis moi-même e-e-enchantée."
Clair fit un geste qui devait les encourager à abandonner toute politesse superflue et il décida de se mêler à la conversation, probablement pour en garder le contrôle.
"Eugène est paysagiste, bijoutier, tailleur, imprimeur et tout plein d'autres trucs. C'est mon ami donc tu le verras souvent ici. Ne lui adresse pas la parole, sauf s'il te le demande. Tu l'ennuierais probablement. "
Le dénommé Eugène rit à gorge déployée et Clair leva les yeux au ciel. En se tournant vers son ami, il lui donna la même explication qu'à Yvan von Dast et mentionna une nouvelle fois le Gobelin Rouge. 4407 brûlait d'envie de savoir ce qu'était cet établissement et quel rapport il avait avec le peuple disparu des Gobelins mais elle estima que Clair la détestait bien assez comme ça.
Le paysagiste se mit à tourner autour d'elle avec une curiosité tout à fait gênante. Son regard inquisiteur semblait être en train de la juger. Et s'il disait une phrase qui bouleverserait le cours de son existence ? Il était apparemment un ami proche de son nouveau frère après tout. Il devait avoir un pouvoir sur ce qui se passait dans cette ... très grande maison. Et peut-être en était-elle au point de sa vie où tout basculait vers l'horreur.
Il finit son tour et elle attendit son jugement avec crainte et impatience mêlées. Quand il ouvrit la bouche, elle baissa le regard.
"Meh."
Un soupir de soulagement lui échappa et elle ne s'en rendit compte que trop tard. Clair avait déjà émit un grognement de dégoût. Elle commençait à penser que c'était une constante chez lui.
Ils quittèrent bientôt Eugène Gwi et son accoutrement étrange pour se diriger vers la porte du Manoir. Mais pas celle à laquelle 4407 s'attendait. Comme elle en avait eu l'idée plus tôt, la grande porte en marbre de la façade ne devait s'ouvrir que pour des occasion spéciales. Et 4407 n'était pas vraiment une occasion, encore moins spéciale.
Ils suivirent un chemin de pavés gris pour arriver à une porte, certes charmante, mais pas aussi énorme que celle de la façade. Clair actionna la poignée sans qu'elle ne l'ait vu faire jouer une clef dans la serrure dorée et elle put voir ce qui se cachait derrière cette grande façade blanche et lisse.
Si l'extérieur du Manoir des Condé était parfaitement impressionnant, l'intérieur ne décevait certainement pas ses attentes. La porte débouchait dans le hall et 4407 faillit s'évanouir tant tout ce qu'elle voyait était beau. Un énorme escalier l'attendait, ses grandes marches recouvertes de velours blanc. L'escalier se divisait en trois grandes branches qui devaient donner sur les ailes Est, Ouest et Nord et chacune de ces branches semblait pouvoir accueillir quatre personnes, de front.
Dans le hall, toujours, 4407 nota quatre grandes portes et deux plus petites qui menaient probablement aux cuisines, aux quartiers des serviteurs et ce genre de choses.
Clair ne lui laissa pas plus de temps pour être émerveillée et la poussa rudement en avant. Sans dire un mot, il commença à monter les escaliers qui menaient à droite du hall et elle le suivit, portant toujours sa valise. Elle se fit la réflexion qu'un gentleman digne de ce nom aurait prit sa valise mais elle n'était pas encore une Dame. Elle n'était qu'en période d'essai. Et elle ne savait même pas si elle pourrait y survivre. Mince, qui étaient donc ces Condé ?! Ils semblaient tellement riche qu'elle s'attendait à voir Clair vomir de l'or en fusion d'un moment à l'autre.
Ils traversèrent bientôt un grand couloir et 4407 remarqua de nombreux portraits accrochés au mur, probablement ceux des chefs de la famille Condé. Quand elle commença à lire les plaques sous les tableaux, elle manqua de défaillir. 'Duc William Condé ' , 'Duc Tristan Condé' disaient-ils. Duc. Si elles se souvenait bien de ses cours théoriques sur la noblesse, Duc était le titre le plus important après celui de Prince. Cette famille devait être très vieille et très puissante ... elle qui était heureuse d'aller chez des bourgeois...
Tous les portraits étaient recouverts d'un voile en soie noire assez transparente pour qu'on distingue encore les coups de pinceaux de l'artiste. Tous à l'exception de quatre. Le premier était celui du 'Duc Rozen Condé'. Ses longs cheveux blonds semblaient flotter autour de lui et il était habillé d'une tenue de blanc immaculé. La peau de loup, posée négligemment sur son épaule gauche, lui donnait un air terrifiant, mais pas plus que ses yeux de faucon, ses joues creusées et ses mains, griffues et si maigres que sa peau épousait la forme de ses os.
La tableau suivant était celui d'une femme. ' Dame Venus Condé'. Tout au contraire du Duc, elle était toute en rondeur et en sourire. Sa robe marron serrée et son ombrelle assortie lui donnait sans doute l'air plus en chair qu'elle ne l'était réellement. Ses traits aimables et ses yeux verts donnaient envie de lui faire confiance.
4407 se décala pour mieux voir le troisième tableau, celui du 'Duc Taesch Condé'. Il avait une ressemblance frappante avec Venus. Ils avaient le même sourire, les mêmes yeux verts et la même tenue, si cela n'était qu'elle était adaptée à sa masculinité. Mais si Dame Condé avait l'air d'avoir une vingtaine d'année bien passée, le Duc semblait n'en avoir que seize.
Enfin, le dernier tableau était celui de Clair. Il posait devant un énorme ours empaillé et se tenait fièrement, poitrail en avant. Il ressemblait parfaitement au Clair qu'elle avait rencontré en ce jour, à part bien sûr sa tenue. Et le fait qu'il avait l'air plus petit sur la peinture.
La voix du sujet de ce dernier tableau la fit sursauter. Elle était tellement prise dans son admiration qu'elle en avait oublié de faire attention à la distance qui la séparait du vampire au comportement d'ursidé.
"Je suis le fils de Dame Vénus. Elle s'est enfuie pour vivre un mariage de passion avec un homme humain et elle m'a laissé au bon soin de Rozen et Taesch. Mais Rozen est fatigué de s'occuper du Duché, fatigué de s'occuper de nous. Il a cédé le titre à son frère et c'est pour ça que tu es là. Parce que les Condé ont besoin d'un héritier digne de ce nom ... et je ne suis pas qualifié. Puisque je ne suis qu'un bâtard."