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5

                    

La fin de sa phrase résonne entre les murs froids de cette chambre sans âme sans que je ne les comprenne. Ils tourbillonnent sournoisement autour de moi, bourdonnant dans mes oreilles et taquinant tous mes sens affolés. 

-Quand... tu es entrée dans la famille, tu venais tout juste de souffler ta première bougie. 

-Quoi ? Mais qu'est-ce que ça veut dire ? je murmure d'une petite voix frêle. 

Ma tante essaie désespérément de me faire comprendre avec ses yeux désolés ce que mon esprit refuse d'intégrer, en vain. Les mots ne sont plus qu'un enchaînement de voyelles, de consonnes et de syllabes. Ils n'ont plus de sens. Plus rien n'a de sens. 

-Ton père a rencontré ta mère alors que tu n'étais qu'un petit bébé. Ils se sont fréquentés un moment puis ils ont décidé d'officialiser les choses et de se marier. Mon frète t'a adoptée par la même occasion. 

L'air devient tout à coup irrespirable, remplissant mes poumons d'un poison qui me consume aussi lentement que violemment. Chacune de mes cellules explose et rapidement, il ne reste plus rien de moi à part un amas de débris gisant piteusement au sol et dont les morceaux ne pourront plus jamais être assemblés entre eux. Je me sens tout à coup étouffer, mon cerveau totalement disjoncté n'intimant plus l'ordre à mes organes de continuer à me maintenir en vie. A quoi bon ? Toute ma vie n'est qu'une immense supercherie, un ridicule château de cartes bâti sur des fondations mensongères. 

-Candice ? Tu m'entends ? 

Mon regard se pose machinalement sur ma tante qui s'est levée et se tient maintenant à quelques centimètres de moi, un pli d'inquiétude lui barrant le front. Elle me secoue un peu puis finit par me taper le dos. C'est alors que j'entrouvre la bouche pour attraper une bouffée d'air, celle-là même que j'avais bloquée quand j'ai entendu la sentence s'abattre sur moi. Progressivement, ma respiration anarchique parvient à alimenter mes poumons de quelques bribes salvatrices d'oxygène et le reste de la journée tourbillonne autour de moi. Je me rappelle à peine de la suite de notre conversation, l'étreinte de ma tante, ses excuses et son départ. Je ne suis même pas sûre que des infirmières soient passées me voir. Si c'est le cas, je crois que mon esprit n'était définitivement plus là. Je n'entends pas les sonneries intempestives de mon téléphone. Je ne vois pas la nuit arriver, ni la lune briller, ni le soleil la remplacer dans le beau ciel bleu qui nous accueille maintenant. Je ne vois rien d'autre que tous les souvenirs qui bombardent violemment mon cerveau, me faisant replonger dans mon enfance désormais saccagée par la vérité. 

Tout ce en quoi je croyais est faux. Les bases de ma vie n'existent plus. Si je n'ai jamais su où j'allais, je ne sais désormais plus d'où je viens. L'homme qui m'a élevée est un étranger. Je ne suis pas le fruit d'un amour auquel je croyais, je ne suis que le fruit abandonné, tombé au pied de l'arbre parce que personne ne s'en souciait et qui a été récupéré par n'importe qui par simple pitié. Ma mère ne m'a jamais donné aucune valeur et mon soi-disant père a essayé, mais n'a pas réussi. Preuve que je ne dois vraiment pas valoir grand-chose. 

Quand l'infirmière m'informe que je peux enfin rentrer chez moi, je ne sors pas de mon mutisme. Tel un automate, je fais ce qu'on me dit. On me demande de rassembler mes affaires et de libérer la chambre. On m'ordonne de rester chez moi pour le reste de la semaine afin de reprendre des forces. On me conseille de garder les coordonnées de la psy. On me conduit jusqu'à l'ascenseur et on appuie sur le bouton « rez-de-chaussée ». Et moi, je rassemble toutes mes forces pour continuer à respirer. J'inspire et j'expire. Et je recommence. C'est la seule chose que j'arrive à contrôler pour le moment. Je me sens perdue et vide. Lorsque les portes s'ouvrent, un vacarme tonitruant fait éclater la bulle dans laquelle je me suis réfugiée, m'obligeant presque à reculer d'un pas tant le monde extérieur m'agresse. La lumière est criarde, les bruits persécutants et la vérité est partout. Elle transpire à travers les murs de ce bâtiment, elle ondoie au-dessus de ma tête, elle s'infiltre dans l'air et me percute inlassablement de plein fouet. Je ne sais plus comment m'en défaire. 

Mon esprit se reconnecte à la seconde où j'entends la voix d'Ethan résonner dans le hall immense de l'hôpital. Il beugle comme un fou et envoie valser le contenu d'une petite table basse d'un geste rageur. Quand je comprends ce qu'il réclame, mon cœur trébuche. 

-Putain, mais laissez-moi la voir, merde ! 

A côté d'un vigile, une jeune femme en blouse blanche essaie pour la énième fois de lui rappeler l'heure des visites mais il grogne de plus belle. Hypnotisée par l'homme hors de lui qui tente désespérément de me rejoindre, j'avance à petits pas. Au moment où ma main entre en contact avec sa peau chaude et halée, tout son corps se fige et se détend. Ethan tourne brusquement la tête pour s'assurer qu'il ne rêve pas et lorsque son regard transperce le mien, je crois déceler une éruption d'émotions prêtes à tout engloutir sur leur passage. Je n'ai pas le temps de m'attarder sur l'affolement, les tourments, l'amour ou le soulagement que je découvre qu'il a déjà capturé mes lèvres sèches de sa bouche capricieuse. Ses bras m'enserrent maintenant si fort qu'ils tiennent mes démons à l'écart l'espace de quelques précieuses secondes. Enveloppée contre la raideur de son corps, je me sens coupée du monde. Je retrouve enfin cette sensation que lui seul peut me procurer, quand il parvient d'un seul regard à me faire oublier tout ce qui m'entoure. Je ferme les paupières, dépose ma tête contre ses muscles bandés et le laisse m'emmener loin d'ici. 

Quand nous arrivons à mon appartement, Ethan brise le silence qui s'est installé dès que nous avons pris la route. Il m'explique m'avoir harcelée d'appels et de messages hier soir sans jamais parvenir à me joindre. Il me raconte ensuite être arrivé à l'aube à l'hôpital pour me voir sans réussir à avoir accès à ma chambre. Enfin, il prend délicatement mon visage entre ses mains tremblantes et me prie de lui raconter ce que ma tante m'a révélé, ses iris soutenant les miens avec une telle férocité que je ne me noie pas lorsque les mots dépassent la barrière de mes lèvres. 

Comprenant rapidement que cette révélation me désagrège, mon homme m'installe au creux de ses bras et reste avec moi toute la journée. Nous parlons de temps en temps, je pleure quelques fois mais souvent, il nous suffit d'un simple regard pour nous comprendre. Nous réapprivoiser. Nous accepter tels que nous sommes. Et nous aimer en silence. Le temps s'enfuit à un rythme effréné. Chaque minute passée avec lui me remémore les raisons pour lesquelles je me suis lancée dans cette aventure. Je tiens les doutes et la vérité éloignés et ces quelques instants de répit me permettent de tenir encore debout. Mais quand Ethan m'annonce en fin de journée qu'il doit s'absenter plusieurs jours, j'ai subitement l'impression que quelqu'un vient de me jeter à l'eau et me maintient continuellement la tête ensevelie. Le mince espoir qui a réapparu aujourd'hui se craquelle jusqu'à disparaître à tout jamais, me laissant abattue et sans repère.

-Je... Je me casse quelques jours, je règle les dernières merdes et ensuite, on sera libres Candice. Tout ira bien, je te le promets.

            

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