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4

              

                    

Serein, Maxime se retourne et fait face à mon compagnon. Le contraste entre les deux hommes est saisissant. Mon ami est aussi calme et détendu que mon homme est nerveux et irrité. Je distingue le visage tendu et le regard contrarié d'Ethan qui attaque celui de Maxime, toujours aussi paisible et inébranlable. Cassiopée les rejoint, détaille sans retenue Ethan et pose rapidement sur moi un regard mêlant surprise et reproche. Je me renfrogne, prête à l'invectiver lorsqu'elle se permet de prendre les devants. 

-Salut, t'es le soi-disant mec de Candice, c'est ça ? 

-Et toi, t'es sa soi-disant copine, c'est ça ? 

En lui répondant, Ethan s'est détourné de Maxime pour dominer Cass de toute sa hauteur. Sa carrure musclée pourrait la dévorer en un clignement de paupière mais elle ne s'en formalise pas. Au contraire, elle bombe le torse et redresse le menton pour le défier. 

-Cass... 

Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que Maxime me coupe la parole. 

-Salut, moi c'est Maxime. Je suppose que tu es Ethan ? 

Mon ami tend le bras en direction de mon homme qui le regarde, médusé. L'angoisse profonde qui opprimait ma poitrine se dissipe à l'instant où Ethan accepte sa poignée de main. En se retournant vers moi, Maxime me lance avec son habituel sourire : 

-On passera te voir quand tu te sentiras mieux Candice. 

Je hoche la tête et les salue brièvement avant que mon ami et sa fiancée quittent ma chambre. Ethan se penche alors sur moi pour m'arracher un baiser dans lequel je perçois toute son inquiétude. Par réflexe, je plonge mes mains dans ses mèches brunes et je laisse sa langue prendre tout ce dont elle a besoin. Quand il paraît enfin rassasié, Ethan se redresse et me fait signe de me décaler. Il s'allonge sur mon lit, ouvre les bras et m'invite à me blottir contre son torse. J'hésite une seconde et il ne m'en faut pas plus pour voir le choc se dessiner dans les yeux d'Ethan, comme les flammes d'un feu interdit danseraient perfidement entre nous pour nous narguer. 

-Candice ? Tu... tu ne veux plus que je te prenne dans mes bras ? 

Sa voix brisée me rappelle immédiatement le petit garçon blessé qu'il a sans doute été, malmené entre la violence et le manque d'amour. Je ne peux alors pas tergiverser plus longtemps et je m'installe contre son flanc, la chaleur de son corps réchauffant déjà le mien engourdi par l'austérité de ce lieu. Sans tarder, son bras m'enlace fermement et sa paume se pose dans le creux de mes reins pour diffuser cet amour auquel je n'arrive plus à croire. Quand ses lèvres s'ancrent aux miennes, son baiser se fait possessif et je réalise que si de mon côté je doute de ses intentions, lui aussi comprend que la situation est en train de nous échapper. Ses bras se referment fermement contre mon corps et je tente de profiter le plus possible de cet instant hors du temps, de cette douceur et de ce tout qu'il m'offre sans réfléchir. Ma main droite se pose sur le tissu soyeux de sa chemise sous lequel je sens son cœur battre à tout rompre. Mes doigts se mettent à dessiner les contours de son tatouage dont je me rappelle chaque trait, chaque volute, chaque symbole. J'entends Ethan haleter au creux de mon oreille et ses doigts s'enfoncent dans ma peau, tentant ainsi de me marquer à tout jamais. 

-Tu me manques. 

Mon tout petit murmure le foudroie sur place. Ethan ne bouge plus et je crois même que son organe vital a oublié d'enchainer quelques battements. Puis brusquement, il m'écrase encore plus fortement contre son torse, m'empêchant pratiquement de remplir mes poumons d'oxygène. 

-Je te jure que je suis là Candice, je suis là. 

-Non, c'est... c'est pas vrai. Tu... es là... quelques fois, pas tout le temps et tu... tu pars à chaque fois. Je ne sais jamais où ni pourquoi et je me retrouve seule... à chaque fois. 

            

              

                    

Ses mains se crispent contre mon corps encore faible et je perçois l'inquiétude déformer les traits tirés de son si beau visage. 

-Même quand je suis loin de toi, je suis avec toi. Il n'y a que toi Candice, que toi. 

-C'est trop facile de dire ça Ethan, je n'y arrive plus moi ! je parviens à bafouiller en refoulant difficilement quelques larmes. 

Il resserre à nouveau son étreinte et le désespoir qui l'habite me détruit encore un peu plus. 

-S'il te plait gorgeous, donne-moi encore un tout petit peu de temps. Juste un tout petit peu de temps. Et après, on sera libre. 

-Mais qu'est-ce qui te retient comme ça ? je crie tout en le repoussant. 

Les bras musclés d'Ethan m'empêchent de m'éloigner de son torse mais qu'importe, aujourd'hui c'est mon cœur qui se détache progressivement du sien pour flotter quelque part autour de nous, là où il aura tout le loisir de couler et de s'effondrer au fond de l'abîme brumeux qui nous attend. 

-Fais-moi confiance Candice, s'il te plait. 

Sa voix se fait maintenant suppliante, brisée, presque larmoyante. Ses yeux me sondent en profondeur, cherchant dans les tréfonds de mon âme cette confiance et cette dévotion auquel lui seul a eu droit mais elles se retirent doucement, comme lorsque la mer s'éloigne de la berge et profite de la marée pour s'isoler et fuir le trouble environnant. Ethan jette un œil contrarié à sa montre et m'informe qu'il va bientôt devoir retourner au bureau. 

-Est-ce que... t'as vu la psy ce matin ? me demande-t-il d'une voix pleine d'espoir. 

-Laisse tomber Ethan. Arrête ça. 

Sa déception est palpable mais il ne dit rien. Chaque seconde qui passe nous éloigne un peu plus l'un de l'autre mais aucun de nous ne semble savoir comment enrayer ce rouleau compresseur bien décidé à réduire en poussière le bonheur éphémère que nous avons réussi à toucher du bout des doigts.

-Tu... tu as réfléchi à ce que je t'ai dit concernant tes parents ? 

Je souffle, le cœur serré. 

-Oui... je... je crois que je vais appeler ma tante. Elle pourra peut-être m'aider. 

-C'est génial ça Candice. Tu veux que je sois là quand tu l'appelleras ?

-Non. 

Ma réponse catégorique le blesse autant que si je lui avais planté un couteau aiguisé dans le cœur et que je le remuais sans relâche. 

-Non, je... il faut que je le fasse seule. 

Ethan hoche silencieusement la tête avant de déposer un très léger baiser sur ma tempe puis il se lève et se dirige vers ma porte. 

-Ne me laisse pas tomber Candice, s'il te plait. J'ai besoin que tu t'accroches à nous. 

Puis il disparaît. Et le silence angoissant qui se répand maintenant autour de moi me laisse croire une seconde que cela ne cessera jamais. Il me suppliera toujours de rester avec lui puis il disparaitra, encore et toujours. 

Dans l'après-midi, je réussis à me reprendre et je réclame une collation pour prouver au médecin que je vais mieux. L'immonde goûter qui m'est servi m'oblige à fermer les yeux et à mâchouiller sans réfléchir mais je parviens à déglutir quelques petites bouchées. L'infirmière me lance un regard entendu lorsqu'elle débarrasse mon plateau. Fébrile, je compose le numéro de ma tante et demande à la voir. Elle me propose de passer en fin d'après-midi et cette simple phrase transforme toutes les minutes qui m'attendent en une torture interminable. 

            

              

                    

Le médecin que j'ai vu hier me rend ensuite visite. Il m'informe que je pourrai sortir demain et rien n'aurait pu me faire plus plaisir. Je n'en peux plus de cette chambre, de cette odeur âcre de désinfectant et de cette ambiance pesante. Je ne me sens pas du tout à ma place dans cet établissement réservé aux malades. Avant de partir, il prend tout de même quelques instants pour me mettre en garde contre mon comportement et me conseille avec insistance de consulter un professionnel qui pourra m'aider à sortir de cette spirale infernale. Je hoche la tête silencieusement mais ne trouve rien à lui répondre. Plus j'y pense, plus je comprends l'inquiétude de mes proches. Je ne suis pas bête, j'ai bien conscience que mes forces s'amenuisent et que mes nouvelles habitudes ne sont pas saines. Je n'ai jamais été aussi maigre et fatiguée de toute ma vie. Mais je ne suis pas encore prête à faire face à la réalité. 

L'arrivée de ma tante interrompt mes pensées. Comme toujours, elle rayonne avec ses longs cheveux bruns naturellement lisses et soyeux. Ses yeux d'habitude si pétillants me semblent aujourd'hui altérés par une houle grise causée par l'inquiétude quand elle m'observe en détails. Malgré cela, son sourire chaleureux me fait plus de bien qu'elle ne pourra jamais l'imaginer. 

-Tu te sens mieux aujourd'hui ? me demande-t-elle en m'embrassant. 

Je lui ai expliqué brièvement au téléphone que j'avais été victime d'un malaise après l'anniversaire de papy et mamie mais j'ai gardé pour moi le nœud du problème. 

-Oui, heureusement. 

Étant assise sur le fauteuil, Olivia en profite pour sauter sur mon lit et retaper mes coussins affreusement inconfortables avant de s'allonger à ma place. Elle croise les bras derrière sa tête et lâche un gémissement de plaisir totalement exagéré. 

-Aaaahh, qu'est-ce qu'on est bien ! Je comprends pourquoi tu as voulu t'accorder quelques jours off !

Elle m'arrache un sourire mais la boule d'anxiété qui ronge mon estomac ne m'aide pas à me détendre. 

-Bon alors, pourquoi m'as-tu fait venir ici ? 

Les mots que j'ai inlassablement répétés dans ma tête tout l'après-midi restent coincés dans ma trachée, obstruant ainsi le trajet de l'oxygène qui peine à atteindre mes poumons. Une chape de silence tisse sa toile autour de nous, intensifiant la douleur que chacun des battements de mon cœur diffuse à chaque coup porté contre ma poitrine. J'ai peur. Peur que toute ma vie explose en une seule réponse. 

-Héééé ! Tout va bien Candice, tu sais que tu peux tout me demander ! 

Olivia se penche vers moi pour attraper ma main droite dans la sienne et la chaleur qu'elle diffuse dans ma paume m'aide doucement à prendre mes responsabilités. Mes membres tremblent, mon cœur s'affole et après de longues secondes suspendues, ma voix se met elle aussi à trembloter. 

-Je... je t'ai demandé... de... de venir parce que... j'ai... j'ai besoin de savoir s'il s'est passé quelque chose avec mes parents... quand j'étais petite.

Je ne connais pas de phrase plus difficile à prononcer que cette dernière. Ma tante baisse furtivement les yeux et j'arrête de respirer. J'ai envie de me rouler en boule sous ma couette et de dormir jusqu'à me réveiller dans une autre décennie.

-De quoi tu parles ? 

-Je ne sais pas vraiment mais...j'ai besoin de savoir pourquoi ils me traitent comme une moins que rien depuis toujours.

Soudain, l'improbable se produit. Ma tante, la seule personne en qui je porte une confiance aveugle, celle qui est un modèle de franchise et d'honnêteté quitte même à provoquer des situations embarrassantes assez souvent, celle qui ne m'a jamais menti, détourne à nouveau le regard et me ment effrontément pour la toute première fois en niant. En cet instant, je ne saurais dire comment je me sens. Trahie ? Blessée ? Lâchement abandonnée ? Oui sûrement. Mais même ces mots cruels ne sont pas assez forts pour décrire la balafre qui se dessine maintenant sur mon cœur. La pression de sa main se fait moindre et je comprends qu'elle est en train de me lâcher, dans tous les sens du terme. 

            

              

                    

-Olivia, regarde-moi. Elle lève les yeux et son regard s'accorde difficilement avec le mien. Dis-moi la vérité. 

Elle gigote imperceptiblement, mal à l'aise et fronce les sourcils. 

-Je t'ai dit la vérité. J'en sais rien.  

Je souffle, dépitée. Moi qui pensais que le plus dur serait de parvenir à ouvrir la brèche, je n'imaginais pas avoir à négocier avec la seule ancre à laquelle je me suis jamais raccrochée dans cette famille. 

-J'ai tout enduré sans jamais rien dire Olivia. Je suis restée cette fille sage et obéissante malgré les humiliations, les mots durs et la pression injustifiée qu'on me balançait à la figure. J'ai tout accepté alors que je n'avais rien fait. Mais aujourd'hui... je... je ne peux plus Olivia. Je fais n'importe quoi et je ne sais même pas pourquoi. Je n'arrive plus à manger, à dormir et à respirer correctement. Je deviens folle Olivia, j'ai quand même le droit de savoir pourquoi mes propres parents ont décidé de détruire leur fille unique, non ? 

Je termine ma tirade le souffle coupé et le regard terni de larmes suppliantes. J'ai juste besoin qu'on m'aide à sortir de cet enfer. Le regard de ma tante me transperce, comme si elle sondait mon être tout entier. Ayant sans doute réalisé que je suis arrivée au bout de ce que je peux endurer, elle libère un long soupir mêlant peur et culpabilité. Il me semble que les murs de ma chambre se rapprochent dangereusement de moi, m'étouffant dans un étau terrorisant dont seule la vérité peut maintenant venir à bout. 

-S'il te plait. 

Je la supplie en serrant sa main de toute ma détresse. Elle cligne une fois des yeux et j'ai peur. Elle cligne deux fois des yeux et j'espère. Elle cligne une troisième fois et je comprends. La vérité va bientôt me foudroyer. 

-Quand je t'ai rencontrée pour la première fois, je n'avais jamais vu une petite fille aussi belle. Tu étais douce et angélique avec tes bouclettes sauvages. Tu avais dans le regard cet éclair de frivolité que ta mère voulait déjà brimer. Tu as posé tes yeux sur ma robe bariolée de toutes les couleurs, cette même robe que ta mère déteste et puis tu as balbutié « wahou ! ». Je t'ai pris dans mes bras, tu as tout de suite attrapé une mèche de mes cheveux et tu l'as enroulée autour de ton petit doigt potelé alors que ta mère te grondait derrière nous. J'ai tout de suite su que je t'aimais déjà. 

Olivia fait une pause, serre ma main puis reprend son discours, des excuses dont je ne comprends pas le sens décorant déjà ses yeux humides. 

-J'ai jamais compris pourquoi ta mère agissait comme ça avec toi. Elle passait son temps à t'engueuler, à t'empêcher de bouger et de parler. Elle te traitait comme si tu étais une poupée qu'elle exhibait, une poupée parfaite qui ne devait pas faire un geste de travers. Mon frère à côté ne disait rien au début. Il la laissait faire et vous ignorait toutes les deux. Je crois qu'il n'était pas forcément d'accord avec le comportement de sa femme mais il n'a jamais rien fait pour arrêter tout ça. J'ai essayé de te défendre quand on se voyait mais c'était trop rare pour avoir le moindre impact. Alors je me suis contentée de te prendre avec moi lors des repas de famille et de te changer les idées. Tu te rappelles quand on partait jouer dans la forêt et qu'on revenait les chaussures pleines de boues ? On passait ensuite un temps fou à tout nettoyer avant que ta mère nous voie mais je m'en foutais parce que j'avais réussi à te faire rire tout un après-midi et pour moi, c'était le principal. 

Plus Olivia déterre nos souvenirs d'enfance, plus mon cœur me fait mal. Je ne sais pas du tout à quoi m'attendre mais je redoute comme jamais l'issue de cette conversation parce que je sais que sa voix ne tremblerait pas autant si la sentence était anodine.

-Je t'ai vue grandir, arpenter la nature avec ton appareil photo et t'enfermer de longues heures dans ta bulle de musique. Je t'ai vue devenir une jeune femme éblouissante de beauté mais brimée par ses parents. Je t'ai vue te recroqueviller sur toi-même pour ne pas faire de vague, alors que des vagues tu en fais par ta simple présence. Mais... je ne t'ai jamais vue naître. 

            

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