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8

                    

Ma mère ouvre brusquement la porte de ma chambre alors que je suis en train d'essuyer mes larmes.

-Ah ! Tu es réveillée. Prépare-toi, nous t'attendons en bas. Ton père a besoin de toi en cuisine.

Elle s'apprête à refermer la porte derrière elle quand elle se fige tout en scrutant mon visage. Ses sourcils se froncent et sa mine se renfrogne.

-Tu as une tête affreuse ! Fais-moi le plaisir de camoufler tout cela, aujourd'hui est un jour de fête et je ne veux pas que tu le gâches.

Telle une tornade, elle claque la porte derrière elle et me laisse seule, comme toujours. 

09h12, première attaque. Allez Candice, tu peux le faire. Tu as l'habitude de ce genre de journée. Blinde-toi et pars les affronter, ce cauchemar se terminera demain quand tu rentreras chez toi.

Quand je descends les escaliers pour rejoindre mon père, je suis apprêtée telle une petite fille modèle et mon maquillage parfait dissimule la douleur qui me détruit à petit feu depuis sept jours. Je plaque un discret sourire sur mon visage et souffle longuement. Je peux le faire.

Il est midi et je viens de passer plus de deux heures et demi aux côtés de mon père. Je l'ai assisté aux fourneaux afin de peaufiner sa traditionnelle recette et comme toutes les années, j'ai eu droit à son monologue moralisateur. Cette année, il a choisi de me reprocher mon célibat. Me croirez-vous si je vous dis que le trou béant qui orne ma poitrine ne fait que s'agrandir à chaque minute qui passe ? Selon lui, le fait que je sois inintéressante rebute les hommes et je devrais sérieusement songer à perfectionner mes bonnes manières afin de trouver un bon mari. Je l'ai laissé parler et j'ai essayé d'esquiver toutes ses attaques personnelles, en vain. Malgré ma détermination, chacune de ses phrases m'a atteint en plein cœur. Je me dirige vers le buffet que ma mère a préparé et je me sers un verre de vin blanc. Je pense l'avoir bien mérité, celui-ci !

-Veux-tu bien poser ce verre Candice ! Combien de fois dois-je te répéter qu'une fille de bonne famille ne boit pas d'alcool ?!

Je retiens un long soupir d'exaspération et pose gentiment mon verre quand j'entends mon prénom résonner chaleureusement dans le grand hall d'entrée de cette maison si froide et impersonnelle. Mon cœur meurtri s'apaise immédiatement à l'entente de cette voix et je cours serrer ma tante dans mes bras.

-Olivia ! Si tu savais comme je suis contente de te voir !

Ma tante est certes la sœur de mon père mais elle est avant tout son exact opposé. C'est une belle femme d'une quarantaine d'années qui respire la joie de vivre et qui a l'esprit taquin et moderne. D'aussi loin que je m'en souvienne, elle a toujours été là pour me soutenir lors de nos interminables repas de famille. Je ne la vois pas très souvent mais c'est un bonheur à chaque fois de partager quelques heures à ses côtés. Au moment où elle se détache de moi pour me regarder de la tête aux pieds avec un regard ému, mes peines s'allègent instantanément.

-Comme tu es belle ma jolie nièce ! On a du temps à rattraper, suis-moi.

Elle m'agrippe le bras et m'emmène dans le salon. Nous nous asseyons sur le canapé et elle commence à me bombarder de questions.

-Alors raconte-moi tout ! Qu'est-ce que tu deviens ? Ton travail se passe bien ? Je suppose que tu dois faire tourner la tête de tous les hommes avec un si joli visage ! Et comment va ton amie ? Tu sais, la blonde rigolote ?

Je ris de bon cœur avant de lui répondre.

-Je vais bien, mon travail se passe bien et mon amie va très bien !

Je n'ai pas la tête à lui raconter mes soucis, j'ai simplement envie de prétendre que tout va bien pour une journée au moins. Mais ma tante me connait bien et elle n'est pas dupe.

            

              

                    

-On en rediscutera un peu plus tard quand nous serons tranquilles.

Alors qu'elle m'envoie un clin d'œil complice, ma très chère mère entre en trombe dans le salon pour me sermonner de nouveau.

-Candice, enfin je te trouve ! N'as-tu donc rien d'autre à faire que de rester ici à discuter ? Ton père court dans tous les sens en cuisine et il comptait sur ton aide mais je vois avec peine que malgré les années, nous ne pouvons toujours pas compter sur toi.

Deuxième attaque. Ses mots sont toujours aussi blessants mais je refuse de le lui montrer. Alors je me lève sagement et je lui réponds calmement, malgré la tornade qui commence à comprimer tout mon être à l'intérieur de moi.

-Ne t'en fais pas maman, je vais aider papa.

En m'éloignant, je distingue la voix de ma tante reprochant son manque de gentillesse à ma mère qui l'ignore royalement. Alors que je suis les consignes quasi militaires de mon père, j'entends que ma grand-mère maternelle fait son apparition. Notre belle et douce famille est donc réunie au grand complet ! Que cette charmante journée de torture commence !

Nous nous installons tous à table et ma grand-mère récite le bénédicité. Nous l'écoutons sagement puis ma mère commence à nous servir. Les plats ont tous l'air plus appétissants les uns que les autres mais j'ai toujours l'estomac aussi noué et j'ai l'impression que je vais vomir sur la table si un de ces aliments tente de passer la barrière de mes lèvres. Je fais alors diversion en entamant une discussion légère avec Olivia qui est assise à ma droite mais cette dernière voit clair dans mon jeu. Elle se penche alors vers moi pour me chuchoter à l'oreille :

-Pourquoi ne manges-tu pas ?

-Je n'ai pas très faim, ne t'inquiètes pas.

Je tente d'être le plus convaincante possible mais le poids qui comprime mon cœur est beaucoup trop important.

-Candice, je te trouve très mince. Même trop mince. Tu es sure que tu n'as pas des soucis ? Je sais que tes parents te mènent la vie dure et que leur méchanceté te coupe l'appétit mais il est grand temps que tout cela ne cesse, tu ne crois pas ?

-Ne dis rien s'il te plait. Je n'ai pas envie d'être accusée d'avoir gâché leur Noël. J'ai l'habitude, ne t'en fais pas.

Ma tante me lance un regard désapprobateur mais elle respecte ma demande. Je remarque le regard noir de ma mère qui me reproche silencieusement de faire des messes basses à table et je lui réponds d'un doux sourire. Afin d'alléger l'atmosphère pesante qui s'est déjà invitée alors que nous n'en sommes qu'aux mises en bouche, je me tourne vers mon père pour le féliciter.

-Tout ce que tu as préparé est absolument délicieux papa.

Je ne sais pas du tout de quoi je suis en train de parler puisque je n'ai encore rien avalé mais j'espère lui faire plaisir, lui qui a passé tant de temps derrière les fourneaux.

-En tout cas, ce n'est pas grâce à toi. Cette année encore, il a fallu que je garde un œil sur tous tes gestes si je ne voulais pas que tout soit gâché ! 

Troisième attaque. J'inspire calmement afin de ne pas m'effondrer devant eux mais ma volonté est mise à rude épreuve aujourd'hui.

-Candice, nous avons longuement discuté avec ton père et nous pensons qu'il serait grand temps pour toi de prendre des cours.

Je ne comprends absolument pas de quoi ma mère est train de parler et je la dévisage comme si elle parlait chinois.

-Des cours ? Mais des cours de quoi ?

-Des cours de bonnes manières, pardi ! J'en ai déjà parlé à une de mes amies et elle est d'accord pour t'enseigner son...

-Non !

            

              

                    

J'ai crié mais c'en est trop. Mes parents me regardent avec des yeux ronds comme des billes et je devine en cet instant que je n'aurais jamais dû me laisser emporter.

-Tu vois, c'est exactement de cela que je suis en train de parler. Comment oses-tu me couper la parole et hausser ainsi le ton envers ta propre mère. Une petite mise au point ne te ferait certainement pas de mal, me lâche ma mère sur un ton sec et froid.

-Candice, je t'interdis de parler à ta mère sur ce ton ! Ne te rends-tu pas compte que nous avons sacrifié énormément de choses pour t'élever ? Tu devrais plutôt nous remercier de te porter tant d'attention au lieu de te comporter en petite fille ingrate. Tu n'as jamais su faire que ça de toute façon...

Enième attaque. Je ne sais plus si je dois rester à table et baisser la tête ou me lever en hurlant et quitter définitivement cette maison. Heureusement, j'ai à ma droite ma plus fidèle alliée.

-Non mais ça ne va pas ? Quel est ce procès que vous êtes en train de faire ? Candice n'a rien demandé et comme d'habitude vous vous acharnez sur elle ! Laissez-la un peu tranquille.      

Ma tante est une des seules personnes qui peut tenir tête à mes parents et j'ai beaucoup de chance qu'elle me comprenne. Car il faut bien avouer que je me sens très souvent seule dans ce genre de situation. Comme toujours, je serre les poings, baisse la tête et essaie d'oublier à quel point mes parents me méprisent. Mais c'était sans compter sur ma grand-mère, qui n'a jamais été très chaleureuse à mon égard.

-Est-ce que pour une fois, il serait possible de manger tranquillement notre repas de Noël sans qu'il ne soit gâché par Candice ?

Ses mots claquent dans l'air et fissurent encore plus mon cœur fragilisé par ces derniers jours de souffrance. Ne serais-je donc jamais à la hauteur de leurs attentes ? Une larme amère coule silencieusement le long de ma joue et je me force à calmer ma respiration avant de faire une crise devant ceux qui n'attendent que ça. Je rassemble alors toutes mes forces pour m'enfermer dans ma bulle et ne plus entendre leurs voix stridentes me faire des reproches. Je passe ainsi tout le repas à mâchouiller quelques bouchées trop difficiles à avaler et à m'évader en pensées. Je rêve de destinations lointaines, de soleil, de baignades et de moments suspendus. Ces élucubrations m'aident à tenir et quand je me reconnecte au monde réel, je réalise qu'il nous allons boire le café.

Rappelée à l'ordre par ma mère, je m'empresse de filer en cuisine pour faire la vaisselle et préparer les mignardises. Au moment où je regagne le salon avec la cafetière et les tasses en main, je me prends les pieds dans le sac à main d'Olivia qui traine par terre et je trébuche lamentablement devant tous ceux qui me dédaignent. Quatre paires d'yeux se posent sur moi mais seule ma tante accourt pour m'aider à me relever. Je contemple alors le désastre que je viens de provoquer : ma robe noire et rouge est recouverte de tâches de café, le service en porcelaine de ma mère est en mille morceaux à mes pieds et le sac de ma tante est imbibé de liquide brun. De nerf, je sens les larmes me monter aux yeux et j'ai toute la peine du monde à les contenir. Je me sens humiliée et par-dessus tout, je me sens de trop. Je n'ai jamais été à ma place dans cette maison mais j'ai toujours réussi à prétendre le contraire. Aujourd'hui, je n'y arrive tout simplement plus.

-Candice ! Mon service !

La voix suraigüe et stridente de ma mère résonne dans cette immense pièce dans laquelle je me sens plus étriquée que jamais.

-Tu n'es vraiment bonne à rien ! Même servir cinq tasses de café est une action trop compliquée pour toi ! Tu devrais avoir honte d'avoir abimé mon beau service.

Mon père s'approche de moi en pointant son index dans ma direction puis ses lèvres s'entrouvrent pour me déverser son venin.

-J'ai honte pour toi ma pauvre fille. Tu passes ton temps à te donner en spectacle et à nous prouver que tu ne vaux pas mieux que ce que nous pensons. Tous les ans, j'espère désespérément que tu arriveras à te reprendre en main mais malheureusement, mes prières ne sont pas entendues.

            

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