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7

Au moment où mes doigts atteignent la poignée, Ethan pose sa main sur la mienne dans un geste trahissant toute l'urgence qui l'anime. Immédiatement, je la retire et recule d'un pas. Je n'accepte pas qu'il essaie encore de me manipuler alors qu'il vient tout juste de dévoiler sa nature peu scrupuleuse.

-Ne me touche pas ! Tu viens de me prouver qui tu es réellement et je ne veux plus rien avoir à faire avec quelqu'un comme toi.

Je lui ai hurlé ces mots au visage comme s'ils pouvaient soulager mes maux mais malheureusement, ils ne font qu'empirer mon état. Je lutte pour retenir mes larmes mais ma gorge nouée me fait de plus en plus mal à chaque parole que je prononce. À l'intérieur de moi, ma chair s'est définitivement fissurée pour laisser place à un gouffre noir qui menace de m'engloutir. Depuis que j'ai découvert la vérité, pas une seconde ne se passe sans que je ne ressente de violents coups de poignard déchiqueter mon âme. J'aurais tellement aimé qu'il en soit autrement ! J'étais prête à accepter qu'il ne s'engage pas avec moi et que notre relation ne soit pas conventionnelle mais comment tolérer qu'il m'ait sciemment menti et manipulée ?

Ethan laisse glisser sa main le long de son corps et son regard abattu me supplie de le laisser s'exprimer mais en ai-je seulement envie ?

-Ecoute Candice, c'est... compliqué...

Je libère un rire cynique qui ne me ressemble absolument pas. D'habitude, je suis compréhensive, gentille, docile même. Mais cet homme sait faire ressortir le meilleur comme le pire en moi.

-Je... je sais que... la situation est difficile à comprendre... et que... tu dois penser que...

Pour la première fois depuis notre rencontre, Ethan bafouille. Il ne trouve pas ses mots, il bataille et perd toute contenance. Mon cœur se serre une fois de plus lorsque je réalise qu'il essaie encore une fois de me manipuler. Et j'ai tellement mal en cet instant.

-Arrête ton cinéma Ethan. La situation est très simple : tu es marié et tu as voulu coucher avec moi sans m'en informer car tu savais pertinemment que j'allais refuser si je connaissais la vérité. Qu'on s'amuse un peu entre adultes célibataires, d'accord, mais que tu trompes ta femme avec moi, là c'est non.

Je n'en reviens pas d'avoir cette discussion avec mon patron ! Jamais je n'aurais imaginé que cette journée finisse de la sorte. Je suis exténuée et notre confrontation est en train de m'achever mais je me promets de ne rien laisser transparaitre. Je fais tout mon possible pour ne pas laisser mon corps vide en manque d'énergie me lâcher et mes larmes dévaler mes joues mais tous ces efforts m'épuisent encore plus. Cependant, il est hors de question que je lui montre le mal qu'il est en train de me faire, je ne lui donnerai pas cette satisfaction.

-Ecoute-moi s'il te plait, Candice... je ne peux pas tout t'expliquer mais... sache que ma situation est plus complexe qu'elle n'y parait.

Je reste de marbre à l'entente de ces mots, ne laissant absolument rien transparaitre du tsunami qui est en train de ravager ma confiance et mon bonheur. J'ai l'impression qu'Ethan a décroché mon cœur de ma poitrine et qu'il est en train de le piétiner machiavéliquement. J'ai mal.

-Alors dis-moi ce que tu comptais faire avec moi, Ethan.

Les yeux du grand brun qui occupe mes pensées jour et nuit quittent les miens et se mettent à scruter ses poings qu'il ouvre et ferme frénétiquement depuis le début de notre conversation. Il n'est pas absolument pas à l'aise. J'observe ses lèvres interdites s'entrouvrir quelques secondes puis se refermer et cela ne fait que confirmer ce que je pensais. Il n'en a absolument rien à faire de moi et il est en train de s'enliser dans ses mensonges. C'en est trop pour moi.

            

              

                    

D'un geste rapide, j'abaisse la poignée et ouvre la porte en grand tout en soupirant bruyamment. Je dois agir vite si je veux continuer à faire illusion. Parce que dans moins de cinq minutes je ne serais plus capable de faire croire au monde entier que perdre cet homme ne m'affecte pas. Lorsque mes mots passent la barrière de mes lèvres, j'ai l'impression que quelqu'un prend un malin plaisir à broyer mon cœur lentement mais si violemment que je peine désormais à respirer correctement.

-Ne te fatigues pas Ethan, j'ai bien compris. J'ai été bête, tu en as profité, fin de l'histoire.

Sans que je ne m'y attende, Ethan relève brusquement la tête et ses pupilles en détresse me fusillent du regard. Il referme violemment la porte et fait un pas pour se rapprocher de moi. Je tressaille de peur. Sauf que je n'ai pas peur de lui mais plutôt de moi et de mes réactions déraisonnées ces derniers temps.

-Putain mais t'as rien compris, Candice !

L'homme qui se tient face à moi n'a plus rien du patron impressionnant qu'il était quelques semaines auparavant. Son visage fatigué aux traits tirés me semble las et résigné. Je ne sais pas du tout ce qui se trame dans sa tête mais je dois me protéger. Je n'accepte pas qu'il me manipule. Quand Ethan lève son bras afin de poser sa paume contre ma joue, je ne recule pas. Je reste immobile et je le fixe de mes iris déterminés à lui prouver que son petit jeu ne marche plus.

-Je n'ai pas voulu profiter de toi... je... j'ai... ma vie est compliqué, c'est vrai mais...

Je le regarde fixement se débattre avec des mots qu'il ne veut pas prononcer et j'attends. Ma joue me brûle sous son toucher mais je l'ignore. J'ai trop de respect pour moi-même pour accepter de n'être que le jouet d'un homme, aussi attirant soit-il.

-J'ai aimé tous les moments que nous avons passés ensemble.

Il ne piétine plus mon cœur, il le lacère. Parce que ses yeux me semblent si sincères que je n'arrive plus à démêler les sentiments qu'il fait naitre en moi.

Je n'ai jamais été le genre de fille courageuse qui ose et qui assume tout mais au contact d'Ethan, j'ai appris à penser par moi-même et pour moi-même. C'est sans doute pour cette raison que, sans réfléchir, mon cœur prend la parole. Je ferme les yeux et lui murmure d'une voix basse:

-Dis-moi simplement ce que tu as à m'offrir...

Un long silence pesant laisse résonner mes mots entre nous jusqu'à ce que la main d'Ethan quitte ma joue et qu'il la laisse glisser le long de son torse. Dans un soupir, il me répond :

-Quelques nuits.

Mon cœur meurtri saigne et j'ai mal jusqu'au plus profond de ma chair. J'ai la sensation qu'un millier de petites aiguilles est train de me torturer et j'ai envie de hurler. Parce que je ne suis pas ce genre de fille. Je suis déjà bien trop attachée à l'homme qui se tient à mes côtés mais qui est en train de m'échapper. Je dois accepter la réalité. Mais bon sang, qu'est-ce que ça fait mal !  

-Je suis désolée, je ne peux pas.

Je remarque que les épaules d'Ethan s'affaissent au moment où il baisse la tête. Il est vaincu. Nous le sommes tous les deux. Et il n'y a plus rien à faire. D'un hochement de tête, il me signifie que tout est terminé. Il ne peut rien m'offrir de plus et je ne peux pas m'en contenter. Fin de l'histoire.

Au moment où il referme doucement la porte derrière lui, le bruit tonitruant de mon cœur déchiqueté qui s'écrase violemment au sol résonne au plus profond de moi. Je tremble et les larmes que je retiens depuis de trop longues minutes ravagent maintenant mon visage.

            

              

                    

Je me suis attachée à un homme sans attache, je me suis autorisé à me dévoiler comme je ne l'avais jamais fait auparavant et je me suis leurrée. Cette histoire qui n'en est pas une était destinée à l'échec et nous y voilà.

Mon dos se plaque contre le bois de ma porte et je me laisse glisser jusqu'au sol. Je remonte mes genoux contre ma poitrine et pose ma tête dessus. Sans que je ne puisse les retenir, de bruyants sanglots me submergent et je ne parviens plus à m'oxygéner régulièrement. J'ai l'impression d'étouffer, ensevelie sous une montagne de déception, de souffrance et de mensonges. Mes lèvres libèrent de petits cris de douleurs et je gémis un long moment. Malheureusement, le fait d'extérioriser mes maux ne me soulage pas, bien au contraire. Cela ne fait que les rendre plus réels. Lorsque tous mes gémissements ont avalé le peu de force qu'il me restait, je laisse mes larmes et mes sanglots me bercer et je gis ainsi silencieusement pendant des heures. Plus rien ne m'importe, nous sommes au milieu de la nuit, il fait aussi noir dans mon appartement que dans mon cœur et je pleure. 

Je pleure beaucoup. Je pleure très fort. Je pleure longtemps. Et j'ai mal.

Je me réveille en criant et me redresse violemment dans le lit. Le même scénario agite mes nuits depuis qu'Ethan a définitivement refermé la porte de mon appartement et je ne peux m'empêcher de revoir son visage marqué par la résignation se dessiner dès que mes paupières se referment. Alors, comme chaque nuit maintenant, je laisse mes larmes couler silencieusement le long de mes joues et j'allume mon Ipod. Je laisse la musique me calmer et je tente de me rendormir.

Lorsque les premiers rayons du soleil transpercent mes volets, mes paupières papillonnent le temps de me souvenir où je suis. Je me rappelle alors que je me trouve dans la maison de mes parents et que je m'apprête à vivre la pire journée de l'année. Je jette machinalement un coup d'œil à mon réveil qui ne fait que me déprimer encore plus quand je lis 08h43. Cette journée s'annonce longue, très longue.

Au rez-de-chaussée, j'entends mes parents s'activer dans la cuisine et grommeler des mots incompréhensibles d'où je me trouve. Je sais pertinemment qu'ils attendent que je me réveille pour m'embaucher et faire en sorte que tout soit parfait à l'arrivée des invités.

Parfait... un mot qui a bercé mon enfance. Il fallait que ma tenue soit parfaite, que ma coiffure soit parfaite, que mes résultats scolaires soient parfaits, que mes amis sont parfaits, que mes fréquentations soient parfaites, que mon comportement soit parfait... Dans la bouche de mes parents, parfait signifie lisse et conventionnel. Alors imaginez la tête de ma mère lorsqu'elle a rencontré pour la première fois Cassiopée ! Elle m'a tout de suite interdit de la fréquenter mais notre complicité était si forte que je lui ai désobéit pour la première fois de ma vie et je ne le regrette absolument pas. Grâce à elle, j'ai réussi à me construire en tant qu'adulte et à me relever chaque fois que mes parents me mettaient plus bas que terre.

Ce matin, ma meilleure amie me manque énormément. Je ne l'ai pas revue depuis mon anniversaire et j'ai décliné toutes ses invitations la semaine dernière. Elle m'a téléphoné dimanche après mon retour de Londres pour prendre de mes nouvelles et j'étais tellement anéantie que je ne l'ai pas contredit lorsqu'elle a déduit que mon mal être était dû à mon agression. Il m'était impossible de lui parler d'Ethan, la douleur qui imprégnait tout mon être était bien trop vive et par-dessus tout, mon amie m'avait bien mise en garde contre cet homme. Je n'avais pas envie d'entendre ses leçons de moral, j'avais bien trop peur de m'effondrer définitivement.

J'ai donc passé la semaine à refuser les invitations de Cass et de Gabriel qu'elle avait mis au courant. Ils se sont relayés tous les jours pour me proposer des sorties ou simplement de venir me tenir compagnie le soir. Ils se sont montrés très attentionnés et soucieux de mon état et j'avoue que mes maigres tentatives pour les rassurer n'ont pas porté leurs fruits. Comment leur faire croire que tout va bien lorsque je n'en crois moi-même pas un mot ?  

            

              

                    

Je ne me suis confiée à personne cette semaine, j'ai simplement mené ma vie comme une automate. Je me levais le cœur lourd, j'allais travailler, je faisais bien attention à ne pas croiser Ethan puis je rentrais chez moi et j'attendais que les heures passent. Je suis également allée à la salle de danse pratiquement tous les soirs, j'avais besoin de laisser mon corps s'exprimer et de me vider la tête. En revanche, j'ai prétexté ne pas me sentir bien jeudi afin de ne pas me retrouver scrutée par le regard inquisiteur de Cass. Je n'ai pratiquement pas prononcé un mot cette semaine, hormis au bureau où je tentais de faire illusion du mieux que je le pouvais. 

Chaque fois que je tentais de mettre des mots sur ce que je ressentais, ma gorge nouée et mon estomac retourné me heurtaient si fort que le simple fait de m'exprimer était devenu une torture. C'est ainsi que j'ai enfoui ma souffrance silencieuse au plus profond de mon être et qu'elle est devenue ma plus fidèle compagne ces derniers jours. Je me suis habituée à passer des soirées seules, assourdie par les souvenirs douloureux qui n'ont jamais quitté mon esprit. Mais maintenant que je suis coincée entre ces quatre murs angoissants, je n'ai qu'une envie c'est de passer du temps avec mon amie.

J'attrape mon téléphone et commence à composer son numéro lorsqu'une profonde angoisse s'empare de moi. Mon amie m'a à maintes reprises exprimé ses doutes et ses avertissements envers l'attirance que je ressens pour mon patron. Elle m'a clairement fait comprendre que je me fourvoyais et qu'elle n'approuvait absolument pas mes choix. Je la connais par cœur et je sais très bien qu'elle va me tirer les vers du nez si je l'appelle. Et que se passera-t-il lorsque je lui confesserai que je me suis laissée aller plus que de raison avec le seul homme qu'elle ne tolère pas ? A coup sûr, elle m'enguirlandera pendant de très longues dizaines de minutes sur l'erreur que j'ai commise et son interminable sermon ne m'aidera pas à tourner la page.

Malgré toute l'affection que j'éprouve pour ma meilleure amie, je ne peux m'empêcher de me sentir isolée. Sa réaction lors de mon anniversaire m'a fait froid dans le dos et je réalise aujourd'hui que je n'ai absolument personne avec qui je peux être entièrement moi-même sans être jugée. Je pensais que Cassiopée était cette personne et en réalité, elle l'a toujours été jusqu'à peu mais aujourd'hui je me rends compte que ce n'est plus le cas. Elle fait tout pour me mettre en couple avec Gabriel simplement parce qu'il est le cousin de son petit-ami et ne prend pas en compte mes sentiments. Elle a toujours été assez impulsive et tranchée dans ses décisions mais je n'en ai jamais fait les frais. Il faut croire qu'il y a un début à tout...

Je laisse retomber mon téléphone sur mon lit en soupirant. Je viens à l'instant de comprendre pourquoi je me sens si mal depuis samedi dernier. Je suis tout simplement seule. Depuis que j'ai pris mon indépendance, je n'ai jamais été aussi seule. Avant, ma meilleure amie m'acceptait telle que j'étais et était toujours là pour me soutenir mais ce temps est révolu. J'ai essayé de lui expliquer les sentiments qui naissaient en moi mais elle les a balayés d'un revers de la main. Elle n'a pas cherché à les comprendre, elle est restée focalisée sur l'idée que je dois me consacrer à Gabriel. Elle a décidé pour moi, elle m'a jugée et depuis, je n'ose plus lui ouvrir mon cœur. Parce que la seule fois où j'ai essayé, elle a insinué que la personne que j'étais n'était pas digne d'elle.     

Cette prise de conscience me fait mal, énormément mal. Depuis toute petite, mes parents me façonnent à leur image et me prouvent que celle que je suis réellement ne les satisfait pas. Je me suis toujours protégée en devenant celle que l'on attend de moi et la seule fois où je prends le risque d'assumer mes propres envies et de me laisser aller, la personne la plus chère à mon cœur ne m'accepte pas. Quand j'entends les pas lourds de ma mère qui monte à l'étage pour me sortir du lit, je ravale mon amertume et me compose un sourire de façade. Je dois reprendre le cours de ma vie. J'enfouis alors toutes mes déceptions et mes ressentiments pour laisser la Candice docile et lisse reprendre les rênes de mon âme.

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