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Petit à petit notre enlacement se fait plus sage, sa langue quitte mon cou, ses mains rejoignent les miennes et son buste se décolle légèrement du mien. Je réalise en cet instant qu'un sentiment de pure liberté a envahi mon corps, pour la première fois de ma vie je me suis sentie libre de ressentir et de savourer toutes les sensations enivrantes qu'Ethan a créées. Enfin... pour être tout à fait exacte, c'est la deuxième fois. Et c'est foutrement bon d'être aux commandes de son propre corps et de ne pas se soucier de ce que les autres penseront.
Alors que je reprends mes esprits, mon sauveur entrelace nos doigts et nous conduit vers le sofa positionné à côté de la baie vitrée qui orne le fond de ma chambre. La nuit noire a englouti la capitale anglaise et seule la faible lueur de la lampe de bureau nous éclaire. J'ai à peine le temps de m'assoir sur le fauteuil qu'Ethan tire mon bras pour me placer à ses côtés, ma jambe collée à la sienne et sa main se pose avec délicatesse dans ma nuque pour que ma tête repose sur son épaule. Mon ventre se contracte si intensément que je refuse de sortir de cette chambre, de peur que notre cocon se désintègre.
Je suis si bien contre lui que je soupire bruyamment de contentement. Sa joue repose sur le haut de mon crane et je sens ses lèvres s'étirer doucement. La nuit n'attend que nous et les heures sombres qui ont tourmenté ma journée sont balayées par la lueur de bonheur qui me fait actuellement face. Au bout d'un long moment, mon cœur bercé par le silence apaisant qui l'entoure sursaute lorsque la voix grave d'Ethan susurre à mon oreille :
-Je ne sais pas bricoler. A chaque fois que je veux planter un clou, le marteau atterrit sur mes doigts...
Mes sourcils se froncent quand ses paroles atteignent mon cerveau. De quoi est-il en train de me parler ? Voyant que je ne réagis pas vraiment, il reprend la parole.
-Hier soir, tu m'as confessé quelque chose que personne ne connait à propos de toi. C'est à mon tour.
Je souris béatement et mon cœur se gonfle de contentement. Cet homme ne fait pas que me rendre la pareille, non, il allège l'atmosphère pesante qui règne dans cette chambre depuis que j'y suis entrée en pleurant. Je ne pourrais jamais assez le remercier pour tout ce qu'il fait pour moi ce soir.
Pour une fois, j'ai envie de me laisser aller et d'arrêter de réfléchir, de tout contrôler. J'ai envie qu'il ne voit que la vraie Candice, celle que personne ne connait, pas même moi. Alors, c'est à mon tour de me confier.
-Je déteste le caramel ! Je ne supporte pas ce goût mais ma meilleure amie en met dans tous ses desserts et je n'ai jamais osé lui dire que je n'aime pas cela.
Ethan me sert plus fort contre lui quand il comprend que je m'ouvre à lui comme je ne l'ai jamais fait auparavant.
-Je déteste la Jelly ! C'est un crime d'être anglais et de renier la Jelly mais je déteste cette gelée fluorescente au goût absolument immonde ! Mon père m'en a servi pendant toute mon enfance et je ne peux plus en avaler une seule cuillère aujourd'hui.
Qui pourrait lui en vouloir ? Ce dessert est une déclaration de guerre à tous les estomacs !
-Je n'ai jamais mangé dans un fast-food. Ma mère a une sainte horreur de la junk food et elle m'a toujours interdit d'y mettre les pieds. Quand mes amies y allaient, je trouvais toujours un prétexte pour ne pas désobéir.
Un long silence s'installe entre nous et je ne sais pas si c'est parce que j'ai été trop honnête et que je l'ennuie ou si quelque chose le tracasse. Après quelques minutes de mutisme, Ethan reprend enfin la parole.
-Je déteste porter des chemises, je ne supporte pas de me sentir étriqué dans ce vêtement.
Ses paroles flottent dans l'air et résonnent différemment en moi. Il ne déteste pas les chemises. Il déteste le carcan dans lequel elles l'emprisonnent. Il déteste celui qu'il est quand il les porte.
-Quand j'étais petite, je voulais être photographe. Je passais mon temps à photographier les visages des passants ou les paysages qui m'interpellaient. J'adorais développer mes photos pour découvrir la vraie nature de ceux que j'avais croisés. Mais je ne l'ai jamais avoué à mes parents, ils auraient pris bien trop de plaisir à me confisquer mon appareil qui me « détournait du chemin tout tracé qui m'attendait ».
Encore aujourd'hui, personne ne sait que j'ai gardé précieusement des photos d'inconnus que j'ai prises pendant mon enfance. Elles me permettent de ne pas oublier d'où je viens, de me rappeler quel regard résigné je portais sur la vie et que je ne veux plus me replonger dans le cercle vicieux qui a bercé mon enfance.
-Enfant, j'ai pris trop de coups pour m'autoriser à en donner aujourd'hui, même à des gros connards qui le méritent plus que quiconque.
Cette déclaration me choque. J'ai l'impression que quelqu'un m'a mis un coup de poing dans le ventre et que tout l'oxygène quitte subitement mes poumons. J'essaie de me redresser et de me retourner pour faire face à Ethan mais celui-ci m'en empêche, ses bras m'encerclant fermement. Alors je me résigne et je replace ma tête contre son épaule. Ayant décidé d'arrêter de trop réfléchir, je n'écoute que mon cœur lorsque je passe mon bras sur son ventre et que mes doigts s'agrippent à son buste.
-Ne dramatisons rien hein, les coups ne pleuvaient pas. C'est juste que... mon père avait tendance à avoir la main un peu lourde. Mais il reste mon père, celui qui a toujours été là avec moi.
Ses confessions chuchotées s'envolent dans la nuit noire qui nous fait face. Le silence reprend ses droits et je crois que je finis par m'endormir.
Les premiers rayons du soleil se reflétant sur la neige qui tapisse le sol font papillonner mes yeux. J'ouvre mes paupières et découvre un magnifique levé de soleil qui pare le ciel de sublimes couleurs rouges, roses et orangées. D'immenses nuages gorgés de neige nous font face et une nouvelle journée est en train d'éclore sous mes yeux. Quand je relève doucement la tête, je contemple le regard impénétrable et le visage exténué de l'homme qui m'a entouré de ses bras toute la nuit.