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7

              

                    

Nous passons la demi-heure suivante à flâner dans l'endroit le plus beau de Kinvara. Je réponds à toutes ses questions et je dois avouer être surpris de tout ce qu'Ariane a envie de découvrir. Elle me demande la couleur préférée de Mila, ses résultats à l'école, ses matières préférées, ce qu'elle aime faire pendant son temps libre, si elle a beaucoup d'amis, comment s'est passé le vol quand nous avons quitté la France, si nous avons toujours habité ici. Elle boit mes paroles, sourit quand je laisse échapper une anecdote, fronce les sourcils quand je me montre plus dur. 

Le soleil commence déjà à se cacher derrière la ligne d'horizon. Il est bientôt l'heure de récupèrer Mila. 

-On va rentrer, informé-je Ariane sans trop lui laisser le choix. 

-Oh, oui, bien sûr, merci de m'avoir accordé tout ce temps. 

J'opine rapidement du menton et m'apprête à séparer nos chemins quand sa voix hésitante me retient une dernière fois. 

-Tu... est-ce que tu peux me donner ton numéro ? Pour que je puisse te joindre plus facilement. 

-Non, je ne préfère pas.

Elle sait où me trouver de toute façon. Ses lèvres se crispent en une fine ligne qui ne masque pas cette énième déception. Mais je n'ai pas envie de me forcer, surtout pas pour elle. 

Sur le chemin du retour, je reste silencieux. Holly en fait de même mais je sens bien qu'elle est soucieuse. Je lui propose de retourner chez moi pour qu'elle récupère ses quelques affaires avant de mettre le cap sur Galway. Dans la chaleur de mon salon, maladroitement installée à l'extrémité du canapé, elle laisse enfin sa langue se délier. 

-Comment te sens-tu ? 

-Je n'en ai aucune idée, lâché-je, le plus sincèrement du monde. Je vais avoir besoin de réfléchir à tout ce qu'elle m'a dit. Je... je suis perdu, là. 

-Je comprends, c'était très... perturbant. 

-Toi aussi, tu as trouvé ? Je n'ai pas souvent imaginé tomber sur Ariane mais les seules fois où ça m'est arrivé, je me représentais une pauvre fille irresponsable, sans doute droguée ou dépendante à je ne sais quelle substance. Je la voyais exactement comme elle était quand elle est partie: instable, fuyante, puérile. Mais aujourd'hui, elle n'était rien de tout cela. 

-Non, c'est vrai.  

-Elle semble bien décidée à se racheter, énoncé-je un peu dans le vide. 

-Et ça te fait peur ? 

-Ce qui me fait peur, c'est que je n'ai aucune confiance en elle. Et si elle disparaissait encore une fois, du jour au lendemain ? Quel genre de traumatisme est-ce que cela infligerait à Mila ? Je... je ne dois pas penser à ce que veut Ariane mais à ce qui est le mieux pour ma fille. 

-C'est-à-dire ? 

-Je ne sais pas encore si lui avouer que sa mère n'est pas la super-héroine qu'elle imagine mais une femme qui l'a abandonnée sciemment et qui souhaite aujourd'hui réparer ses erreurs est une bonne idée. 

-Prends le temps d'y réfléchir sérieusement Louis. Mais... 

-Mais ? 

-Mais tu ne pourras pas lui cacher éternellement la vérité. Elle va grandir, découvrir que ce genre de métier n'existe pas. Si tu décides de lui cacher le retour d'Ariane, ne va-t-elle pas t'en vouloir plus tard ? Chercher à la contacter en cachette, sans t'en parler ? 

Cette simple idée me fait froid dans le dos. 

-Aujourd'hui, tu as toutes les cartes en main. Tu peux être son garde-fou et son confident dans cette épreuve marquante pour elle. 

            

              

                    

-Alors quoi ? Tu me conseilles de lui raconter la vérité et de lui tenir la main quand elle rencontrera sa mère pour la première fois ? 

-Non, je... je te dis juste qu'il faut que tu penses à toutes les possibilités et à toutes les conséquences. 

Je m'approche d'elle pour la prendre dans mes bras. J'ai besoin de ce contact, de cette certitude qui m'habite quand je suis près d'elle. J'ai besoin de cet ancrage pour ne pas flancher. Elle accepte mon étreinte avec soulagement, enroule son bras autour de mon ventre en posant sa tête sur mon épaule. Elle relève ses beaux yeux incertains, laisse sa bouche se retrousser pour libérer quelques paroles un peu confuses mais honnêtes.  

-Louis, je... je suis désolée si tu me trouve égoïste ou que ce que je vais te dire est déplacé. J'ai bien conscience que ce n'est pas du tout le moment de te demander ça mais je sais aussi que si je rentre chez moi avec ce doute, je vais finir par paniquer et tout gâcher et je ne veux surtout pas que ça arrive. 

-Qu'est-ce qu'il y a ? soufflé-je tout bas en rapprochant mon visage du sien. 

-Est-ce que... est-ce que tu as ressenti quelque chose en revoyant Ariane ? 

-Quoi ? De l'attirance tu veux dire ? 

-Oui ou même des sentiments.

Je me redresse pour être sûr qu'elle voit le sérieux de ma réponse. Mes mains plaquées sur ses joues, je la regarde droit dans les yeux. 

-Je n'ai jamais rien ressenti pour elle et ce n'est pas aujourd'hui que ça va commencer. 

-Mais tu... 

-Non Holly. Ecoute-moi s'il te plait. J'avais dix-sept ans, j'étais triste, perdu et je n'avais pas d'avenir. Elle était exubérante, elle n'avait pas d'attache. Elle était à l'opposé de ce qui m'attire mais je ne sais pas pourquoi, quand elle m'a proposé un verre, je l'ai accepté. J'avais juste envie d'oublier. On a oublié ensemble, c'est tout ce qui s'est passé ce soir-là. Quatre mois plus tard, elle m'a appris être enceinte et le ciel m'est tombé sur la tête. Pendant cinq mois, j'ai essayé d'être présent pour elle mais elle ne m'a jamais laissé la soutenir. Elle me fuyait. Je passais des semaines sans la voir, sans avoir de ses nouvelles. Je ne savais même pas si ma fille allait bien. 

Holly est choquée par mon histoire et je réalise alors que je ne lui ai jamais avoué la cruauté de cette partie de ma vie. 

-Je n'ai jamais aimé Ariane, je n'ai jamais été attiré par elle, je n'ai jamais partagé quoique ce soit avec elle. La seule qui compte pour moi, c'est toi. D'accord ? 

Elle cligne plusieurs fois des paupières, prend le temps de décortiquer mes mots, de cerner mes intentions. Je me penche lentement sur ses lèvres que j'effleure doucement, tout doucement. 

-C'est toi. Toi, toi, toi, toi, toi. 

Comme ça, juste comme, ça ses lèvres s'écartent sous les miennes et sa langue vient chercher la mienne. Elle passe ses bras autour de mon cou et m'attire à elle, jusqu'à être complètement allongée contre le vieux cuir de mon canapé. 

-D'accord, souffle-t-elle sobrement. 

Elle n'a pas besoin d'en dire plus, je lis sa confiance dans son regard, son soulagement pétiller dans chacun de ses baisers. Nous restons ainsi un petit moment, à nous repaitre chastement l'un de l'autre.   

-Tu crois que je devrais en parler à Mila ? reprené-je, l'esprit encore embrumé de doutes. 

-Je pense qu'elle va avoir besoin de connaitre la vérité, oui. 

-Mais je dois être sûr qu'Ariane est sérieuse.

-Tu ne pourras jamais l'être à cent-pour-cent. Elle aura beau te dire tout ce que tu veux entendre, tu n'auras jamais aucune garantie. Quoiqu'il arrive, tu seras obligé de prendre un risque. 

-A moi d'évaluer au mieux ce risque. 

Je sais déjà que je vais avoir besoin de l'aide de Bastien pour récolter des informations la concernant. Au moins pour savoir si tout ce qu'elle m'a raconté est vrai. 

-Si elle est aussi sérieuse que ce qu'elle prétend, elle ne disparaitra pas aussi facilement. 

Je laisse passer quelques secondes avant d'avouer, honteux. 

-J'ai l'impression d'être un monstre.

-Pourquoi ? 

-Je ne veux pas qu'elle me prenne ma fille. Je voudrais qu'elle parte, qu'elle ne revienne plus jamais. J'ai même envie de mentir à Mila, de prétendre qu'elle n'est jamais revenue. Mais... et si Mila avait besoin d'elle ? Et si son retour lui faisait du bien ? 

Holly me serre plus fort entre ses bras. 

-Tu ne seras jamais un monstre. Ta fille, tu l'aimes plus que tout, tu la feras toujours passer en premier. C'est normal de ressentir tout ça, le retour d'Ariane est brutal et tu ne l'as pas choisi. Mais tu vas devoir affronter cette nouvelle épreuve et je sais déjà que tu prendras la meilleure décision pour Mila. 

Je ferme les yeux tandis qu'Holly m'embrasse, passe ses mains dans mon dos pour m'offrir de tendres caresses réconfortantes. Ses mots s'infiltrent en moi, me font du bien. Et malgré tout ce que je peux ressentir, je sais déjà que si Ariane s'avère être une femme responsable, je laisserai ma fille décider de leur destin à toutes les deux. Peu importe que cette idée me brise le coeur. 

            

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