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Je hoche la tête.
-Elle t'a expliqué ce qu'elle comptait faire ?
-Je ne lui en ai pas laissé le temps.
-De toute façon, tu vas forcément la revoir. Peut-être que tu pourrais essayer de comprendre comment elle voit les choses ? Ce qu'elle prévoit de faire ?
Mes méninges s'activent à vive allure. Il y a tellement de questions qui me hantent, tellement de réponses qui m'effrayent.
-Elle habite en France, raconté-je sans trop savoir pourquoi. Elle veut faire partie de sa vie mais elle vit à plus de mille cinq cent kilomètres d'ici. J'ignore ce qu'elle s'imagine mais jamais je ne remettrai un pied là-bas.
-Tu dois lui parler Louis.
Elle a raison. Mais d'abord, je dois remettre de l'ordre dans mes idées.
-Excuse-moi de t'imposer mes problèmes. Tu... tu peux rentrer chez toi si tu veux, je vais me débrouiller.
-Quoi ? Tu... tu veux que je parte ?
-Je ne veux rien t'imposer. Tu as sûrement mieux à faire et...
-Je n'ai pas du tout envie de te laisser seul pour affronter cette histoire. Maintenant, si c'est ce que tu préfères, je veux bien partir mais si...
-Ce n'est pas ce que je préfère, lancé-je en la coupant, comme un cri du coeur.
-Parfait. Alors je reste.
Main dans la main, nous passons l'heure suivante à passer en revue toutes les questions qui me taraudent. Que prévoit Ariane ? Que veut-elle réellement ? A quel point aimerait-elle s'impliquer dans la vie de Mila ? Je finis par me relever brusquement, ne supportant soudain plus ce doute qui plane au dessus de moi.
-Il faut que la retrouve !
-Où compte-tu aller ? s'inquiète Holly qui me suit déjà.
-Je vais arpenter le village. Elle n'est sûrement pas allée bien loin, l'informé-je en enfilant mon manteau. Je vais commencer par le port, c'est là que je l'ai laissée.
-Je peux t'accompagner cette fois ?
Un immense soulagement m'envahit. Avec elle à mes côtés, je me sens plus fort. Je lui souris tendrement, reconnaissant pour tout ce qu'elle fait pour moi alors que nous ne sommes pas ensemble depuis très longtemps.
-Je n'osais pas te le demander, murmuré-je, penaud.
Holly me pique l'écharpe que je tenais dans ma main pour me la passer autour du cou. Elle en profite pour rapprocher mon visage du sien et laisser nos lèvres se retrouver. Ce baiser a le goût d'un oasis en plein désert.
Nos doigts entrelacés, nous nous dirigeons d'un pas décidé vers le port. Aussitôt je l'aperçois. Elle n'a pas bougé. Elle est toujours assise sur le même banc, le regard rivé vers l'océan. Ses cheveux bruns virevoltent au gré du vent. De nombreux Galway hookers barbotent non loin de là, des pêcheurs arrangent leurs bateaux avant de repartir vers le grand large lorsque le soleil se lèvera demain.
D'un signe de la tête, j'indique à Holly où se trouve Ariane. Elle la regarde avec attention mais ne dit rien. J'inspire un grand coup et me remets en marche. Quand nous arrivons à sa hauteur, Ariane sursaute.
-Lou... Louis ? susurre-t-elle sans trop y croire.
Me retrouver de nouveau face à elle ravive les flammes de ma colère. Même si j'essaie de me contenir, elle lit dans mon regard noir que je ne suis pas là pour une discussion anodine.
-Il faut que tu m'expliques.
-Quoi ?
-Tout.
Elle acquiesce silencieusement. Son regard divague autour de nous, elle semble clairement mal à l'aise.
-Est-ce qu'on marcher un peu ?
Une minute plus tard, nous avançons côte à côte tandis que je n'ai pas lâché la main d'Holly. Cette dernière s'est présentée à Ariane, elle lui a serré la main en souriant brièvement. Elle ne lui a rien montré de ma peine ni de mon antipathie mais son pouce n'a pas cessé un seul instant de caresser ma peau.
-Tu veux revenir, commencé-je alors que les mots m'arrachent la bouche.
-Oui, répond-t-elle timidement.
-Comment est-ce que tu imagines tout ça ?
Ariane est surprise par ma question mais elle y réfléchit sérieusement.
-J'imagine que je pourrais rencontrer Mila lors d'une balade ou d'un repas. Un petit moment pour commencer. Je répondrais à toutes ses questions. Et ensuite, je pourrais lui proposer de nouvelles sorties, de nouvelles balades. Je veux qu'elle apprenne à me connaitre et je veux découvrir la petite fille qu'elle est devenue.
-Elle est sourde. Elle n'est pas muette mais comme elle n'entend pas les sons, elle n'arrive pas à les reproduire correctement. Alors elle parle en signes.
Je la regarde droit dans les yeux en lui disant cela. Je veux qu'elle comprenne qu'elle ne sait rien, absolument rien, de celle qu'elle a mis au monde malgré elle.
-Tu ne voulais pas être enceinte. Je ne suis pas bête, je sais bien que tu as essayé plusieurs fois de te débarrasser de ce bébé que tu n'as jamais aimé. Tu ne l'as jamais prise dans tes bras. Tu ne l'as jamais regardée. Tu ne connais pas ma fille.
-Non, je...
Ariane plaque une main contre sa bouche en essayant, en vain, de lutter contre ses paupières inondées.
-Ça ne s'est pas passé comme ça ! lâche-t-elle d'une voix ravagée par les larmes.
-Ose me dire que tu n'as jamais mutilé ton ventre ? Que tu voulais d'elle ? Que tu l'as déjà touchée ? crié-je.
Holly caresse mon bras d'une main douce pour tenter de me calmer. Les larmes continuent de se faire la malle sur le visage décomposé d'Ariane.
-Je... je ne suis plus cette fille. C'est fini tout ça, je... je veux réparer le mal que je lui ai fait. Que je vous ai fait à tous les deux.
Je ferme les yeux une seconde pour rassembler tout mon self-control. Je ne peux pas laisser ma colère guider cette conversation, cela ne nous mènera nulle part. Ariane sanglote doucement à côté de moi.
-J'ai énormément de torts Louis. Je m'en voudrai toute ma vie d'avoir abandonné Mila. Mais j'ai envie d'essayer, de recoller les morceaux, de nous offrir une deuxième chance.
Ces mots me donnent la nausée.
-Elle... elle est sourde ? Mais pourquoi ?
-Tu ne te souviens pas de ce qu'a dit le pédiatre à la maternité ?
Elle secoue un visage peiné de gauche à droite.
-Je ne me rappelle de pratiquement rien de ces quelques jours.
Je ravale quelques remarques bien senties pour lui répondre froidement.
-Il a décelé une anomalie de l'audition. Après être sortis de la maternité, j'ai emmené Mila chez un spécialiste. Elle est née avec une malformation de l'oreille interne. Elle n'entend aucun son.
-Mais... comment est-ce possible ?
-Ce problème peut être héréditaire ou être une conséquence du mode de vie de la mère lors de la grossesse.
Je n'ai pas besoin de tourner la tête pour sentir Ariane se crisper, fermer les yeux et soupirer longuement. J'ai bien conscience d'ajouter un peu de poison à la culpabilité qui la ronge déjà mais je n'y peux rien. Elle a demandé la vérité, la voici. Un lourd silence plombe désormais l'atmosphère, seulement entrecoupé par les sanglots d'Ariane.
-Ecoute, commencé-je en m'arrêtant de marcher, je ne sais pas ce que tu es venue chercher ici ni ce que tu t'imaginais mais tu ne connais rien de Mila. Tu ne connais pas notre histoire. Tu ne sais pas tout ce qu'on a vécu. Je ne veux pas que tu bouleverses nos vies. Mila est une petite fille joyeuse et pétillante et il est hors de question que ça change.
-Je ne veux pas détruire ce que tu as construit avec elle Louis. J'admire tout ce que tu as dû endurer et je ne pourrais jamais assez te remercier d'avoir pris soin d'elle tout seul. Je te demande seulement de me laisser une chance. Est-ce... est-ce qu'elle t'a déjà parlé de moi ? demande-t-elle timidement.
-Oui, plusieurs fois. Je lui ai raconté que tu voyageais partout dans le monde pour sauver des enfants. Je n'ai pas eu le courage de lui expliquer ce qui s'est vraiment passé.
Elle sourit tristement.
-C'est une jolie histoire.
-Tu habites en France, n'est-ce pas ? Alors comment compte-tu faire pour faire partie de sa vie ?
-J'ai posé tous mes congés. Pour l'instant, j'ai plusieurs semaines devant moi. J'aimerais en profiter pour faire sa connaissance et passer un peu de temps avec elle. Ensuite, si vous voulez bien de moi, je ferai régulièrement les aller-retours entre la France et l'Irlande.
-Où loges-tu ?
-A l'hôtel pour l'instant mais il va peut-être falloir que je trouve un airb'n'b. Ce sera sûrement moins cher.
-Quelles sont tes intentions ? Je veux dire, à long terme.
-Je veux faire partie de sa vie. Peu importe ce qu'elle acceptera de me donner, je prendrai tout.
-Tu es sûre que tu ne comptes pas prendre la poudre d'escampette au premier obstacle ?
-Je te l'ai dit Louis, je ne suis plus cette fille. Je me suis soignée, j'ai grandi, j'ai travaillé sur moi et maintenant, je veux essayer de sauver ce qui peut l'être avec Mila.
Nos pas nous mènent au Donguaire Castle qui est plutôt époustouflant aujourd'hui, entouré de lourds nuages gris et de brins d'herbe chatoyants. Pourtant, nous ne lui accordons aucun regard. Holly reste silencieuse mais elle écoute tout ce qui se dit. Ariane me regarde avec des yeux teintés de peine et d'espoir. Un drôle de mélange, assurément. Moi, j'essaie de canaliser les méchancetés que j'ai envie de lui hurler. Je n'ai jamais été ce genre de personne mais je découvre aujourd'hui que je suis réellement prêt à tout pour protéger ma fille.
-Je ne sais pas, soufflé-je en secouant la tête, le regard rivé sur le sol.
Ariane se stoppe net.
-Tu ne sais pas quoi ?
-Ce que je pense de tout cela. J'ai... j'ai besoin de temps Ariane. Je ne peux pas prendre de décision comme ça, sur un coup de tête.
Elle est déçue, je le vois bien mais elle accepte sans insister.
-Est-ce que je peux te poser quelques questions ?