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Chapitre 6

Kaden se tenait, seul, observant la forêt qui s’étendait devant lui. Les arbres, imposants et silencieux, semblaient témoigner des épreuves traversées au fil du temps. L’atmosphère qui régnait autour de lui était dense, lourde de souvenirs et de décisions passées. Il ressentait une pression presque physique, comme si la forêt elle-même lui rappelait le poids de son héritage. Il ferma les yeux et laissa les souvenirs l’envahir.

Il n’oubliait jamais le moment où il avait pris le pouvoir. Il n’oubliait pas les visages des membres de la meute, ceux qui étaient là avant lui et ceux qu’il avait laissés derrière dans sa quête de domination. Ce jour-là, il avait pris le rôle de l’Alpha non pas par héritage, mais par force. Par nécessité. Et pourtant, à chaque fois qu’il repensait à ce moment, il se demandait si cette décision avait été celle qu’il aurait dû prendre. Si la voie de la puissance n’était pas, au fond, la voie de la solitude.

Cela avait commencé des années plus tôt, alors qu’il n’était encore qu’un jeune loup, l’un des nombreux membres d’une meute en pleine reconstruction. Son père, le leader incontesté de la meute, avait régné avec une poigne de fer, et Kaden l’avait toujours admiré. Cependant, il ne savait pas encore ce que cela signifiait de mener une meute, de porter la lourde responsabilité d’être l’Alpha. À l’époque, il se contentait de suivre, d’apprendre à ses côtés, écoutant sans comprendre vraiment ce qu’impliquait le fardeau du pouvoir.

Puis il y avait eu la bataille. Un moment charnière, un instant où la vie de tous avait basculé. L’attaque des Chasseurs de la Lune. Ces humains sans pitié qui traquaient les créatures surnaturelles, comme des prédateurs traquant leur proie. La meute n’avait pas vu venir le danger. Elle avait été surprise, incapable de résister. Kaden se souvient de la scène, de la violence du combat, de l’effondrement de son père sous les coups de l’ennemi. Ce jour-là, il avait vu le seul homme qu’il croyait invincible tomber à genoux, gravement blessé, avant de mourir dans ses bras. L’instant où il avait perdu son père, où il avait compris que tout ce qu’il avait pris pour acquis pouvait s’effondrer en un clin d’œil.

Ce moment avait forgé son destin. À ce moment précis, Kaden n’avait plus eu de doute. Il devait prendre sa place, et il devait le faire seul. Il savait que la force était la seule chose qui comptait désormais. La douceur et la loyauté n’avaient pas de place dans un monde où l’on devait survivre à tout prix. Il avait pris les rênes de la meute, éliminant ceux qui ne partageaient pas sa vision, imposant ses règles et sa manière de voir les choses. La peur était devenue son outil de gouvernance, et la loyauté s’était forgée à travers cette peur. Mais au fil des années, quelque chose s’était détérioré. Kaden avait réalisé, un peu trop tard, que la soumission n’était pas la même chose que la véritable fidélité. Il avait peut-être gagné une meute, mais il avait perdu la confiance. Et sans cette confiance, la meute ne serait qu’un ensemble d’individus rassemblés sous une autorité brute, sans âme ni esprit.

Au fond de lui, Kaden le savait, mais il avait été trop fier, trop obstiné, pour l’admettre. Alors il continuait. Il avançait, enfonçant sa volonté dans la terre, n’ayant qu’une seule direction : celle qui le mènerait à la victoire. Il était l’Alpha, après tout. Et c’était ainsi que les choses devaient être. C’était ce que son père lui avait appris, et c’était ce que la meute attendait de lui.

Elira, la sage louve de la meute, s’approcha lentement de lui, brisant le silence lourd qui s’était installé entre eux. Depuis toujours, elle avait été à ses côtés. Elle l’avait vu grandir, le regardant évoluer, ou peut-être s’effondrer, au fil des années. Elle savait mieux que quiconque ce qui se passait dans l’esprit de Kaden. Elle comprenait ses tourments, ses luttes internes, mais elle savait aussi que les réponses à ses questions ne viendraient pas de l’extérieur. Elles venaient de lui. S’il voulait avancer, s’il voulait se libérer du poids de son passé, c’était à lui seul de prendre cette décision.

« Tu as l’air perdu dans tes pensées », dit-elle d’une voix douce, mais ferme. Kaden ne répondit pas immédiatement, comme si les mots d’Elira n’avaient aucune importance face à ce qu’il ressentait. Mais elle n’abandonna pas. Elle le connaissait bien. Elle savait qu’il fallait plus que des mots pour percer la carapace qu’il s’était forgée.

« Tu sais, Kaden, tu n’as pas besoin de tout porter sur tes épaules. Ce fardeau, cette image de l’Alpha que tu t’es construite… ce n’est pas toi. »

Il tourna la tête lentement, ses yeux fixant la silhouette d’Elira. Il la connaissait depuis si longtemps. Elle était sa confidente, mais aussi son miroir. Elle savait, mieux que quiconque, qu’il se perdait dans cette quête infinie de pouvoir. Elle avait vu son évolution, son passage du jeune loup ambitieux à l’Alpha dur et inflexible qu’il était devenu. Mais elle n’était pas là pour le juger. Elle était là pour l’aider à comprendre. Pour lui montrer qu’il n’était pas obligé de rester prisonnier de cette image de lui-même.

« Tu parles de fardeau, mais tu ne comprends pas. » Kaden soupira, se tournant légèrement vers elle, son regard dur. « C’est ce que je suis devenu. Et je ne peux pas revenir en arrière. »

Elira haussait les épaules, un léger sourire au coin des lèvres. « Tu te voiles la face, Kaden. Tu crois que tu es celui qui décide. Mais en réalité, ce sont tes décisions qui te poussent dans une spirale où tu ne peux plus revenir. »

« Et quoi ? Tu veux que je sois comme toi ? » Kaden laissa échapper un rire amer. « Que je change tout ce que j’ai construit pour… quoi ? Pour être plus « humain » ? Plus tendre ? » Il secoua la tête. « Non, Elira. Ça ne marche pas comme ça. Le monde est brutal. Il n’y a pas de place pour la douceur. »

Elira se contenta de le regarder, son regard paisible, presque triste. « Tu te trompes, Kaden. Ce n’est pas de la douceur que je te demande. Ce n’est pas de la tendresse. C’est de la sagesse. La sagesse de savoir quand lâcher prise. La sagesse de comprendre que la force brute, aussi efficace soit-elle, finit toujours par créer des fractures. » Elle marqua une pause, comme si elle pesait ses mots. « Tu as le pouvoir. Mais ce n’est pas cela qui fait un leader. Ce qui fait un véritable leader, c’est la capacité de comprendre et de s’adapter. »

Le silence s’installa de nouveau entre eux, lourd et pesant. Kaden fixait l’horizon sans vraiment voir. Les mots d’Elira tournaient dans son esprit, s’accrochant à sa conscience, là où il n’avait jamais voulu les entendre. L’adaptation, la compréhension… des notions qu’il avait toujours évitées, des notions qu’il avait considérées comme des faiblesses. Pourtant, maintenant, elles semblaient avoir un sens. Il n’y avait pas de honte à reconnaître qu’il pouvait se tromper. La véritable force, peut-être, résidait dans la capacité à reconnaître ses erreurs, à évoluer, à accepter que tout ne devait pas toujours se faire par la force.

Mais ce n’était pas simple. Rien n’était simple.

Kaden leva les yeux, cherchant dans le ciel un signe, quelque chose qui lui dirait quoi faire, quelque chose qui lui montrerait le chemin. Mais tout ce qu’il trouva fut un silence presque étouffant. Le vent s’était calmé, les oiseaux étaient partis. Il était seul avec ses pensées, seul face à son passé et à son avenir incertain.

« Ce que je suis devenu… » murmura-t-il enfin, plus pour lui-même que pour Elira. « C’est une arme. Une machine. Et je ne sais plus comment faire marche arrière. »

Elira s’approcha lentement, posant une main sur son épaule, sa présence calme et rassurante. Elle ne disait rien, elle ne forçait pas. Mais dans son silence, Kaden ressentait la sagesse accumulée au fil des années, le poids des choix qu’elle avait faits, des erreurs qu’elle avait commises, et des leçons qu’elle avait apprises.

Finalement, Kaden tourna son regard vers elle, un léger sourire au coin des lèvres. « Tu crois vraiment qu’il est encore temps de changer, n’est-ce pas ? »

Elira lui répondit par un sourire doux et sincère. « Il est toujours temps

, Kaden. Tant qu’il te reste encore la volonté de changer, il est toujours temps. »

Le poids sur ses épaules sembla soudainement un peu plus léger, comme si, pour la première fois depuis des années, une porte s’ouvrait devant lui. Peut-être qu’il n’avait pas encore tout perdu. Peut-être que le changement était encore possible. Et peut-être, enfin, pourrait-il retrouver ce qu’il avait perdu.

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