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Chapitre 3

L'INSPECTEUR DÉBARQUA ALORS que Maeve faisait sa ronde le lendemain soir.

— Vous êtes le Dr Friedman?

- Oui, je peux vous aider? demanda-t-elle machinalement en signant le bon de sortie d'un patient.

— Je pense que oui. On m'a informé que c'est vous qui avez opéré la victime de blessures par balles, hier soir?

- Pardon, mais qui êtes-vous et pourquoi cette question?

Elle regarda par-dessus son épaule l'homme qui lui tendit son badge. Il faisait un peu plus d'un mètre quatre-vingts, des cheveux blonds à la coupe nette, veste, chemise et pantalon à plis.

- Inspecteur Gruff. On m'a envoyé ici pour en apprendre davantage sur votre patient.

- Il n'y a pas grand-chose à en dire, Inspecteur. Il est arrivé aux urgences avec plusieurs blessures par balles. J'ai retiré les débris. Il s'est réveillé au milieu de l'intervention et a demandé à partir. Il n'a rien voulu entendre, et on ne me paie pas assez pour me battre avec les patients. Et c'est tout.

- Il s'est réveillé pendant? interrogea l'inspecteur.

- C'est ma faute. On n'avait pas assez de personnel pour l'anesthésier et sa vie était en jeu, alors j'ai été obligée de travailler vite.

- Vous connaissez son nom?

Elle secoua la tête.

- Non. On s'est à peine parlé.

- Il a dit comment il s'était fait tirer dessus?

- Encore une fois, on a à peine échangé quelques mots, et c'était surtout moi qui lui disais de ne pas être idiot et de le laisser le recoudre. La seule chose que je peux affirmer avec une quasi-certitude, c'est qu'il est très probablement impliqué dans le milieu de la drogue.

— Pourquoi dites-vous cela?

- Parce qu'à cause de nos problèmes de personnel, il n'a pas eu d'anesthésie. Il s'est réveillé pendant que je retirais les balles. Il n'a pas bronché. Même en descendant de la table d'opération, pas le moindre tressaillement. Personne ne peut gérer une telle douleur comme ça, à moins d'être sous l'effet d'une substance.

- Il ne pourrait pas être simplement plus coriace que la moyenne?

Ça lui tira un petit reniflement amusé.

— Personne n'est aussi coriace que ça.

— Avez-vous remarqué des signes particuliers? Des cicatrices? Des tatouages?

- Franchement, j'étais plus concentrée sur le fait de sauver sa vie que sur son apparence. Déso-lée.

- Si vous le revoyez, vous pouvez m'appeler?

Il lui tendit sa carte et elle la mit dans sa poche.

- Pourquoi il vous intéresse?

- Un homme s'est fait tirer dessus. Nous aimerions découvrir qui en est responsable.

- Vu qu'il n'avait pas envie de rester dans les parages, à votre place, je regarderais pour voir si ce n'est pas une histoire de gangs.

Ce genre d'activités était en hausse dernièrement.

- C'est probable que ce soit le cas, mais si une guerre des gangs couve dans cette ville, nous préférerions la tuer dans l'œuf avant qu'Ottawa ne devienne Toronto.

La violence y était hors de contrôle à cause des condamnations laxistes et de l'accent mis sur les armes légales plutôt que celles qui ne l'étaient pas et posaient problème.

- Si j'étais vous, je garderais un œil sur la morgue. Il est parti avant que je puisse recoudre ses blessures ou même les bander. Il y a des chances qu'il se vide de son sang ou contracte une infection mortelle...

Elle haussa les épaules.

— Je garderai ça à l'esprit. Merci de m'avoir accordé votre temps, Docteur.

- Bonne soirée, Inspecteur. Bonne chance.

Il se tourna pour partir mais s'arrêta et demanda, l'air de rien :

— J'ai entendu dire qu'un loup s'est baladé dans vos couloirs hier soir.

Elle renifla.

- Il n'y a pas de loup en ville, juste des gens qui prennent de gros chiens pour des loups à cause de la pleine lune.

Les lèvres du policier frémirent.

— C'est sûr que ça rend les problèmes un peu touffus. Merci.

La nuit passa sans rien de plus palpitant qu'à l'habitude : des gens qui vomissaient à cause d'une intoxication alimentaire, des appendices qui explosaient, des accidents de bricolage, ce qu'elle ne comprenait jamais. Genre, mais qui pensait qu'utiliser une scie circulaire à trois heures du matin était une bonne idée? Elle avait hâte de se détendre avec trois jours de congé après avoir enchaîné huit services nocturnes a la suite.

Brandy passa leurs quinze minutes de pause à parler du bel inspecteur et sembla extrêmement satisfaite qu'il ait écrit son numéro de portable au dos de sa carte de visite.

— Au cas où j'ai besoin de le contacter, ajouta-t-il avec un sourire ravi.

Maeve ne fit pas remarquer qu'il voulait sans doute dire « à propos de l'affaire ».

Elle partit vers sa voiture en sentant déjà le goût du verre de vin qu'elle allait se servir. Elle avait hâte de siroter ça en lisant quelques chapitres de son livre. Alors qu'elle approchait de sa place sur le parking du personnel, elle remarqua quelqu'un appuyé à son pare-chocs. Elle ralentit et sortit son télé-phone, prête à appeler les secours, quand l'homme leva la tête. Elle mit sur le compte des nouvelles lumières du parking la façon dont ses yeux brillèrent, luisants comme ceux d'un animal. Le bas de son visage était couvert par un cache-col.

Plutôt que de lui parler, parce que seule une idiote s'amuserait à faire ça toute seule sur un parking à six heures du matin, elle fit demi-tour et repartit d'un pas brusque vers l'hôpital, pour s'arrêter presque aussitôt alors que quelqu'un se dressait sur son chemin. C'était un autre type, mal rasé et habillé de façon presque identique au type devant sa voiture, avec du cuir. Son masque ressemblait à une tête-de-mort.

Elle leva son téléphone devant elle.

- N'approchez pas. J'appelle les flics.

En réalité, elle avait appelé le service de sécurité de l'hôpital, car ils étaient plus près.

- Vous êtes le Dr Friedman?

Elle se glaça en entendant son nom. Elle fit volte-face pour se tourner vers le premier type qui ap-prochait.

— Qui êtes-vous? Qu'est-ce que vous voulez?

— Où est le carton?

— Quel carton? demanda-t-elle, perdue.

— Ne joue pas les idiotes. L'avocat a dit qu'il l'avait envoyé au Dr Friedman à Ottawa.

— Je suis désolée, mais il y a erreur sur la personne. Je n'ai reçu aucun colis et je n'en attends pas. Vous avez vérifié le traçage du paquet?

Elle resta calme et essaya de faire diversion par rapport à cette drôle d'accusation.

- Il l'a envoyé en recommandé. Par accident. Et maintenant, on aimerait le récupérer.

— Je suis désolée, mais je ne peux pas vous aider.

L'homme pencha la tête.

— Tu n'as pas intérêt à mentir.

- Je n'ai aucune envie de recevoir des paquets de la part de gens qui pensent que c'est acceptable d'accoster une personne sur un parking.

Elle ne put retenir cette rebuffade. Elle était devant l'hôpital, son lieu de travail, et voilà qu'elle se faisait harceler pour quelque chose qui n'avait rien à voir avec elle. Elle voulait juste rentrer chez elle, bon sang.

- Je te trouve bien hautaine. Tu penses qu'être toubib te rend supérieure à nous?

— Je sauve des vies. Vous pouvez en dire autant?

Alors que l'aube commençait à éclairer le ciel, elle sentit son courage monter. Il y aurait bientôt des gens qui arriveraient.

- Il y a trop de gens sur cette planète, si tu veux mon avis, déclara le premier type en passant ses pouces dans les boucles de sa ceinture.

- C'était quand la dernière fois que tu as parlé à Théodore Russell?

- Hein? s'écria-t-elle sans avoir besoin de feindre sa perplexité.

— Théodore Russell. Ton père. C'est quand la dernière fois que tu as eu des nouvelles?

— Je ne l'ai jamais rencontré.

Il était parti quand elle était petite.

- Demande-lui si c'est elle qui a sauvé le cabot hier soir, intervint l'autre homme d'une voix nasale.

— Je sauve beaucoup de vies.

C'était la pure vérité.

- Ce type aurait dû mourir vu le nombre de balles qu'il s'est prises.

Le type devant elle leva la main et mima un tir au pistolet. La jeune femme sentit son sang se gla-

cer.

— C'est vous qui lui avez tiré dessus?

— Avec l'aide de mes amis.

Une réponse terrifiante. Un bruit lui fit tourner la tête et elle repéra Bourru et encore un autre type qui la flanquaient. Ils dissimulaient tous les trois leur visage.

Ce n'était pas bon.

- Je vous conseille de partir maintenant. La police arrive, annonça-t-elle à voix haute en espérant que la personne qui avait répondu à son appel comprendrait le message.

— On ne va pas te faire de mal, pas aujourd'hui. Mais on va te donner un petit avertissement ami-cal. La prochaine fois que ce connard ou un membre de sa meute miteuse se pointera dans ton hosto, ils n'ont pas intérêt à en sortir, à moins que ce soit dans un sac en plastique. C'est bien clair?

— Je ne compte pas laisser quelqu'un mourir sur ma table d'opération parce que vous avez un problème avec cette personne.

— Alors ça veut dire qu'on va devoir faire gaffe à ne pas se louper la prochaine fois.

Elle ne pouvait qu'imaginer le sourire malfaisant qui accompagnait cette voix.

- Eh, vous, qu'est-ce que vous faites, là, à harceler notre personnel?

Maeve aurait pu s'effondrer de soulagement alors que Benedict les rejoignait en courant, une main sur son holster.

- Allons-y, les gars, décida le chef de la bande.

Mais avant de suivre ses amis, il lança à Maeve :

— Si tu reçois le paquet, dépose-le au Grendell. Et ne va pas t'amuser à le garder, ou la prochaine fois, c'est peut-être toi qui te retrouveras avec quelques trous dans la peau.

Le type partit à la suite de ses amis alors que Benedict, un homme d'un certain âge, arrivait à ses côtés en soufflant.

- Ça va, Dr Friedman?

Pas trop. Mais elle hocha la tête et répondit :

- Oui. Merci d'être venu à la rescousse.

- Pas de soucis. Putain de toxicos. On va devoir faire plus de patrouilles. Hors de question qu'ils harcèlent le personnel.

Elle ne corrigea pas son hypothèse. Surtout parce que leur menace ne rimait à rien. Pourquoi aurait-on pensé qu'elle était impliquée dans quoi que ce soit d'illicite? Parce qu'elle n'avait aucun doute que, quoi que cette boîte contienne, ce ne devait pas être très légal. Et puis, à part une petite frappe, qui s'amuserait à menacer un docteur et lui ordonner d'aller à l'encontre du serment d'Hippocrate?

Quand quelqu'un arrivait à l'hôpital, le pourquoi du comment de leur état n'avait pas d'importance. Elle avait le devoir de faire tout ce qui était en son pouvoir pour sauver la vie de la personne.

Ce qui lui rappela l'inspecteur. Elle ferait vraiment bien de le contacter et lui dire ce qui venait de se passer. Aller au commissariat, faire une déposition, répondre aux questions et sans doute regarder des photos de suspect : ça prendrait des heures.

Soupir. Le ciel n'en finissait pas de s'éclaircir, ce qui ne faisait que souligner sa fatigue. Et pour quoi? Elle n'avait pas envie d'être impliquée là-dedans. On l'avait simplement prise pour quelqu'un d'autre. Elle n'avait pas de colis en sa possession.

Benedict la raccompagna jusqu'à sa voiture. Elle roula tout droit jusqu'à chez elle et utilisa la télécommande de la porte du garage pour s'y glisser en regardant dans son rétroviseur tandis qu'elle se refermait, soudain parano à l'idée que quelqu'un entre à sa suite. Elle se débarrassa de sa veste, son sac à main, et ses chaussures qu'elle déposa sur le plateau en caoutchouc à l'entrée. Elle faillit tomber à la renverse quand la sonnette retentit.

Une voix résonna :

- Il y a quelqu'un à l'entrée.

Plutôt que d'ouvrir la porte, elle se plaça à la fenêtre pour jeter un coup d'œil. Une camionnette de livraison était garée devant, et le chauffeur était déjà en train de s'éloigner de chez elle, les mains vides. Alors que la camionnette repartait, elle ouvrit la porte et trouva un colis dépourvu de toute indication à l'exception de son adresse sur le dessus, écrite à la main, avec son nom.

M. Friedman.

L'espace d'une seconde, elle revit ces types sur le parking. Effrayée, tout à coup, elle tira le paquet à l'intérieur et verrouilla la porte. Appuyée au chambranle, elle fixa le colis.

Une coïncidence, c'était possible.

Du vin. Avec du vin, ça irait mieux. Les mains tremblantes, elle retira le bouchon d'une bouteille de sauvignon.

Elle en avala une grande rasade en marchant autour du colis qu'elle avait placé dans son salon.

Les rideaux étaient tirés, comme si elle craignait d'être épiée.

C'était ridicule. Le quartier était sûr. Même si elle ferait bien de faire réparer son alarme. Trois des capteurs aux fenêtres avaient besoin d'être changés.

Elle entama un second verre, plus lentement, et alla chercher un couteau pour couper le scotch qui maintenait les rabats du carton. Elle les souleva et trouva un second carton à l'intérieur, et une enveloppe qui lui était adressée, avec le nom d'un cabinet d'avocat embossé dans le coin en haut à gauche.

Bon, ça commençait à devenir bizarre. Elle prit une gorgée de vin et tint l'enveloppe dans sa main tandis qu'elle contemplait la boîte à l'intérieur de la boîte. La seconde ressemblait à ce qu'on voit dans les bureaux d'avocat : en carton, avec un couvercle et des poignées. Elle souleva le couvercle pour jeter un œil : des dossiers et d'autres trucs. Sur le dessus était posée une feuille de papier pliée.

Avec un vertige soudain, elle laissa retomber le couvercle et prit quelques gorgées de vin supplémentaires avant d'ouvrir l'enveloppe avec le logo du cabinet d'avocat. À l'intérieur, une lettre dactylo-graphiée. Ce qu'elle disait? Son bon à rien de père était mort. Et ses affaires étaient dans la boîte.

Oh bon sang, non. Comme si elle en avait quelque chose à faire que l'homme qui avait donné son sperme pour la créer soit mort. Elle ne le connaissait pas et elle n'avait pas envie de commencer à le connaître maintenant.

Elle attrapa la boîte et marcha vers la porte d'entrée, prête à la jeter dehors. Mais elle s'arrêta. Et si, plus tard, elle regrettait de s'en être débarrassée? D'avoir perdu l'occasion d'en découvrir davantage sur son père? Peut-être qu'elle ferait mieux d'attendre un peu et de prendre le temps d'y réfléchir.

Elle descendit la mettre à la cave. Hors de sa vue. Hors de son esprit.

Le verre de vin qu'elle descendit ne calma pas le tremblement de ses mains et elle eut bien du mal à s'endormir. Quand ce fut enfin le cas, elle bascula dans un sommeil agité, peuplé de cauchemars où des monstres la poursuivaient, s'assurant qu'elle se sente pire au réveil qu'au coucher.

En buvant son café, qu'elle aurait mieux fait de s'administrer en intraveineuse, elle appela Brandy.

— Je ne vais pas pouvoir venir voir ce film ce soir. Je suis épuisée. J'ai pas réussi à dormir.

- J'ai entendu dû dire que tu t'étais fait accoster sur le parking.

— Qui te l'a dit?

Brandy renifla.

- Benedict l'a dit à Darcy qui l'a dit à tout le monde.

— J'ai eu la trouille.

Elle ne mentionna pas la boîte ni son père.

- Benedict a dit qu'il demanderait davantage de sécurité.

- Et on lui dira non parce que Peabody est un gros radin.

— Je suis sûre qu'on n'a pas besoin de s'inquiéter. Ces types voulaient surtout me donner un aver-tissement.

- Par rapport à?

- Grosso modo, j'aurais dû laisser mourir notre victime de blessures par balles. Apparemment, il n'était pas censé sortir de là sur ses deux jambes.

- Oooh, fascinant.

Maeve pouvait presque voir les yeux ronds de Brandy alors qu'elle s'écriait :

— Je me demande pourquoi ils veulent sa mort.

- J'en sais rien. Et je m'en fiche.

- C'est évident que tu ne t'en fiches pas, sinon tu aurais dormi, remarqua Brandy, futée. Habille-

toi.

- Pourquoi? Je t'ai déjà dit que je n'étais pas d'humeur à aller voir un film.

— J'ai entendu. Et ce n'est pas pour ça que je viens te chercher. Il faut que tu te détendes et, tu as de la chance, je sais exactement où aller pour ça. Lanark Leaf. Ils vendent du cannabis.

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