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Partie 4

La cérémonie est terminée. Je me fais conduire dans la chambre par mes tantes. Elles me demandent de me dévêtir, chose que je fais sans broncher, puis me conduisent dans la douche pour le bain rituel. Il ne reste plus que quelques heures avant de quitter cette maison, cette même maison qui m'a vu grandir, qui m'a vu mûrir, qui est témoin de ma complicité avec mon frère Youssouf, mon aîné de cinq ans, et ami en même temps. Youssouf a toujours été présent pour moi. C'est grâce à lui que je fréquente l'école aujourd'hui. Je me rappelle quand j'étais petite, j'aimais le suivre à l'école, il faisait le CM1 et son instituteur ne m'a jamais interdit l'accès à sa classe. Un jour, pendant la récréation, l'instituteur appela mon frère pour lui demander pourquoi je n'étais pas scolarisée. Il lui répondit que c'est à cause du fait que baba disait que l'école des blancs arrachait la bonne éducation aux jeunes filles et que lui sa fille ne sera pas scolarisée. Ensuite, il me demanda si je voudrais bien aller à l'école comme les enfants de mon âge, ce à quoi je répondis que oui. C'est ainsi qu'il vint voir ma famille pour ma scolarisation. Ce ne fut pas chose facile, mais possible. Je fus plus tard inscrite en classe préparatoire première. Mes débuts ne furent pas faciles, mais grâce à Youssouf, je pus m'en sortir. Il m'assistait dans mes devoirs et révisions, et cela, avec bonne foi. Il m'aime beaucoup et ne manque pas de me le dire. C'est l'homme de ma vie, et je l'aime plus que n'importe qui sur terre.

Je suis assise au salon sur un tabouret en bois, au milieu de la grande assemblée, vêtue d'une large et longue robe blanche ; un long voile blanc recouvre ma tête et mon visage. Tous les regards sont fixés sur moi. Mon père prend la parole.

- Ce soir Kindy, tu es devenue une femme mariée, une femme responsable, et tu dois agir dorénavant conformément à ce statut. Si hier, tu étais encore une fille qui pouvait se permettre des caprices, aujourd'hui, tu es une femme qui porte désormais sur ses épaules des responsabilités très lourdes, et cela, pour le restant de ta vie. Et ces responsabilités, quel que soit leur poids, tu dois pouvoir les supporter. Tu es maîtresse d'une maison, d'un foyer. À toi d'instaurer le respect chez toi-même afin que ton entourage te respecte. Tu es gardienne des trésors de ta maison ainsi que des secrets de ton mari, sache les garder précieusement. Respecte ton mari et fais en sorte que ses plaintes à ton sujet ne soient que très peu, pour ne pas dire inexistantes. Sache que ton paradis, c'est ton époux. Agis bien envers lui, montre lui le bon comportement. À bon entendeur salut. J'en ai fini.

-Mariama Kindy Kaba, renchérit Papa Amidou, pour ajouter sur ce que ton père vient de dire, sache que désormais, tu dois te mettre en tête que tu es mariée. Tous les yeux seront fixés sur toi. Ici, nous t'avons inculqué les bonnes manières, exploite les autant que possible. Jamais tu ne dois désobéir à ton mari, ni lui manquer de respect. Et quels que soient ses défauts vois les comme des qualités. Tu n'as nullement le droit de sortir sans demander l'autorisation à ton mari. Ici, nous avons des droits sur toi, là-bas, c'est lui ton tuteur légal. Quelles que soient ses plaintes sache que tu n'auras jamais raison.

C'est au tour de ma mère de poursuivre ses propos.

-Ce ne doit pas être facile pour toi de vivre tous ces moments, commence-t-elle, mais tu dois t'y faire, c'est ainsi que le veut la tradition, la religion aussi.

J'ai envie de lui dire que la religion n'y est pour rien dans la décision des parents, qu'en matière de religion il n'y a pas de contraintes, tout s'effectue par consentement mutuel, que les parents n'ont pas à décider de l'avenir de leurs enfants ; mais aucun son ne sort de ma bouche, c'est comme si j'avais perdu la faculté de parler. Alors je préfère l'écouter parler. C'est d'ailleurs la seule chose que je sais faire.

-Ton mari sera ton pilier dorénavant. Tu devrais donc lui obéir. Tout ce qui se passera entre les murs de ta maison ne devrait pas en sortir. Tu es son épouse, et tu es celle qui doit maintenir le foyer au chaud. Le foyer heureux ou malheureux ne dépendra que de toi. Obéis à ton mari, et remplis ton devoir conjugal avec lui comme il se doit. N'accepte jamais de dormir sachant qu'il est en colère contre toi. Sois clémente. Sa famille est ta famille, occupe toi d'elle comme tu le fais avec nous. Ta vie se trouve là-bas, alors ne la gâche pas. Dès ce soir, tu seras une femme, et tu devrais te comporter comme tel. Ne nous déshonore pas.

-Aujourd'hui, tu te dis que tu es malheureuse, enchaîne ma tante, mais cela te passera très vite. Dis-toi que tu n'es pas la seule femme dans cette situation, ni la première, ni la dernière. Concentre-toi sur ton foyer, et sois souriante même quand ça ne va pas. Ne laisse personne voir ton malheur sur ton visage, ou ta tristesse. Ne laisse pas le voisinage savoir ce qui se passe dans ta maison, ni ce qui se trouve dans ta marmite. Sois patiente et aie confiance en Dieu.

-Maman, dis-je d'une voix hésitante.

-Oui, ma fille.

-Qu'en serait-il de mes études ?

-Écoute ma fille, c'est un sujet dont tu discuteras calmement avec ton époux. À lui de décider s'il va te laisser poursuivre ou non tes études.

-Tu sais Kindy, me dit ma tante, ta charge revient à ton époux. Continuer ou stopper tes études ne devrait pas avoir d'impact sur ta vie, car ton mari s'occupera désormais de toi. Le but de poursuivre tes études est de trouver un emploi. Une situation stable. Ton mariage aussi t'apportera pareil. Par contre si tu ne veux pas rester sans travailler, tu pourrais lui dire de t'inscrire à une formation professionnelle, apprendre un métier.

À quoi m'attendais-je ? Après un mariage arrangé il était clair que mes études seraient mis en suspension. Youssouf avait dit qu'il ne laisserait personne mettre en péril mes études.

Je balaie la salle du regard à la recherche d'un soutien. Mon regard croise celui de Youssouf qui était d'ailleurs stupéfait, avant d'être envahi par une grande colère qu'il maîtrise mal. Je vois ses veines se dessiner sur son crâne, et les poings qu'il serre.

-Il est hors de question que Kindy stoppe ses études pour qui que ce soit, dit Youssouf en essayant de ne pas hausser le ton. Elle n'a pas fait tout cet effort pour se retrouver déscolarisée.

-Tu n'as pas ton mot à dire Youssouf, dit baba calmement.

-Si, j'ai mon mot à dire, rétorque-t-il, depuis le début de toute cette histoire vous avez choisi son destin, ce mariage arrangé, vos décisions prises en accusant la religion. Aucune religion n'approuve un mariage sans consentement mutuel des conjoints. Kindy l'a accepté juste pour vous faire plaisir, pour ne pas avoir à vous désobéir, elle a sacrifié son bonheur pour vous ; maintenant vous voulez lui interdire l'instruction, le seul espoir qu'il lui reste ? Quel genre de parents êtes-vous ?

-Je t'interdis de nous parler ainsi, hurle papa Amidou. De quel droit te permets-tu de nous manquer du respect ?

Je regarde une seconde fois Youssouf dans les yeux, le suppliant de ne pas aggraver les choses. Il comprend et change de ton.

-Baba, Papa Amidou, je vous en supplie à genoux (joignant la parole à l'acte), laissez Kindy continuer ses études, c'est la seule chose qu'elle désire. Parlez-en à son mari pour qu'il accepte. Plus que quelques années et elle finira.

-M'borin, intervient ma mère, accordez lui cette faveur, je crois que son mari n'y verra pas du feu.

Baba et son frère se murmurent des mots à l'oreille, puis acquiescent.

-C'est d'accord, je lui en parlerai.

-Merci baba, merci, dis-je soulagée.

-Il est temps de partir, Kindy, les amis de ton époux sont venus te chercher.

Je vois ma mère se cacher le visage avec son voile. Elle pleure et ne veut pas laisser paraître. J'ai le cœur lourd, je pleure à mon tour. Je réalise combien cette maison va me manquer. Mon frère me regarde, il a les yeux rougis. Il me serre fort dans ses bras et me chuchote à l'oreille que, quoi qu'il se passe, il sera toujours présent pour moi. Je sens ses larmes sur mes épaules, je pleure de plus belle. J'embrasse mes frères, et les autres. La séparation est très douloureuse. Je sens quelqu'un me tirer vers l'extérieur. Ce doit être l'un des amis de mon mari. Il me fait introduire dans la voiture puis démarre.

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