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Partie 5

Deux mois se sont écoulés depuis mon mariage, deux mois durant lesquels je pensais incessamment à ma famille, et à ce vide que je ressens tous les jours, au fond de moi, et cela, malgré toute l'attention que me portait mon époux. D'ailleurs, j'ai été très surprise par ses marques d'affection à mon égard, je le trouvais plutôt doux et tendre. Je ne peux, par contre, pas en dire de même de ses deux premières épouses qui m'ont ouvert les hostilités dès mon arrivée dans cette maison et me font faire leurs différentes corvées. Je n'ose pas les contester, à cause de la différence d'âge. Et je n'ose non plus pas me plaindre à mon mari, pas suite à leur menace de me pourrir la vie si j'ose le faire, je n'aimerais pas qu'il me trouve trop capricieuse, ou paresseuse. Je joins difficilement mon foyer et mes cours, mais je n'ai pas le courage de me plaindre, par peur qu'il me demande d'abandonner. Youssouf vient me voir de temps en temps, et je profite au maximum de sa présence. Il m'aide souvent dans mes corvées, même s'il me reproche à chaque fois le fait que je me laisse trop faire par mes co-épouses.

-Tu vas finir par user tes côtes à force de trop de corvées, me dit-il. Je ne sais vraiment pas ce que tu as à te laisser faire.

-Que voudrais-tu que je fasse moi ? Elles ont à peu près l'âge de notre mère. Je ne peux pas m'opposer à elles.

-Elles n'ont rien de notre mère. Ce sont tes coépouses et elles aussi doivent participer à certaines tâches, tu n'es pas leur bonne à tout faire voyons. Elles ont des filles pourquoi ce n'est pas à elles de les faire au lieu de toi ?

-Ça ne me dérange pas du tout.

-Oui, mais moi ça me dérange. Écoute Kindy, je comprends que tu ne veuilles pas te heurter davantage à leur hostilité, mais pense à ton bien-être, et puis quelque soit l'effort que tu feras elles ne le reconnaîtront jamais, elles se diront toujours que tu es dans l'obligation de le faire, et tu ne trouveras plus d'issue pour te sortir de cette situation, crois-moi.

-Kindy, tu as fini de remplir les cuves ? Me demande Asta, la seconde épouse, d'un ton qui se veut prioritaire.

-Non, pas encore.

-Que fais-tu tout ce temps ?

-Je suis en train de remplir, je vais finir dans quelques instants. C'est pourquoi ?

-Ça ce n'est pas ton problème, occupe toi de ta cuve, me dit-elle en tournant les talons.

-Qu'est-ce que je disais tout à l'heure ? Reprend mon frère.

-Oui, je sais, mais je n'y peux rien.

-Continue à ne rien pouvoir y faire, me dit-il d'un ton agacé.

-Comment ça se passe pour toi à l'école ? Me demande-t-il plus calmement.

-Ça se passe plutôt bien, mais ce n'est pas trop facile. Je n'arrive pas à rendre tous les devoirs, souvent, j'en arrive à les oublier. Certains professeurs m'ont fait des reproches à ce propos.

-Tu vois Kindy, c'est ce que j'essaie de t'expliquer depuis tout ce temps, tu es trop saturée avec tous ces travaux ménagers. Tu dois passer le brevet cette année et tu ne peux pas risquer d'échouer. Toi-même, tu sais très bien comment nous avons fourni des efforts pour ta scolarisation, et comment nous avons fourni les efforts pour que baba parle avec ton mari afin qu'il te laisse terminer tes études et t'assiste financièrement. Si tu échoues cette année qu'est-ce qui te garantie qu'ils te laisseront aller à l'école ? Tu leur aurais donné suffisamment de raisons pour qu'ils te déscolarisent. Penses-y Kindy. Les autres ne voient pas la femme d'influence que tu serais à l'avenir. Ceux qui voient ton succès venir en sont jaloux et sont prêts à l'étouffer, c'est là que j'interviens, pour leur en empêcher. Et toi, tu dois m'insuffler cette force en te battant pour ta réussite. Penses-y Kindy.

Tout ce qu'il dit est vrai, et je commence à prendre conscience de la gravité de la situation. Il a raison, il faut que je me batte pour ma réussite, que je me concentre davantage sur mes cours. Mais je ne sais toujours pas comment approcher mon époux pour lui en parler sans qu'il ne voit pas d'inconvénient.

-Écoute Kindy, tu n'as pas à te faire des soucis, tu trouveras la meilleure approche pour lui faire part de ton inquiétude, me dit-il comme s'il avait lu dans mes pensées.

-Oui, tu as raison. Je vais réfléchir sur comment lui expliquer.

-Et puis n'oublie pas, les examens sont dans deux mois au plus tard, les cours seront intensifs, donc c'est le bon moment de lui en parler et de le lui faire comprendre, ne retarde pas les choses.

-D'accord, lui répondis-je, lasse de l'écouter. Je te sers à manger ? Lui demandai-je pour changer de sujet.

-Tu n'avais pas l'intention de m'exploiter sans me faire manger, je suppose ?! Me répond-il en rigolant.

-Très drôle.

Youssouf est parti il y a peu, et je repense sans cesse à notre discussion de la journée. Je range mes quelques vêtements qui traînent dans mon panier à linge, puis me couche dans l'intention de me reposer. J'observe ma chambre, elle est minuscule, bien trop par rapport à mon ancienne chambre, et, en plus de cela, elle est délabrée, comme le reste des pièces de la maison d'ailleurs. Les murs sont juste crépis, sans aucun ajout d'une quelconque couche de peinture, les canaux des fils d'électricité sont visibles, quelques carrés des plafonds sont manquants ou tombants, et les antivols des fenêtres ne sont pas encore mis ; c'est comme si la maison avait été construite il y a longtemps, mais inachevée, et surtout abandonnée à elle-même. La chambre est constituée de paniers dans lesquels je range mes vêtements propres et sales et quelques affaires, ainsi qu'un matelas posé sur des cartons à même le sol ; au salon, il y a ma vaisselle disposée sur une table, ainsi que quelques denrées alimentaires, des tabourets, des fourneaux et une chaise dans laquelle s'assoit mon mari, puis une terrasse à ma convenance, sans balustrades. Je ne suis pas de nature très intéressée par les biens matériels, mais je trouve que je vaux bien mieux que ça.

La première fois que je suis entrée dans cette maison, je ne prêtais pas un grand intérêt au décor, j'étais préoccupée par autre chose ; j'étais toute tremblante et apeurée à l'idée de ce qui se passerait la nuit de mes noces. Cette même nuit qui m'a pris mes rêves, mes espérances, mes caprices. Je me rappelle comment j'étais ce soir-là, habillée dans cette robe blanche traditionnelle, le regard baissé, pas d'humilité, mais de déception, de désillusion, attendant sans vraiment le vouloir, cet homme qui viendra s'emparer de ma peau encore fragile, mais rebelle. Mes tantes jouaient les vigiles dehors, craignant certainement une fraude lors de la défloration, tandis que je criais toute la douleur de mon être par cette intrusion assez brutale et barbare, ce qui ne le stoppa pour autant pas dans l'accomplissement de son devoir orgueilleux qui n'animait ni passion ni sentiment. Je me rappelle le dégoût que je ressentais, et la colère du lendemain lorsque les femmes sont venues chanter et danser les éloges de la femme vierge la nuit de ses noces, mais meurtrie que j'étais et qu'elles feignaient d'ignorer sans doute. Depuis toute petite, je nourrissais l'idée de me marier avec un homme jeune, dont je serai amoureuse, un homme que j'aurais volontairement choisi d'épouser, un homme qui ressemblerait à Youssouf ; la vie m'en a réservé tout le contraire de mes espérances, alors je n'avais que mes yeux pour pleurer les larmes de mon corps, signe de ma faiblesse, de mon impuissance.

-Mamadi, dis-je d'une voix hésitante à l'homme assis en face de moi en train de dîner avec grand appétit.

-Hum

-Je voudrais te parler, mais je n'aimerais pas que tu prennes mal ce que je dirai.

-C'est à propos de quoi ?

-De mes cours en relation avec mes travaux domestiques.

-J'ai du mal à te suivre, sois plus explicite.

-En fait, sans vouloir te vexer, je joins difficilement mes cours aux tâches journalières et j'aimerais si possible être soulagée de mes corvées.

-Kindy, j'ai été très strict lorsque j'avais accepté ta volonté de poursuivre tes études à condition que tu ne manques point à tes obligations conjugales, et tu as promis de respecter ce contrat, je suis déçue de savoir que tu souhaites rompre ta promesse.

-Je me suis fait mal comprendre.

-Fais-toi bien comprendre alors.

-Les examens approchent, et le temps des révisions deviendra extensif, je serai en situation de classe jusque tard dans la soirée, avant l'approche du crépuscule, je me disais qu'au lieu que je fasse toujours les mêmes activités tous les jours, pourquoi ne pas les faire deux ou trois fois par semaine ?

-Kindy, trouve toi un temps dans la journée pour faire ce que tu as à faire, ma décision reste la même. Si tes cours t'empêchent de remplir correctement tes obligations, tu seras dans l'obligation de les abandonner. Une femme, c'est son foyer, les cours, c'est juste une imposition des blancs pour nous distraire rien d'autre. Je ne suis pas instruit, pourtant, je gagne bien ma vie. Fais-en pareille, tu verras. Dans tous les cas, à toi de voir, soit tu abandonnes l'école, soit tu trouves une solution à ce dilemme.

Ce soir, j'ai passé une nuit mouvementée, je n'arrivais pas à trouver le sommeil, je cogitais sans cesse, essayant de trouver une solution. Bien que sa réponse fut prévisible, j'eus du mal à l'encaisser. C'est clair, il cherche une seule opportunité pour me sortir des bancs. L'unique solution est de réduire mon temps de repos, à moins qu'il accepte que je me trouve une fillette qui pourrait m'aider dans l'accomplissement de mes tâches. Ça risque d'être rude, mais le combat vaut le coup d'être mené.

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