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Partie 2

La cloche vient de sonner, signifiant ainsi la fin des cours. Les élèves, dans un brouhaha incontesté, sortent des classes, complètement épuisés de la journée, pour enfin rejoindre leurs différents domiciles. Certains, par contre, forment des groupes de jeux ; d'autres, un peu à l'écart des petits, se rencontrent pour leurs idylles. À pas rapides, dans une démarche féminine, Kindy s'avance d'un pas déterminé vers la sortie pour emprunter la route du marché, comme elle a l'habitude de le faire chaque jour après les cours.

On remarque très vite que Kindy est une habituée des lieux, car, à peine est elle présente, les vendeuses commencent à l'appeler par-ci par-là.

-Bonsoir Tanti, dit la jeune fille de façon respectueuse à la vendeuse de poissons.

-Bonsoir ma fille. Tu voudrais acheter du poisson pour combien ?

-Pour 25.000 francs, ça fera combien de poissons ?

-Six normalement, mais je t'offre le septième.

-Merci Tanti.

Et ainsi de suite elle continua les achats jusqu'à finir.

***

-Bonsoir maman, dit-elle à sa mère une fois rentrée à la maison.

-Bonsoir ma fille. Tu as fait le marché ?

-Oui, les achats sont dans la cuisine. Et baba ?

-Il se repose dans sa chambre.

-Les autres, sont-ils là ?

-Oui, tes tantes et oncles sont dans leurs chambres. Ils doivent être en train de se reposer.

-D'accord. Je leur dirai bonsoir lorsqu'ils seront tous au salon. Je vais aller prendre une douche.

-Ne dure pas ma fille, il est déjà 17 heures. Le repas doit être prêt avant le crépuscule.

-Je ferai vite maman. Dis-moi, Youssouf est-il rentré ?

-Non pas encore.

-Et Ismaël ?

-Ismaël était là tout à l'heure, il doit être sorti aller jouer au football avec ses amis, comme à son habitude.

-D'accord. Je file vite me laver, j'arrive dans un instant.

La cuisine est terminée, maman s'occupe de servir les couverts tandis que moi, je pars vite me rafraîchir la peau avant la prière du crépuscule. Lorsque je sors de la douche, je vois ma mère assise dans mon lit, l'air grave.

-Maman, dis-je d'une voix qui laisse paraître de la peur.

-Assieds-toi ici, me dit elle en tapant la place à côté d'elle.

Je la regarde droit dans les yeux, puis je fronce les sourcils avant de m'exécuter.

-Il y a un problème maman ? Dis-je inquiète.

-Kindy, depuis ta plus tendre enfance je t'ai enseigné comment une femme devrait se comporter, je t'ai appris à bien te tenir debout, à marcher, à parler, à rire, à cuisinier, à travailler. Et bientôt toutes ces choses tu les mettras en pratique pour toi-même, dans ton foyer, et ailleurs aussi. Tout à l'heure ton papa nous conviera à une réunion de famille. Tu l'écouteras parler, et tu acquiesceras. Je ne t'ai jamais appris à contester lorsqu'on te parle, alors je n'aimerais pas que tu le commences aujourd'hui. Tu m'as bien compris ?

Je me contentais juste d'acquiescer en guise de réponse.

-Bien, sois prête avant que ton père n'envoie quelqu'un pour te chercher, me dit-elle en sortant de la chambre.

Avec ma mère, je n'ai pas très l'habitude de m'exprimer. Ni avec personne d'ailleurs, sauf avec mon grand frère Youssouf. Ce que ma mère vient de me dire me laisse avec une marre de pensées dans la tête. Une seule explication claire dans tout ça, ils veulent me donner en mariage. La question que je me pose, c'est à qui veulent- ils me marier ? Je n'ai pas osé le demander à ma mère. Je fais vite ma prière et attends patiemment dans ma chambre que quelqu'un vienne me chercher.

Une dizaine de minutes après, quelqu'un toque à la porte.

-Kindy, Kindy !

C'est Ismaël, mon jeune frère de onze ans.

-Entre, Ismaël.

-Kindy, baba m'envoie te chercher.

-Oui, je sais. J'arrive dans un instant.

J'avance vers le salon à pas lents. Tout le monde est déjà installé. Je m'installe à mon tour sur le sol, à côté de ma tante Djènè, la jeune sœur de ma mère. À ma droite, à côté de Tanti Djènè, ma mère Aminata, une jeune femme brave à qui les durs travaux ménagers ont ôté sa jeunesse pour un vieillissement précoce, allaite Ousmane, mon jeune frère d'un an et quatre mois. À côté d'elle, ma tante Aïcha, l'épouse de mon oncle Kader, le jeune frère de mon père. À ma gauche, sont assis ma tante Sogbè, l'épouse de mon oncle Amidou, et mon oncle Kader. En face de nous, dans le grand sofa, sont assis mon père Amadou et son frère Amidou. En effet, mon père et son frère sont des jumeaux de deux mères différentes mais nés le même jour d'un même père. Dès leur première année, leur père avait décidé qu'ils vivraient dorénavant avec leur tante, sa grande sœur, afin qu'ils aient tous les deux la même éducation. Pourtant, lorsqu'on n'énonce pas ce fait, personne ne pourrait se douter qu'ils ne sont pas monozygotes tellement la ressemblance est flagrante, à la seule différence que mon oncle est un peu moins foncé que mon père et qu'il a les yeux d'un marron clair qui contraste avec son teint. Jamais l'un n'entreprend quelque chose, aussi insignifiant soit-il, sans demander l'avis de l'autre.

L'ambiance qui règne au salon est électrique, tous les yeux sont rivés sur le sol.

Mon père se racle la gorge, signe qu'il s'apprête à rompre le silence.

-As salam aleykoum Rahmatoullah Wa Barikatouhou, commence-t-il.

-Wa aleykoum salam Wa Rahmatoullah Wa Barikatouhou, répondons-nous.

-Alors, Chers Frères et sœurs en Islam, si nous vous avons convié à cette réunion, c'est pour vous apprendre que Dieu est en train de mettre la baraka dans notre famille.

-Alhamdoulillah.

-Cet après-midi, mon frère Amidou et moi avons reçu la visite de Sidikiba, notre ami d'enfance, vous le connaissez tous ici n'est-ce pas ?

-Nam.

-Il est venu en toute paix, accompagné d'une délégation, nous apporter la baraka selon la religion et selon les traditions.

-Nam.

-La baraka qu'il nous apporte, ce sont ces noix de cola qui sont emballées dans ce papier kaki, et les dix pagnes africains que voici, ainsi qu'une somme d'argent de quatre millions de francs guinéens, dit-il en montrant le panier qu'il dépose au milieu du salon.

Tout le monde applaudi. Mon père poursuit.

-Ce panier comme je vous l'ai dit, est venu en guise de bénédiction, car le jeune frère de Sidikiba, Mamadi, souhaiterait prendre Kindy que voici comme sa troisième épouse, nous lui avons donné notre aval. Le mariage religieux sera scellé dans deux semaines, quant au civil, ça serait au couple d'en décider.

Mon Dieu, l'information avait du mal à passer dans mon cerveau. Je m'attendais bien sûr à la nouvelle, mais j'ignorais complètement que je devrais épouser un homme qui est plus âgé que ma maman, et qui plus, est marié à deux femmes de même âge que ma mère. C'était trop pour ma tête. Je regarde ma maman d'un regard suppliant, pour lui demander de réagir. Elle aussi me fixe dans les yeux, impuissante, mais me défend du regard de dire quoique ce soit. Je crois que ma tête va exploser. Je prends congé auprès des aînés, prétextant un mal de tête, avant de m'enfuir dans ma chambre, les laissant débattre sur l'importance du mariage. C'était plus fort que moi. À peine suis-je rentrée que je me suis laissé emporter par mon impuissance face à la situation, face aux traditions, face à la religion...

J'entends quelqu'un toquer à ma porte. C'est Youssouf, mon frère ; je le sais car il me supplie de lui ouvrir la porte au risque de la défoncer. Je suis trop faible pour lui répondre. Face à son insistance, je finis par céder.

-Je suis au courant de la nouvelle, j'ai écouté la conversation aux portes, commence-t-il.

-Youssouf qu'est-ce que je suis censée faire ? Ils parlent de traditions, ils parlent de religion. Ils choisissent ma destinée sans mon avis. Que suis-je censée faire ? Dis-je au bord du désespoir.

-Place ta confiance en Allah, mon cœur, Il te guidera.

-Je le sais. Mais c'est trop dur. Est-ce Lui qui a choisi cette destinée pour moi ? Ils décident de me marier à un homme qui est plus âgé que ma mère et dont les deux épouses pourraient avoir le même âge qu'elle.

-Je suis tout autant que toi blessé par cette décision Kindy, crois-moi. J'aimerais pouvoir faire quelque chose pour toi, mais je suis tout autant impuissant que toi.

-Youssouf, comment ferais-je pour continuer mes études ? Et s'il ne me laisse pas continuer que, ferai-je ?

-Je ne permettrai pas que quiconque joue avec tes études. Tu es un talent Kindy, et tu as du talent. Ça serait dommage de voir mourir ce talent. Je parlerai à mère afin qu'ils te laissent continuer tes études.

-Youssouf, je suis tellement si triste, et désespérée.

-Ne désespère pas Kindy. Le désespoir est une œuvre du diable. Sois forte et patiente. Viens pleurer ta tristesse dans mes bras.

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