Chapitre 3
-La voix de Kader se répandit dans le wagon et son sourire s'élargit lorsqu'il vit Nadia le quitter des yeux et la conduire à la fenêtre.
Ses petites mains délicates enserraient sa robe, mais son visage ne reflétait à aucun moment qu'elle était mal à l'aise en sa présence.
"Comment pouvait-elle s'en sortir tout le temps ?" se demanda Kader, tandis que des rires lui échappaient au souvenir du visage de la reine.
Bien sûr, s'ils voyageaient tous les trois, ils seraient dans un seul carrosse, mais comme il avait demandé à son frère de l'accompagner pour affaires, le risque était trop grand pour qu'ils soient tous dans le même carrosse.
Ils devaient avoir au moins pour se camoufler, deux autres véhicules avec des soldats, et beaucoup plus de chevaux que ce qui était prévu pour le départ.
Et bien sûr, Saravi n'allait pas renoncer à accompagner son mari pour s'asseoir avec Nadia.
Tout s'était parfaitement déroulé. Et son mensonge d'impliquer Kalil dans ce qu'elle avait à faire au village, elle devrait l'assumer le moment venu. Maintenant... maintenant il allait devoir fixer ce visage pendant une heure entière.
-Je n'ai rien dit ", son regard se porta sur sa bouche rosée qui était maintenant entrouverte et son visage prit un air renfrogné qu'il ne put empêcher. Cette sensation était de nouveau là, toutes ses pensées et son envie de la haïr disparaissaient lorsqu'il la regardait ainsi.
Et elle était coupable. C'était à cause de sa façon de le regarder et de pénétrer dans son âme qu'il se sentait comme il se sentait en ce moment....
-Votre Majesté ? demanda-t-elle avec étonnement, ce à quoi Kader répondit en secouant la tête.
-J'ai été distrait...
Nadia acquiesça et, pendant un moment, il vit qu'elle voulait lui dire quelque chose. Et cela l'effraya un peu. C'était la première fois qu'ils étaient seuls aussi longtemps, et qu'il n'y avait pas de guerre entre leurs paroles et leurs regards. L'espace d'un instant, son regard dépourvu de contrariété le mit à l'aise, alors qu'il avait pour consigne de ne pas le faire.
Il devait la repousser autant qu'il le pouvait.
-Monsieur..." insista encore la dame, mais son froncement de sourcils la fit reculer.
Monsieur ? Vous me faites paraître vieille, quel âge avez-vous ?
Nadia cligna un peu des yeux, confuse, pourquoi voulait-il savoir quoi que ce soit sur elle ?
S'il avait dit à Saravi qu'elle s'en sortirait quand il apprendrait qu'elle partait seule avec Kader dans une calèche, c'était uniquement pour atténuer la tension évidente entre eux. Elle ne voulait pas être un point de discorde entre la famille, surtout quand elle avait surpris une conversation à bâtons rompus en allant chercher un manteau pour le départ.
-Ton frère dépasse les bornes ! -s'exclama Saravi, exaspérée et le visage rouge. Je ne sais pas pourquoi il s'obstine à humilier Nadia, Kalil, et cela me fait bouillir le sang qu'il veuille la rabaisser dès qu'il en a l'occasion !
La main du roi se posa sur sa joue.
Calme-toi... je vais trouver un moyen de lui parler. Je connais mon frère, je sais qu'il est prétentieux et qu'à certains égards, il essaie d'être à la hauteur de ce que mon père lui a appris.
-Je suis désolée de te mettre dans cette situation... Je ne veux pas de fractures au sein du palais, nous avons traversé beaucoup d'épreuves," la reine s'approcha de lui, prit son visage puis embrassa la commissure de ses lèvres.
Il est immature, il s'en sortira... Il trouvera une femme, et il aura quelqu'un dont il pourra s'occuper, croyez-moi...
Leurs rires, au lieu de réjouir le coeur de Nadia, la rendirent triste ; elle savait ce qu'elle devait faire à partir de maintenant. Et si cette fête lui apportait un mari qui la sortirait de ce palais, amen à cela.
Elle ne serait pas une nuisance dans ce palais, ni la controverse quotidienne d'une famille qui en a assez. Encore moins pour la personne qu'elle aimait le plus et qui l'avait amenée jusqu'ici.
Il était temps de grandir, de grandir, et de partir...
J'ai 20 ans..." répondit-elle, sortant de ses souvenirs et le fixant cette fois-ci, détaillant chaque partie d'un visage qui, détendu, était beau à ses yeux.
L'espace d'un instant, elle se dit que s'il avait un autre type de caractère, ses yeux la regarderaient différemment, et elle se sentirait plus à l'aise en sa présence. Mais c'était idiot de penser à une telle chose.
-Eh bien... je ne suis avec toi que depuis 8 ans..." Kader ne savait pas pourquoi il était nécessaire de lui dire cela. D'ailleurs, il était très étrange que Nadia soit si calme maintenant, c'était comme si elle était découragée, et comme si rien n'avait d'importance pour elle.
"Mais pourquoi, qu'est-ce qui lui est arrivé ? Est-ce qu'il s'est inquiété pour elle ?"
-Je veux dire... pour qu'il m'appelle "Monsieur".
Nadia hocha la tête, regarda la route et revint vers lui.
-Ne vous inquiétez pas, votre majesté.
La mâchoire de Kader se serra et pendant quelques secondes, il laissa son regard croiser le sien, jusqu'à ce qu'il voie la bouche de Nadia s'ouvrir à nouveau. Et oui, elle avait quelque chose à lui dire, alors elle retint son souffle dans sa poitrine et s'empressa de dire ce qu'elle avait à dire.
-Votre Majesté... Je suis désolée qu'il y ait une situation entre nous," elle fit une pause et reprit sa robe, laissant voir à Kader qu'elle était nerveuse malgré l'absence d'expression sur son visage.
Ce sérieux, cette façon d'agir, lui semblaient exquis, et bien qu'il n'ait aucune idée de ce qu'elle allait dire, il était toujours enchanté par cette bouche qui se contractait et se pressait de temps en temps.
"Qu'est-ce que ça ferait de la goûter ?" un frisson lui parcourut tout le corps à cette idée, et il dut s'agiter sur son siège avant de s'éclaircir la gorge.
-Quelle situation ? -Il se ridiculisa en posant la question.
Nadia fronça les sourcils, confuse, et l'on pouvait deviner qu'une certaine contrariété l'envahissait, car ses joues devinrent un peu rouges. C'était le moment le plus spécial pour lui, où son visage et ses taches de rousseur contrastaient avec ses cheveux roux. Et pendant un instant, elle se demanda s'il était le seul à la rendre ainsi.
De votre désapprobation, bien sûr, de ma position sur la couronne", fut-elle si directe que sa bouche se tordit en une grimace, mais elle continua néanmoins. Vous n'êtes pas le seul à être mal à l'aise. Je sais que votre famille ressent d'une certaine manière ce malheur, et plus important encore pour moi, la reine.
-Cela n'a rien de personnel. C'est une question d'éthique..." répondit Kader, "Et de protocoles... ce que la reine fait avec vous est mal vu, cela passe tous les critères qui ont été établis dans la couronne. Et même si je sais que c'est un problème pour beaucoup, j'aime suivre les règles, Nadia. C'est peut-être le problème des gens dans le monde, ils aiment contourner les règles, d'où les difficultés. Et pour faire court, tu les as vues de près toi-même.
Les yeux de Nadia se sont un peu voilés. Parfois, l'inconvénient n'est pas de ne pas se donner une chance, la complication est que les gens ne vous en donnent jamais.
-Je sais," elle expira et décida de regarder dehors. Ne vous inquiétez pas... Je ne serai bientôt plus dans vos vies.
"Peut-être, mais Kader ne se sentait pas bien après avoir entendu ces mots. En ce moment, il pouvait contempler que quelque chose commençait à peser sur ses épaules et même s'il avait envie de lui poser mille questions, il préférait se taire, ravaler ses hypothèses et laisser le courant suivre son cours, correct et parfait.
Le chemin était très court à la perception de Nadia qui était perdue dans ses pensées, et bien que le prince était en face d'elle et la regardait à certains moments, elle préférait se souvenir de ce livre qu'elle lisait, où cette jeune fille vivait une vie heureuse.
"Pourrait-elle connaître le même sort ? Bien sûr que non. Elle n'épouserait pas non plus son mari par amour. Elle ne pouvait donc que lever les yeux au ciel et prier pour que la vie lui rende un peu la pareille, comme elle l'avait fait pour sa sœur d'âme.
Saravi avait épousé un homme qu'elle n'aimait pas et maintenant elle était très heureuse. Plus heureuse qu'elle n'aurait pu l'imaginer.
-Nadia... nous sommes arrivés," elle entendit sa voix grave et se retourna rapidement tandis que des hommes ouvraient la porte de l'extérieur.
-Votre Majesté, soyez la bienvenue ! -Un valet de pied s'inclina devant le prince qui s'inclina à son tour.
Il sortit rapidement du carrosse et se tourna vers elle pour lui prendre la main.
Les yeux de Nadia s'écarquillèrent de stupeur et elle fixa sa main pendant une seconde, puis, sans aucune hésitation, elle posa sa paume sur la sienne.
Pendant un instant, son corps s'est arrêté, et la seconde suivante, son cœur a pompé le sang dans tous ses courants nerveux, jusqu'à ce que ses joues deviennent chaudes. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était soudainement devenue si nerveuse, mais elle dut se commander mentalement de continuer, et de sortir du carrosse pour pouvoir libérer sa main de la poigne ferme du prince.
En posant les pieds sur le trottoir, elle tenta de s'arracher à sa main, mais celle-ci se resserra. Elle n'eut d'autre choix que de lever la tête, car Kader était beaucoup plus grand qu'elle.
-Et sur ces mots, elle vit Kader lui faire un clin d'œil, puis se mettre à marcher avec une bande de gardes dans son dos.
C'était la première fois qu'il s'adressait à elle personnellement et non pas de manière isolée. C'était la première fois qu'elle se sentait si petite qu'elle avait envie d'éclater partout pour entrer dans quelque chose, et c'était la première fois que quelque chose d'aussi simple que cela lui donnait le vertige et la faisait respirer par petites bouffées.
Elle se sentait toujours irritée en sa présence. Elle a toujours éprouvé une certaine répulsion, elle a même cru qu'elle le détestait. Puis elle s'était dit qu'il était stupide de s'attarder sur ce sentiment et avait décidé de rester soumise à son comportement, afin que l'intensité de sa tension diminue. Mais maintenant qu'il s'agissait pour un moment de quelque chose de "cordial", cela rendait ses pensées confuses.
Une chose devait cependant être claire pour elle, c'est que le prince était repoussé par elle, et que son séjour au palais et la position dans laquelle Saravi voulait la mettre, était inconcevable pour lui.
-Madame..." Un valet de pied s'approcha en s'inclinant. La reine vous attend à l'intérieur de ce manoir, elle vous demande d'entrer immédiatement.
Nadia regarda autour d'elle, elle n'était pas au centre d'Angkor à proprement parler, mais à quelques kilomètres du lieu de vente et de commerce. Elle imaginait qu'il s'agissait de l'emplacement de quelques hommes de renom qui préféraient vivre plus près de leur village, afin d'exécuter les instructions de la couronne.
Le manoir qu'il apercevait à présent était assurément très beau, et luxueux.
Aussi, lorsque l'homme qui l'attendait en face d'elle lui tendit son bras crochu, elle l'accepta et pénétra dans les lieux, tout en cherchant partout où le prince avait disparu...