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Chapitre 4

Kimmy

Le lendemain matin, je me lève tôt, comme à mon habitude.

En effet, avoir une routine quotidienne m'est nécessaire pour avancer. J'en avais besoin pour

remonter la pente après ce qu'il m'est arrivé, et maintenant cadrer ma journée me rassure.

Alors sitôt mon réveil, j'enfile un survêtement et pars faire un jogging de trente minutes, pas une de plus et sans dévier de mon parcours habituel. Même si cela peut sembler rébarbatif, je ne me lasse pas de fouler le somptueux décor de la baie de Sidney et de son port qui lentement s'éveillent, j'en suis à chaque fois émerveillée.

J'aime la quiétude du moment, sa solennite, sa splendeur, sa douceur...

Après ces instants de magie alliés à la rigueur que j'inflige à mon corps quotidiennement, je rentre. Désormais, je ne ressens plus aucune douleur. Mon corps s'est habitué à l'effort que je lui demande chaque matin. C'est mon rituel et, à l'instar de mon café, je ne peux plus m'en passer. Une fois ce dernier avalé et douchée, je prends la direction de la pâtisserie sans manquer de jeter un œil aux alentours et de remarquer le même véhicule, un SUV garé au même endroit que la veille, non loin de chez moi, à seulement quelques mètres à l'angle de ma rue. Je suis devenue fine observatrice depuis que je traîne toutes ces casseroles. C'est donc avec méfiance que je foule le trajet qui me mène à mon travail, mais je ne repère rien de suspect ni d'anormal.

Je reste sur mes gardes la journée, passant mon temps à observer plus finement que d'habitude les clients, les passants... Je suis distraite et commets quelques erreurs. Je me trompe sur les commandes, renverse un thé sur une table (sans brûler personne, heureusement) et je finis par me couper à la fin de mon service. Même s'il remarque ma maladresse ainsi que mon manque de sérieux, Logan, mon collègue, ne me fait aucun commentaire, et c'est bien ce que j'apprécie chez lui. Il n'hésite pas a me donner des coups de main ou a taire mes bavures comme c'est le cas aujourd'hui auprès de sa mère, la pâtissière et accessoirement la patronne de La Renaissance. Cette dernière est avant tout une histoire de famille et à la mort de son mari, il y a de cela quelques années, elle a fait le choix de continuer, mais même avec l'aide de son fils, elle ne pouvait plus tout assurer seule. On peut dire que ie suis tombée à pic et que ce boulot a été une aubaine pour moi, presque un miracle providentiel.

C'était ça ou ma vie, déjà pas trop folichonne à ce moment-là, me mettait une nouvelle claque en étant à deux doigts de me jeter sous les ponts. Lauren m'a offert cette chance.

Si je n'avais pas poussé la porte de ce salon de thé à l'époque pour acheter un latte en guise de

repas...

Au-delà du fait d'avoir obtenu un emploi, Lauren m'a appris énormément en pâtisserie. Elle m'a insufflé la force nécessaire pour continuer à me battre, partageant son savoir, sa force et son tempérament de feu tout en m'offrant un renouveau tant espéré.

Souvent, il m'arrive de passer de l'autre côté de la porte, dans son laboratoire, pour l'aider à confectionner ses petites merveilles, parce que c'est véritablement ce dont il s'agit. On approche de Tart culinaire, ses gâteaux sont si fins, si délicats, si goutus que les clients sont nombreux à ne pas hésiter à faire des kilomètres pour se laisser tenter.

En fin d'après-midi, je suis occupée à servir un couple de touristes attablé en terrasse lorsque mes yeux se posent furtivement sur un homme se trouvant à quelques mètres, non loin de moi, sur le trottoir d'en face. Je suis surprise de croiser son regard qui me fixe sans ciller. Je ne sais pas si je peux dire que j'ai un pressentiment ou un sixième sens, mais je sens tout de suite qu'il n'est pas là par hasard, et ce constat me glace le sang. Il ne ressemble pas aux touristes qui flânent dans la rue à cette heure-ci, ni aux travailleurs qui, après avoir terminé leur journée de boulot, rentrent chez eux sans un regard pour personne.

Je jette un œil aux alentours pour tenter d'apercevoir une quelconque raison a sa présence, comme promener son chien ou encore une tenue de joggeur, mais rien. Je ne vois rien autour de lui qui justifierait quoi que ce soit en ce sens. Lorsque la seconde suivante, je cherche cet homme des yeux, il n'est plus là. J'inspecte les environs rapidement mais ne l'aperçois nulle part avant d'être interrompue par la dame assise à la table que je viens de servir : - Mademoiselle, mademoiselle... tout va bien ?

Je m'excuse et réponds de maniere evasive avant de les laisser a leur dégustation. Je viens une nouvelle fois de briller par mon étrangete, mais s'il y a bien une chose qui ne me dérange plus, c'est celle-ci. Si ma singularité dérange, cela m'indiffère. J'ai appris à ne plus porter d'attention à ce genre de détail. Désormais, je vis ma vie sans faire de cas de ce que les gens pensent de moi. Encore une fois, même si l'illusion et le mensonge sont monnaie courante dans mon ancienne sphère, ce n'est plus mon credo a présent.

Les faux-semblants, très peu pour moi.

Je reste perturbée mais tâche de reprendre mes esprits pour continuer correctement mon service.

Ce que je parviens à faire au bout d'une bonne heure, lorsque la fatigue de la journée se loge dans le bas de mon dos et que mes mains tremblent d'avoir été trop sollicitées. Heureusement pour moi, les clients sont presque tous partis et, d'un commun accord, Logan accepte de s'occuper d'eux tandis que je commence à nettoyer et à tout préparer pour le lendemain.

Un peu avant la fermeture, le tintement de la clochette annonçant l'arrivée d'un client me fait sursauter et, lorsque je lève les yeux vers la porte, Dana fait son entrée. Elle salue mon collègue en lui faisant la bise, ne manquant pas de faire de même à ma patronne avec une bise imaginaire en entrebaillant la porte menant aux cuisines. On peut dire qu'elle a ses habitudes ici, sa bonne humeur légendaire n'a pas manqué de conquérir toutes les personnes qui travaillent à La Renaissance, et même quelques habitués, c'est pour dire.

« Partout où elle passe, le monde trépasse », elle a une sainte horreur quand je dis ça... Mais c'est un fait, Dana fait partie des personnes qui, en société, sont toujours appréciées et ce, quoi qu'elles fassent. À peine se pose-t-elle à sa table favorite que Logan lui apporte son thé ainsi qu'une pâtisserie.

Qu'est-ce que je disais ? je pense tout en levant les yeux au ciel.

- Logan, si tu continues à la choyer de la sorte, La Renaissance & the cafe risque de devenir

son QG, ie ne peux m'empêcher de lui dire en levant mon nez de la tâche que l'exécute.

- Ce n'est pas déjà le cas ? lance-t-il à la volée

Il rentre dans mon jeu, la charriant un peu plus, et je pouffe de plus belle.

- Touché, j'ajoute en lui faisant une œillade.

- Vous êtes vilains tous les deux. Avouez plutôt que je vous manque quand je ne suis pas là

On se regarde Logan et moi avant de nier en bloc.

- Tu veux rire ? il läche.

- Plutôt crever ! je poursuis.

Au même instant, Lauren, qui devait sans doute nous écouter, nous rejoint et déclare d'un ton

ferme pour donner le change :

- Elle est encore là, dites-lui que l'on ferme...

Nous éclatons de rire devant la spontanéité de mon mentor et la mine stupéfaite de Dana.

Dommage que je n'aie pas mon téléphone à portée de main parce que ce moment mériterait d'être immortalisé. Lauren nous rejoint alors, s'esclaffant bruyamment à son tour tandis que son fils et moi repartons de plus belle.

L'expression « muette comme une carpe » n'aura jamais eu autant de sens qu'en cet instant.

Dana referme sa bouche puis, les lèvres pincées, s'attarde dans la contemplation de sa tasse tout en feignant d'être vexée tandis que nous continuons tous à rire comme des baleines.

Elle avale plusieurs gorgées de sa boisson avant de rompre son silence:

- Lauren, sous vos airs de dure à cuire, je sais pertinemment que vous m'appréciez. Comment

pourrait-il en être autrement ? tente à nouveau Dana.

- Je vous laisse, les jeunes, mon four vient de sonner, ment effrontément Lauren avant de

s'éclipser dans son antre.

- Un jour, je l'aurai, poursuit mon amie qui croque à pleines dents dans son gâteau.

Elle gémit de plaisir tout en avalant sa bouchée.

- Elle et moi, c'est une évidence, marmonne-t-elle pour elle-même. Elle a beau être exécrable

avec moi, ses gâteaux sont exquis. Je reviendrai toujours ! crie-t-elle à l'intention de Lauren.

- C'est officiel, ma pote est timbrée, je chuchote tout en m'affairant derrière le comptoir.

- Peut-être, mais moi je l'aime bien, et ma mère aussi.

Je suis surprise que Logan me réponde. Je ne pensais pas avoir été entendue.

- Difficile de ne pas l'aimer. Elle a ce « je ne sais quoi » qui pousse les gens à s'attacher. Puis

en plus d'être une amie sincère, c'est une personne extraordinaire.

Je m'acharne à nettoyer une tâche imaginaire sur le plan de travail luisant qui est depuis un moment déjà impeccable tandis qu'il s'occupe de compter la recette du jour à l'aide de la caisse enregistreuse.

- Je connais une autre personne comme elle, lumineuse, ajoute-t-il, hésitant, avant de

reprendre, mais la différence c'est que Dana ne se cache pas et ne repousse pas les autres.

- Logan, l'interpelle Dana, mettant ainsi fin à notre échange des plus étranges.

Je ne sais pas si c'est une heureuse coïncidence ou non, mais son intervention tombe à pic. Je n'aime pas beaucoup parler de moi et c'est précisément là où la conversation était en train de dévier.

- J'ai réussi à convaincre Kim de sortir ce soir.

- Cool, fait-il, peu enjoué, tout en me jetant un coup d'œil.

- On pourrait se faire ça un de ces quatre tous ensemble, tente-t-elle d'une douce voix qui ne me

dit rien qui vaille.

- Dana ! je m'emporte alors en sortant de mon silence, soudain gênée.

- Ben quoi ? Logan est sympa et vous vous entendez bien tous les deux.

Dana... Ce n'est pas ça le problème. Tu sais que je n'aime pas sortir, je la fustige tout en

adressant un sourire contrit à mon collègue.

Logan est adorable. II est prévenant, gentil et c'est un beau garçon, c'est vrai. Je vois le manège de ma meilleure amie arriver gros sur moi sans que rien ni personne ne puisse l'arrêter. La tornade Dana est incontrôlable. Inutile d'essayer. Elle connaît mon passé, elle sait comment je suis devenue, plutôt hostile à toutes les choses qui se rapprochent de près ou de loin à mon ancienne vie. Aussi, j'aimerais bien savoir quelle mouche l'a piquée pour pondre un stratagème de la sorte. Le pire, dans tout cela, c'est que je ne pense pas que Logan serait opposé à cette idée. Il y a dans son comportement, son attitude envers moi des signes qui ne trompent pas. Il m'apprécie, c'est un fait, mais ce n'est plus pour moi tout cela. Je suis vaccinée contre les autres, contre le reste du monde Désormais. c'est seulement Dana et moi avant toute autre chose même si en ce moment je serais bien tentée de l'étriper.

Dana et Kimmy sont dans un bateau. Dana tombe à l'eau. Oups ! Qui reste-t-il ?

- J'ai bien réussi à te faire céder aujourd'hui, me rabroue-t-elle sans prêter attention à mon

regard incendiaire. Ce soir, c'est le mien, dit-elle à Logan, mais la prochaine fois, tu pourrais te joindre à nous ?

- Oh cette fois, c'en est trop ! je m'emporte en jetant mon tablier sur l'espace derrière moi.

Logan, je te laisse fermer si tu veux bien, j'ouvrirai demain, je lâche sans lui laisser le soin de protester

outre mesure.

Je marmonne sans pouvoir me retenir tellement je suis hors de moi. II y est question de

muselière, d'abandon et d'étouffement...

Je passe devant mon amie que je saisis au vol par le bras et l'entraîne à ma suite.

Je l'entends rouspéter puis capituler avant de saluer mon collègue qui ne nous quitte pas des yeux. 

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