Chapitre 3
Kimmy
Encore une journée harassante !
Je ne supporte plus mes baskets et je n'ai qu'une hâte, celle de pouvoir les ôter en arrivant chez moi. Allez, Kim, ne lâche rien, plus que quelques pas, je m'encourage mentalement tout en accélérant le rythme. Machinalement et comme un vieux réflexe, j'enfonce davantage mon bonnet et baisse la tête à l'approche de mon appartement. Avant de pousser la porte de l'immeuble, je regarde comme toujours à gauche et à droite. Ce n'est pas que mon quartier soit mal famé, loin de là. Quoique, personne n'est à l'abri de ce genre de choses ! On a tous une part de mauvais en chacun de nous, mais parfois celle-ci se révéle plus dangereuse chez certains, et croiser ce genre d'individus peut arriver à tout le monde. Et dans ces cas-là, le facteur « chance » est alors un atout non négligeable pour se sauver de ce type de situations.
Moi, qu'on se le dise, j'en suis dénuée.
La gentille fée a très certainement dû se tromper de berceau et viser celui d'à côté, ce n'est pas possible autrement, ou alors elle n'avait pas ses lunettes ce jour-là... la petite conne ! Mystère.
Toujours est-il qu'en ce qui me concerne, je n'en ai pas la moindre once, mais je me suis fait une raison. C'est pour cela que j'essaye au maximum d'éviter le danger. Ce qui n'est pas toujours le cas lorsque l'on s'appelle Kimmy HURLEY et que l'on s'avère être la fille de l'éminent sénateur HURLEY.
Croyez-moi ou non, mais les pourris sont partout, même bien plus proches que l'on ne croit, dans le cercle très serré du noyau familial. Je chasse son image parce que je ne tiens surtout pas à penser à lui. J'en ai plus qu'assez d'être condamnée à vivre et revivre inlassablement ces moments. J'efface mes sombres pensées si tant est que cela soit possible. On va plutôt dire que je les range bien profondément dans un coin de ma tête pour éviter de me rejouer mon malheur.
Une fois bien à l'abri dans mon deux-pièces, je balance mes Vans et enclenche une playlist sur mon portable qui résonne dans toute la pièce. La musique est ma thérapie pour m'occuper l'esprit, m'éviter de trop penser, et je dois avouer que cela marche parfois, un court instant. Chaque moment de répit est une victoire, aussi infime soit-elle
Comme à mon habitude, je me prépare un maigre dìner composé d'un petit sandwich et d'un thé
Me nourrir n'est qu'un besoin désormais et cela fait belle lurette que ie le fais par automatisme par égard pour mon amie Dana qui ne cesse de me le rappeler. Retomber dans mes travers n'est pas envisageable... Je reviens de tellement loin. Faire souffrir l'unique personne que j'aime, grâce à qui je tiens, est tout bonnement impensable. Je prépare mon plateau et file m'installer dans le salon, assise en tailleur à même le sol, le dos en appui contre le canapé, mes coudes reposant entre mon plateau posé sur la table basse. J'éteins la musique avant de lancer une série sur Netflix et me mets à grignoter mon repas devant la télévision, découpant de petits bouts de mon pain que je mâche lentement et posément.
Par automatisme, je vous dis...
Je ne loupe pas une miette de la scene qui se déroule sous mes yeux.
On se trouve à Londres pendant la Régence et l'héroïne qui est à la recherche d'un mari reçoit les foudres du journal à scandale de la haute société londonienne, sur fond de complots et de trahisons.
Alors que suspendue aux lèvres d'Éloise, je suis en passe de savoir qui est la mystérieuse, la talentueuse et pleine de répartie Lady Whistledown' qui écrit ces fameuses chroniques (la résolution de toute l'intrigue en somme), mon portable se met à sonner. Grrrrrr...
Je vois sur l'écran d'affichage le prénom de ma meilleure amie et hésite un centième de seconde
à répondre.
- Dana, je lâche un peu trop abruptement tout en mettant sur pause à l'aide de la
télécommande.
- Eh bien, je vois que j'ameute les foules. Je te remercie pour ton enthousiasme Kim, ça fait
chaud au cœur.
- Ce n'est pas ça, c'est juste que je regarde ma série là, je réponds, tentant de justifier mon
manque d'entrain.
Ah, j'ai halluciné quand j'ai su que Lady Whistledown était en réalité..., commence-t-elle,
lancée
- Un seul mot de plus et je t'étrangle, Dana ! je la coupe d'un ton dur.
Relax, baby, dit-elle en se mettant à rire. Je te fais marcher. Quoi de beau au menu de ce
soir ? m'nterroge-t-elle comme à son habitude
- La même chose qu'hier, je lâche en devinant très bien le sermon qui m'attend.
La même chose qu'hier, qu'avant-hier et qu'avant-avant-hier... Bref, tu vois ce que je veux dire. Et les légumes et les plats équilibrés, niet? Demain soir, je passe te prendre à La Renaissance et on file manger un bout ensemble.
- Dana, ce n'est pas mon truc tout ça, tu le sais, j'affirme, espérant me sortir de ce guêpier.
- Ce n'était pas une question, Kim.
- On peut peut-être prendre à emporter ou se faire livrer chez moi, j'essaye à nouveau.
- On sort, claque-t-elle d'un ton sans appel.
- Si ça peut te faire plaisir..., je baragouine.
- Oui, ça me fera plaisir de te voir manger un vrai repas et tu sais ce qui me ferait encore plus plaisir ? Te voir sortir plus souvent et faire avec toi des virées entre copines comme au bon vieux temps, me déclare-t-elle, nostalgique.
- Le bon vieux temps n'est plus, Dana... Et je te rappelle qu'il n'y a pas si longtemps, tu m'as
traînée dans les magasins.
- C'était il y a un mois, à ta demande donc, techniquement, c'est toi qui m'y as traînée.
- Tu rigoles ! En dix minutes, c'était plié, et j'ai fait une seule boutique. C'est toi qui as dévalisé
toutes celles de Pitt Street, je rétorque énergiquement.
- C'est bien ce que je dis, nos soirées entre copines me manquent. Tu me manques, ajoute-t-
elle le cœur lourd et la voix qui tremble.
- OK, tu as gagné. Va pour demain, je capitule, vaincue.
- Ah, top ! s'exclame-t-elle. Tu me laisseras te mettre du vernis à ongles sur les pieds ?
- N'exagère pas non plus, Dana, je réplique gentiment.
- Tu n'es pas drôle, mais j'aurai tout de même essayé. Tu sais, je ne désespère pas d'y arriver
un jour.
- Je le sais. Tu es plutôt obstinée comme fille, mais sur ce coup tu gaspilles de l'énergie pour
rien.le rassure
- C'est ce que l'on verra, renchérit Dana sur un ton bien trop sûr.
- Parfois tu me fais peur, Dana, tu sais ça ? je lâche avec sérieux.
- Ouaip, je sais, me répond-elle, lucide.
- Tu ne dis rien ? Tu n'essayes même pas de te défendre ?
- Non, pas la peine. Je sais que tu m'aimes comme je suis, à moitié folle. Et puis, je suis ta seule
amie. La seule, la vraie, l'unique Dana Rosenfield, crie-t-elle dans le téléphone.
- OK, j'ai saisi, je la coupe avant de murmurer : Une vraie psychopathe surtout.
Qu'est-ce que je disais, le danger et moi, on ne fait qu'un ?
- Je t'ai entendue. Continue et « la psychopathe » que je suis ne te raconte pas comment
Wendy s'est rendu compte de l'infidélité de Max, me menace-t-elle.
- C'est pas trop tôt. Ce type saute tout ce qui bouge depuis qu'il a découvert qu'il pouvait faire
autre chose que l'hélicoptère avec sa queue.
- Ah, ah, ah, pouffe-t-elle. Pas faux, mais avant de t'en dire plus, je t'écoute. Qu'as-tu à me
dire ?
Ô toi, Dana, dangereuse psychopathe et reine incontestée de mon monde, accepte mes plus
plates excuses, preuve de mon allégeance envers toi, je débite avec exagération.
- N'en fais pas trop quand même, un simple pardon aurait suffi, mais je l'accepte, vilaine
pécheresse.
Notre échange me fait sourire. Je profite de ce moment pour boire une gorgée de mon thé,
désormais froid, et grimace tout en reposant ma boisson devenue totalement imbuvable.
- Crache le morceau, je lui fais alors, reprenant le fil de la conversation.
- Mmm, autoritaire, vous êtes aussi maléfique que moi. Une vraie Ice Queen.
- Ice Queen, sérieux ? Tu veux me faire passer un quelconque message, Dana?
- Moi, jamais. Non, bien sûr que non. Je suis bien trop jeune et belle pour mourir. Bon, je
m'égare, se reprend-elle subitement, sentant le vent tourner et l'orage poindre au-dessus de sa tête.
Elle me raconte les malheurs de Wendy avant d'enchaîner sur d'autres informations concernant mon ancien groupe d'amis, ou devrais-je plutôt dire de vieilles connaissances étant donné avec quelle facilité ils n'ont eu aucun scrupule à me tourner le dos. Je ne peux empêcher mon esprit de partir loin... à quelques années de cela... quand ma vie tournait autour d'eux, les rencontres sur les plages, les nombreuses et opulentes fêtes, les garçons, les fringues et tout ça, sans se préoccuper de rien d'autre que de ma petite personne. C'est certain, ma vie était moins difficile, mais Dieu qu'elle était superficielle et triste à en crever.
Sil y a bien un truc que je lui dois c'est cette prise de conscience, parce que sans lui, jamais je n'aurais eu le cran, l'idée ou l'envie même de tout quitter pour tous les fuir.
L'argent, le pouvoir, la notoriété... changent, corrompent, pervertissent l'être humain, et cela peu importe le genre ou l'âge de l'individu. J'en ai fait les frais, je l'ai vu, j'étais de ceux-là, une gosse de riches issue des beaux quartiers à qui tout réussit. Le monde était à mes pieds et, croyez-moi ou non, il suffit d'un rien pour que le château de cartes s'écroule...
- Kim, tu m'écoutes ? m'interpelle ma meilleure amie.
- Toujours, je lui réponds, les pieds de nouveau sur terre.
Dana est toujours l'une d'entre eux, mais elle est la seule à ne pas m'avoir tourné le dos. C'est ma meilleure amie depuis l'enfance et nous avons grandi ensemble, voisines l'une de l'autre. Sans son soutien sans faille, je n'aurais certainement pas eu la force de me relever et de combattre. Sa loyauté, sa fidélité, son amour, son aide sur tous les plans... je lui dois tant.
Quand tu deviens le mouton noir, la bête à abattre, rares sont ceux qui te tendent la main. J'en ai fait l'amère expérience, mais c'est dans ces moments que l'on mesure grandement la sincérité des gens. La famille de Dana est moins bousillée que la mienne, attention, elle tient son lot de casseroles et je mentirais si je disais le contraire. Une maman fatiguée de s'exhorter à rester la femme et la mère parfaite, usée par les aventures de son mari. Un père marié à son boulot, qui entretient une relation extra-conjugale avec sa secretaire depuis bientot quinze ans. Cela ne dérange personne qu'il mêne une double vie et tout le monde ferme les yeux.
Bienvenue chez les hypocrites !
Mais je ne désespère pas que Dana passe de l'autre côté, celui beaucoup moins obscur de la force tant elle a un grand cœur. Lorsqu'elle aime vraiment, c'est sans faux-semblants... sans mesure...
Mes tourments, mes ennuis, mes bagages ne l'ont pas effrayée et c'est bien la seule. Aussi peut-être la laisserai-je un jour me peindre les orteils...
- Allô la lune ?
- Houston, on a un problème, je rétorque sans avoir écouté un traître mot de ce qu'elle vient de
me dire
- Mouais, je viens de te raconter que Max a été surpris en train de baiser une licorne bleue à
paillettes et il n'y a rien qui te choque là ! s'exclame-t-elle alors.
- Prise en flag, je lui avoue timidement.
- Pour info, c'était une pétasse brune qui n'a pas froid aux yeux, une nana qui partage le même
TD que lui il me semble, et qui connaît bien Wendy.
- Oui, je vois tout à fait le style. Encore un remake à la Wisteria Lane? où tout est beau sous le
soleil ou presque...
- J'arrive, s'égosille-t-elle dans le téléphone, m'arrachant un tympan au passage. Bon je dois filer, ma mère m'appelle. Elle a été choisie pour organiser le gala annuel du Castle Hill Country Club et elle est en stress total, mode hystérique.
OK, je te laisse choisir la couleur des nappes et des serviettes de table, je me moque
gentiment.
Même s'il fut un temps où ce genre d'événements me réjouissait... mais cette époque est bel et bien révolue. Je ne supporterais plus de les voir en peinture, alors lors d'une cérémonie, plutôt crever.
- Fais ta maligne. Je t'attends demain soir à la sortie de ton boulot. Mets des talons, please.
• Même pas en rêve, je rétorque sans réfléchir tandis qu'elle se met à pouffer, très certainement
déjà bien consciente de ma réponse.
- Et Kim ? m'appelle-t-elle une nouvelle fois
- Ouaip ?
- C'est PENELOPE !
Je comprends tout de suite où elle veut en venir en croisant l'image figée qui s'affiche sur l'écran.
- DANA ! je m'égosille tandis qu'elle raccroche en ricanant.
Je fulmine en regardant tour à tour mon telephone et la television.
Elle ne perd rien pour attendre celle-là, je pense alors. Non mais quelle garce ! Elle n'est pas près
de toucher à un seul de mes doigts de pied, moi je vous le dis !
Je porte une nouvelle fois mon regard sur mon portable, estomaquée par le comportement scandaleusement épique de ma Dana et sans me laisser une seconde de plus, je compulse furieusement un message a son intention.
Espece de sale gamine. Tu ne perds rien pour attendre
C'est pour ca que tu m'aimes.
Une flopée de smileys en tous genres suit son précédent message et je souris en imaginant son
visage fier en cet instant. J'envie parfois tant sa légèreté.
Tu n'es pas censée parler chiffons ?
Rabat-joie
S'ensuit alors un échange de SMS puériles et drôles avec en fond sonore ma série même si je connais la fin. Encore une fois, j'exècre le silence. Dieu que c'est bon de rire sans prise de tête. Durant l'heure, j'alterne entre le visionnage de Netflix et l'écriture, un peu farfelue je dois l'admettre, de textes tous plus barrés les uns des autres.
Ereintée, j'attends la fin de mon épisode pour aller me coucher.