09
Je le regardai depuis le miroir avant de me décalai légèrement. Je dirigeai mes yeux vers le jet d'eau d'un coup de menton, le fit dévier pile dans la figure de Mike.
- Non, Tess ! T'abuses !
Il parvint à en rire après s'être essuyé avec du papier toilettes.
Je finis par enlever mon pull. Heureusement que j'avais mis un tee-shirt noir en dessous. J'enfilai un nouveau jean que j'avais toujours dans mon sac, pour les éventuels incidents. Après m'être entièrement remise en état, je rentrai mes affaires souillées dans mon sac et ouvris la porte en l'effleurant de ma paume de main, Mike à ma suite. À peine me suis-je assise que ma sœur m'interpela :
- On a nettoyé à ta place.
- Ah, ouais. Désolée, répondis-je en m'asseyant.
Elya leva un sourcil mais s'abstint de toute remarque. Je replaçai une mèche de cheveux derrière mon oreille puis piquai une pâte dans l'assiette de May.
- Non Tess, vas chercher un autre plateau ! se défendit-elle.
- J'ai la flemme. C'est bon on peut partager !
Elle me regarda avant de lancer un petit pois à l'aide de sa cuillère. Je me couvris le visage avec les mains en riant.
U
Ne fois nos assiettes vides et nos ventres pleins, nous descendîmes dans la cour pour le temps restant avant nous cours. Nous avions un coin habituel qui avait vu passer nos chagrins et nos moments de joie. Il était isolé et peu de gens y venaient en sachant que nous en occupions toujours les places.
Malheureusement quand il fut à portée de vue, nous pûmes y distinguer des formes humaines.
- C'est nouveau ça, rétorqua Elya en riant.
- Faut croire qu'ils ont sauté sur l'occasion, admis Mike.
Il haussa les épaules et s'enquit de couler un regard à ma sœur et moi pour jauger notre réaction.
- Ils ne vont pas rester longtemps, grognai-je en me penchant vers May.
- Sois gentille Tess, m'avertit-elle.
Arrivés à hauteur du banc, je soupirai en reconnaissant Laïla et cinq amis à elle qui nous dévisageaient maintenant avec curiosité. Elle avait changé de tenue, troquant ses vêtements souillés contre un tee-shirt ample accompagné d'un jean noir troué. Son bonnet lui, n'avait pas bougé et recouvrait une partie de ses cheveux blonds qui retombaient sur ses épaules. Elle quitta des yeux son téléphone sans doute ayant constaté le changement d'atmosphère. Ses yeux rencontrèrent les miens.
- Encore toi ?! s'écria-t-elle.
- Je t'ai manqué ? demandai-je faussement.
- Qu'est-ce que tu veux ?
Son ton était froid et sec. Elle nous faisait bien comprendre qu'elle n'avait aucun temps à perdre en notre compagnie. Ses yeux changèrent d'éclat quand elle aperçut May. Elle ouvrit la bouche puis la referma ne sachant quoi dire.
- Miroir, hésita timidement Mike.
- Je crois pas qu'elle ait écouté grand-chose ce matin, déduit Elya en apercevant la blonde deviner de ma sœur à moi.
Cette dernière lança un regard noir à mon amie, qui ne sembla nullement effrayée.
- Non parce que je n'en ai rien à faire, répondit Laïla à sa remarque.
Sarah laissa échapper un rire méprisant. Elle vint se tenir à mes cotés. Sa main frôla doucement la mienne.
- Bon, qu'est ce que vous voulez ? s'impatienta Laïla.
Elle commença à bouger nerveusement la jambe. Mike essaya de calmer le jeu :
- En fait c'est un peu notre coin habituel mais bon c'est pas grave on va aller ailleurs, n'est-ce pas les filles ?
Je ne pris même pas la peine de le regarder. Je secouai simplement la tête pour lui communiquer mon refus. Je n'allais pas céder. Il dû le comprendre puisqu'il soupira d'exaspération.
- Oh ! Mais oui c'est une bonne idée vous allez aller ailleurs oui ! s'exclama Laïla en rallumant son cellulaire pour s'y replonger avec impolitesse.
Je me retins de lui coller une gifle intersidérale.
- Viens, on y va, chuchota May en me tirant le poignet.
Je ne voulais pas céder au chantage de cette fille. Je dégageai mon bras sèchement et ma sœur m'envoya une légère décharge cérébrale qui me fit sursauter de douleur.
- Tess… grognat-elle.
Laïla se joua de la situation. Elle ajouta sans prendre la peine de lever les yeux de son téléphone :
- Tu l'as entendue Tess ? Bouge.
Je me répétai que ce n'était qu'une coin, rien de bien grave. Je fis demi-tour avec hésitation et suivis mes amis vers les tables de pique-nique. Cette concession avait joué sur mon moral et m'avait demandé des efforts mais soit, une fois n'était pas la fin de tout.
Malgré tout, je m'autorisai une petite vengeance. En fin de journée, quand nous descendîmes les escaliers pour rejoindre les bus, j'attirai Sarah derrière un mur et lui intimai le silence.
- Quoi ? chuchota-t-elle.
J'attendis quelques minutes et vit enfin une tête blonde surmontée d'un bonnet. Je m'accroupis contre le mur et Sarah fis de même, la main sur ma cuisse. Mes yeux se focalisèrent sur Laïla puis j'eus une idée. Quand elle eut finit de descendre toutes les marches et qu'il y avait assez de monde autour d'elle, je levai un doigt pour défaire son lacet qui vint s'accrocher à son autre chaussure. Je refermai le poing pour former un nœud entre les deux lacets. Elle s'étala de tout son long non sans un cri de surprise. Sa chute attira les regards puis quelques rires fusèrent sous le préau. Sarah se mit aussi à rire puis elle me tapa dans la main avant de m'aider à me relever. Je m'attardai quelques secondes contre son corps puis lui demandai timidement :
- Tu viens dormir chez moi ce soir ?
Elle me sourit en posant une main sur ma joue.
- D'accord.
Je lui déposai un baiser sur le front en l'emportant vers la sortie pour rejoindre nos amis. Aussitôt qu'elle m'aperçut, May m'interpela :
- T'aurais dû voir comment Laïla s'est ramassé, c'était énorme !
Sarah et moi échangeâmes un regard malicieux. Je feignis l'innocence :
- Vraiment ? Oh, la pauvre.
May n'était pas dupe, elle comprit que j'étais en dessous de tout ça. Elle me frappa l'épaule pour seule réponse et nous nous dirigeâmes vers le trottoir en bavardant.
Je fis planer mon sac jusqu'à mon bureau. Sarah se laissa tomber sur mon lit, les bras en croix. J'envoyai rapidement un message à mon père comme quoi mon amie passait la nuit ici, ce à quoi il répondit par l'affirmative.
C'était un peu comme sa deuxième maison ici. Elle y passait plus de temps que chez elle et ça ne pouvait être que bénéfique. Ses parents ne pouvaient s'occuper d'elle convenablement. Son père rentrait saoul presque tous les soirs, traînant dans les bars jusqu'à presque trois heures du matin. Parfois, il s'en prenait à Sarah et elle avait souvent peine à trouver de bonnes excuses pour masquer ses couleurs. Sa mère était impuissante, elle n'osait pas tenir tête à son mari, par peur des représailles. Elle acceptait en silence. Plusieurs fois, j'avais essayé de convaincre Sarah pour qu'elle en parle mais elle ne voulait pas qu'il arrive malheur à sa mère. Elle était tout ce qui lui restait. Alors elle s'enfermait dans sa chambre, les écouteurs vissés aux oreilles en attendant que l'orage passe.
- Elle est bizarre la nouvelle tu trouves pas ?