Résumé
Prologue - Liah, debout !!!! Je sens une masse s'abattre sur mon dos en même temps que la voix de ma mère me parvient. - Tu es quel genre de femme ? Même le jour de ton mariage, tu dors ? Je grogne dans mon sommeil et me retourne. - Huuum ! - Fian ! Lève-toi. La coiffeuse est là. Je me redresse mollement sur le lit et me frotte les yeux pendant qu'elle sort de ma chambre. J'attends une minute, et quand je ne la vois pas revenir, je me recouche. Aah, c'est trop bien ! - LIAH !!! Merde ! Je me redresse en sursaut de mon lit. - Maman ! Elle me toise, le seau d'eau dont elle vient de renverser le contenu sur moi à la main. - Ça t'apprendra. Maintenant, lève-toi. Et elle sort de la chambre. Même si je voulais, je ne pourrais plus dormir, mon lit est complètement mouillé. Je sors donc du lit à contrecœur et retire les draps pour aller les mettre dans la machine à laver de ma salle de bains. J'en profite pour prendre une douche et me laver les dents. Quand je finis, je reviens dans la chambre enfiler un boubou léger et me mettre dans un coin pour prier. Si je pouvais, je ne ferais que ça, aujourd'hui, prier. Remercier le Seigneur de ce que sa promesse envers moi s'accomplit et qu'en ce jour qu'il a fait, je sois sur le point d'épouser l'homme qu'il a prévu pour moi. Mon Adam. Je passe environ une heure à genoux, à louer et à bénir mon Dieu, à chanter ses merveilles et à lui rendre grâce. Quand je sors de la chambre, je trouve ma sœur Delphine ainsi que mes amies Audrey, Agatha, Nathalie et Naomi installées dans le salon, en train de bavarder. - Ah, madame la dormeuse, fait ma sœur quand elle me voit arriver. - Fous moi la paix. Où est la coiffeuse ? - Elle n'est pas encore arrivée, il est à peine 7 heures. Quoi ? Ça veut dire que maman est venue me réveiller un peu avant 6 heures. Je ne comprends pas pourquoi cette dame me torture de la sorte. Tiens, la voilà qui entre dans la pièce, suivie de deux des domestiques portant des plateaux chargés de nourriture. - Maman, je l'interpelle, tu n'avais pas dit que la coiffeuse était là ? - Et tu as vu à quelle heure tu es sortie ? Si j'avais attendu qu'elle arrive vraiment pour te réveiller, on serait en retard. Je secoue simplement la tête. Ne jamais discuter avec maman. On a toujours tort. - Viens manger, ajoute-t-elle pendant que les filles disposent les plateaux sur la table basse, au lieu de tirer ta bouche comme un canard là. Tu seras toute moche pour ton mariage, tu vas voir. Je quitte le chambranle de la porte sur lequel j'étais adossée et m'avance dans la pièce. Nath me fait de la place près d'elle et je m'affale dans le fauteuil en soupirant. - Alors, reprend ma sœur, une fois les domestiques reparties, comment tu te sens ? - Bien. - Tu es sûre ? - Oui, je suis étrangement sereine. - Tu es trop bizarre, commente Delphine. Moi j'étais super stressée. - J'ai trop stressé avec cette histoire d'enfant. Je n'ai plus de réserves. - Mangez, coupe maman, au lieu de bavarder. Liah, ajoute-t-elle, Stanley a appelé. Comme à chaque fois que j'entends son prénom, mes mains deviennent toutes moites et je sens mon cœur s'emballer. - Il a dit quoi ? - Qu'il a hâte et qu'il t'aime. - Ooh, c'est trop mignon, fait Audrey. - Je t'assure, renchérit Naomi. A quand ma victoire ? - Tu veux que j'appelle Louis pour lui répéter ça, demande Agatha. - Si on peut plus plaisanter... Elles continuent à se chamailler pendant que moi, je suis perdue dans mes pensées. Aah, Christophe... Mince, j'ai super envie de lui parler, là. Mais, tradition oblige, on a été obligés de couper les ponts, depuis 3 jours. Mise au vert, qu'ils disent. - Maman, s'il te plaît, tu pourrais me rendre mon portable, juste pour deux minutes ? - Tu veux lui parler hein ? - Oui. Je lui adresse un petit sourire tout en faisant attention à faire pitié. Maman m'observe un moment puis soupire et sors mon portable de la poche de son jean. - Deux minutes. Je bondis carrément du fauteuil et me jette sur l'appareil. - Merci, tu es la meilleure. - Et tu restes ici pour discuter. J'étais déjà en train de me diriger vers ma chambre, alors je me bloque dans mon élan. - Pas la peine de me regarder comme ça. C'est ça ou rien. M'en fous. Je vais lui parler, c'est tout ce qui compte. Je reviens donc au salon, m'assois sur le tapis au lieu du fauteuil et pioche un gâteau dans le plateau posé sur la table tout en composant son numéro. Ça a à peine le temps de sonner qu'il décroche. - Maman ? Il y a un problème ? Depuis trois jours, c'est maman son interlocutrice, via mon portable. - Bébé, c'est moi. - Liah. Tout va bien ? - Tu me manques. - Tu me manques aussi. Mais c'est bientôt fini. Plus que quelques heures et tu m'auras pour la vie. Je souris. - J'ai hâte. - Moi aussi. Tu as mangé ? - Pas encore. - Liaaah ! Soupire-t-il. - J'allais le faire. Mais je voulais d'abord te parler. - Va manger. On parlera plus tard. Je veux protester, mais je vois maman en face de moi qui me fait signe que les deux minutes sont écoulées. - D'accord, j'y vais. - Je t'aime. - Je t'aime aussi. Je raccroche et tend le téléphone à maman en évitant de la regarder. Je suis super gênée d'échanger des mots doux avec mon fiancé devant elle. Heureusement, ni elle, ni aucune des filles ne fait de commentaire, et on se met à manger tranquillement. Le reste de la matinée passe en flèche. La coiffeuse arrive et pendant qu'elle s'occupe des filles, une de ses employées se charge de me faire des soins de visage et de rafraîchir ma manucure. Puis elle me coiffe, très simplement et me maquille. Ensuite, Agatha, qui a confectionné ma robe, m'aide à l'enfiler. Audrey est le photographe du jour, elle ne fait que me mitrailler avec son appareil professionnel. Elle dit que c'est Chris qui lui a demandé des photos de moi pendant que je me prépare. Une fois prête, maman, déjà habillée et coiffée nous rejoint dans mon salon et on prie. Elles prient pour mon mariage, pour la famille que je vais fonder, les difficultés que je vais affronter, mon bonheur et celui de mon époux... Quand on termine, chacune me prend dans ses bras pour me faire des bénédictions. Au moment où papa appelle pour nous annoncer qu'on nous attend, on est toutes prêtes. Mon frère, qui m'attendais dans la grande maison, m'aide à m'installer dans la voiture avec Audrey, qui est mon témoin et maman, avant de se mettre au volant. La voiture des demoiselles d'honneur sort la première de la concession familiale, suivie de celle des grooms. La nôtre ferme la procession. Le trafic jusqu'à la cathédrale est assez fluide, du coup on arrive au bout de 10 minutes. Maman me demande de rester dans la voiture pendant qu'elle descend voir si tout le monde est prêt. Audrey reste avec moi, et on prie encore un peu avant que maman ne revienne. Quand elle nous fait signe, on descend de la voiture et Audrey m'accompagne jusqu'aux portes de l'église ou m'attend mon père, avant de rejoindre son chéri dans le rang des demoiselles et garçons d'honneur. Papa me prend dans ses bras et me demande si je suis prête. Je ne l'ai jamais été autant. Maman entre dans l'église et fait signe à l'organiste qui entame la marche nuptiale. Les demoiselles d'honneur et leurs cavaliers commencent à avancer vers l'autel et papa et moi les suivons. Il me tient la main, comme ce jour où il m'a appris à marcher. Ou celui-là où il m'a montré comment faire du vélo. Ou quand il m'a conduit à l'école pour la première fois. Ou quand il m'a inscrit à la danse. Ou quand il m'a emmené à mon premier récital de piano. Ou quand il m'a accompagné chercher mes résultats du bac. Il sourit, il a l'air heureux. Ça veut dire qu'il estime que j'ai fait le bon choix. Qu'il estime que cet homme vers qui j'avance me mérite. Si j’avais eu besoin d’être confortée dans mon choix, il vient de le faire, d’un simple sourire. Je souris derrière mon voile et redresse la tête. Mon regard croise celui de mon futur mari et s'y accroche. Mon sourire s'élargit. On remonte l'allée et on arrive au pied de l'autel. Papa sourit à Christophe et met ma main dans la sienne. - Prend bien soin d'elle, Stanley. - Dieu m'est témoin que chaque seconde de ma vie sera dédiée à ce but. Papa sourit, apparemment satisfait de sa réponse et embrasse ma main avant de la laisser dans celle de Chris. Puis il va rejoindre maman au premier rang et lui prend la main. Ils sont tellement mignons. Christophe avance sa main vers mon visage et relève mon voile tout doucement. Nos regards s'accrochent de nouveau. - Tu es tellement belle, murmure-t-il. Que dire de lui alors ? Ses yeux si doux, ses traits si harmonieusement dessinés, sa bouche si délicatement ourlée... je pourrais passer le reste de ma vie à le contempler. - Dalliah ? Je tourne la tête, histoire de voir qui m'appelle, mais je ne vois que les visages souriants de mes parents. Aucun n'a l'air d'avoir parlé. - Dalliah ! La voix se fait plus insistante, et je continue à tourner la tête un peu partout pour voir d'où elle vient. Christophe a toujours ma main dans la sienne et regarde maintenant le prêtre qui a commencé à parler. - LIAH !! Je sens soudain une grande douleur dans mon dos et ouvre les yeux en hurlant. - Aaah ! Je prends quelques secondes avant de réaliser que je suis dans mon lit et que ma sœur vient de me donner un énorme coup dans le dos pour me réveiller. A coup sûr, j'aurais une marque. - Putain, c'est quoi ton problème ? - Mais tu ne te réveillais pas, tu ne faisais que sourire et chuchoter je t'aime. - Et tu ne t'es pas dit que je n'avais pas envie de me réveiller ? - Maman a dit qu'il faut se méfier des rêves où on parle là. - Tu veux quoi ? Parle et vas t'en. Elle se met à m'expliquer qu'elle voulait m'emprunter ma paire d’escarpins Chanel pour son rendez-vous avec son fiancé et je ne sais quoi d'autre. Gâcher le sommeil des gens à cause des conneries. - Prends les. En fait, garde les même. Si ça peut éviter que tu viennes me réveiller comme une sauvage. Elle me prend dans ses bras, me couvre de bisous et sors comme elle est entrée. Je soupire et me lève pour aller m'installer à ma coiffeuse. Je tire d'un des tiroirs mon carnet en cuir noir dans lequel je raconte ma vie, ainsi que mon stylo à plume noir. Je l'ouvre au niveau de la dernière page à laquelle j'ai écrit (il y a deux jours) et commence à noircir la page vierge à côté. " Coucou Christophe. Cette nuit, j'ai rêvé de toi. Encore. C'était ce rêve dans lequel on se marie. Il était plus long, aujourd'hui. Je suis arrivée jusqu'à l'autel, et mon père t'a donné ma main. Et tu as relevé mon voile et j'ai vu ton visage. Je pense que je suis tombée amoureuse de tes yeux. Ton regard est si doux. J'espère que ça veut dire ce que je pense que ça veut dire, que tu es tout proche. J'ai hâte de te rencontrer. Je prie pour toi et je t'attends. PS : j'espère qu'Arnaud va mieux. J'ai fait une neuvaine en son honneur et demandé la messe pour lui. Que Dieu te garde. Liah".
Chapitre 01
Chapitre 1
Ma sœur passe sa tête dans l’embrasure de ma chambre.
- Liah, ton ami Kossi est là.
- J'arrive, je lui dis en refermant mon carnet noir.
Je le range dans le tiroir de ma coiffeuse, me recoiffe, rapplique une couche de rouge à lèvres et me mets debout.
J'enfile une veste légère en laine par-dessus mon top et prends mon sac posé sur la table avant de sortir de la chambre.
Ma sœur est installée dans mon salon, Kossi à côté d'elle, et ils discutent comme deux amis de longue date.
Je vais lui faire la bise et m'installe avec eux, le temps qu'il termine sa boisson.
Ils bavardent encore un peu et dès qu'il a fini son verre de jus de fruits, Kossi prend congé de Delphine.
Je me lève pour le suivre et donne quelques consignes à ma sœur avant :
- Pardon, n'oublie pas de fermer la porte et de donner la clef à Stéphane quand tu pars.
Delphine ne vit pas avec nous dans la maison familiale. Elle s'est mariée il y a 3 mois et est allée vivre avec son mari. Et à chaque fois qu'elle vient à la maison, elle préfère squatter mes appartements plutôt qu'aller dans la grande maison. Bon, à la base, c'était ses appartements, vu que c'est elle l'aînée. Moi, j'avais une chambre dans la maison. C'est quand elle a quitté la maison que j'en ai hérité. Du coup, elle a plus l'habitude de rester là que d'être dans la maison. En plus, elle dit que notre frère est un escroc, qui lui soutire de l'argent à chaque fois qu'il la voit. Donc elle se cache.
Je sors avec Kossi de la maison et nous dirige vers la grande maison. Selon ma sœur, mes parents sont là. Je ne sors jamais sans les prévenir. Vu comme ma dépendance est isolée, ils peuvent penser que je suis là, alors que je serais en ville et quelque chose va m'arriver.
On entre par la porte qui donne sur la cuisine. Ils y sont tous, papa et Stéphane à la table, en train de manger et maman, appuyée contre la paillasse, en train de discuter je ne sais quoi avec Da Margaret, la tantie qui s'occupe de la maison.
Je les embrasse tous, imitée par Kossi et leur souhaite un bon appétit. Kossi s’assied près d mon frère et commence à discuter avec lui. Ils sont dans la même école.
moi, je vais informer maman que je sors et lui demander les clefs de sa voiture.
- Tu vas où ? demande-t-elle.
- Faire du shopping.
Elle fronce les sourcils.
- Quoi ? J’ai plus rien à me mettre !
- Liah…
- Maman, je suis sérieuse. En plus, c’est bientôt la rentrée, je dois faire quelques courses. Ce n’est pas parce que je vais dans un trou perdu que je ne dois pas m’habiller.
Elle secoue la tête pendant que mon frère éclate de rire. Mon père, lui, fait comme s’il n’écoutait pas, les yeux fixés sur le journal posé devant lui.
- Tu rentres à quelle heure ? demande encore maman.
- 18 heures.
- Liah, il est huit heures. Tu vas faire du shopping pendant 10 heures de temps ?
Pourquoi pas ? C’est quelque chose que je fais assez souvent, quand je vais à Londres par exemple.
Et si vous voulez mon avis, le grand marché de Lomé n’a rien à envier à Oxford Street.
Mais pour dire la vérité, je ne vais pas faire mon shopping à Lomé.
La petite sœur de Kossi va à Cotonou, pour acheter des vêtements et accessoires de luxe à une de ses amies qui vient de Chine. Apparemment, il y a des tas de boutiques de grands couturiers là-bas et ces derniers temps, la monnaie chinoise était très faible, du coup son amie a acheté les articles à des prix cadeaux. Elle les revend donc moins cher, deux à trois fois moins que leur vrai prix. Je ne dis jamais non à des articles de luxe, donc quand Eva m’a demandé de me joindre à elle, j’ai sauté sur l’occasion. De plus, Nanawax, une styliste béninoise, a sorti une nouvelle collection, je veux aller me ravitailler à son magasin.
Maman soupire encore avant de m’indiquer l’endroit où elle a caché ses clefs. Je ne sais pas pourquoi elle se fatigue à faire ça, cacher ses clefs, vu que c’est pour m’empêcher de sortir qu’elle le fait mais que je finis toujours par la convaincre de me les donner.
Je la remercie vivement, lui claque une grosse bise sur la joue et me dirige vers la porte de la cuisine qui mène au salon.
- Ahlimba ?
Je me stoppe net. Quand mon père m’appelle comme ça…
- Oui papa ?
- Mais je t’appelle, tu restes loin et tu réponds fian fian fian.
Je lève les yeux au ciel avant de faire demi-tour et de me rapprocher de lui.
Il prend le temps de replier son journal, de le poser délicatement sur la table et de remonter ses lunettes sur son nez avant de me demander :
- Tu étais où, il y a deux jours ?
Mon cœur rate un battement. Mon père ne pose jamais de questions sans en savoir la réponse au préalable.
- Chez Marina. J’avais prévenu maman.
Marina est ma meilleure amie.
- Où, chez Marina ?
Effectivement, il sait.
- A Lagos.
Quoi ? Ce n’est pas si loin, c’est à peine une heure de vol.
- Qu’est-ce que je t’ai dit au sujet de tes voyages intempestifs ?
- Que découvrir d’autres horizons ouvrait l’esprit ?
Stéphane pouffe de rire dans mon dos.
Mon père lui lance un regard noir et son rire s’étrangle.
- Ahlimba, combien de fois je devrais te répéter d’arrêter de dépenser mon argent dans des voyages inutiles ?
Ce n’était même pas son argent qui a payé mon voyage. Mais si je lui dis, il va insister pour savoir qui m’a invitée et je ne pense pas qu’il soit ravi de savoir que j’ai un petit ami, nigérian qui plus est. Mon père a beau être un intellectuel, il est très vieux jeu et croit que les étrangers sont des démons.
- Mais ce n’était pas inutile, je réponds plutôt. Tu sais combien Marina me manquait.
- Elle ne revient plus ici ?
Ce n’est pas ça, la question. La question est que je ne suis pas capable de passer plus d’un mois sans la voir.
- Ce n’est pas à toi que je parle ? continue mon père.
- Si, elle revient dans trois mois.
Il ne dit plus rien et se contente de me regarder dans les yeux. Je n’essaie même pas de faire semblant de soutenir son regard, je baisse directement la tête.
Il continue de me fixer encore quelques secondes avant de reprendre :
- Où tu vas faire ton shopping, aujourd’hui ?
Pour ça aussi, je ne suis pas surprise qu’il soit au courant.
- A Cotonou. Mais c’est Eva qui paie le billet, j’ajoute avant qu’il ait le temps de parler.
- Pourquoi vous allez à Cotonou ? Il n’y a pas de marché ici ?
- On veut acheter Nanawax. La marque de la chemise que je t’avais offerte pour ton anniversaire, je précise, comme il fronce les sourcils.
- Le bout de pagne qui coûtait la peau des fesses là ?
Je soupire. C’est tout mon père ça. Pourtant il porte la chemise en question à chaque fois qu’on sort tous les deux.
Voyant que je ne réponds pas – et donc que je ne vais pas m’engager avec lui dans une discussion à la fin de laquelle je vais décider de ne plus aller à Cotonou – il enchaine sur un autre sujet qui fâche.
- Tu as mangé, ce matin ?
- Non, mais je vais prendre des trucs sur le chemin de l’aéroport.
Là encore, mon père ne répond rien. Il me fixe juste, de son air de ‘’ne me fais pas beaucoup parler ce matin’’. Fichus troubles alimentaires.
- Non, mais je vais le faire maintenant, je corrige.
Il me tire obligeamment la chaise à sa gauche et je m’y installe.
Je sais ce qu’il essaie de faire : il veut me faire bavarder et perdre le temps jusqu’à ce que je rate mon vol et sois obligée de rester à la maison.
Mon père n’aime pas que je sorte. Il déteste même ça, en fait. J’ai la santé assez – très – fragile, alors il a tout le temps peur qu’il m’arrive quelque chose quand je suis dehors.
Je le reconnais, le fait d’avoir passé plus de temps à l’hôpital qu’à la maison entre mes 12 et mes 16 ans rend leur inquiétude légitime. Mais je vais bien. En dehors de quelques crises pas trop virulentes d’asthme et de drépanocytose, et une hyporexie doublée d’une carence en fer, je n’ai rien.
Mais comme mes parents sont de gros hypocondriaques, ils pensent que je vais seulement tomber et mourir si je mets le pied hors de la maison.
Je passe le quart d’heure suivant à me forcer à avaler l’omelette géante, les 5 crêpes et le gros bol de céréales que Da Margaret prépare pour moi. Après quoi, mon père bavarde encore un peu avant d’accepter de mauvaise grâce de nous laisser partir. Heureusement que Kossi était arrivé un peu plus tôt que prévu.
Quand nous quittons la maison au volant de la voiture de maman, j’appelle sa sœur Eva pour lui demander de se retrouver directement à l’aéroport.
On arrive les premiers et Eva nous y rejoint 10 minutes plus tard avec les billets.
Pendant notre enregistrement, je tombe sur un des sbires de mon père. Il s’approche de nous, salue mes amis et prend de mes nouvelles. Comme si je ne sais pas que c’est pour m’espionner.
Mon père est un général de l’armée de Terre. Il a des petits partout dans la ville, que ce soit à l’aéroport, à mon restaurant favori ou au coin de friperies du grand marché de Lomé.
Comme ces gens n’ont aucun travail dans le pays, ils passent leur temps à me surveiller et à faire des rapports de mes faits et gestes à mon père. C’est comme ça qu’il est toujours au courant quand je voyage, des endroits et des gens que je fréquente.
Ce qui me fait mal, c’est qu’aucun de mes frères n’a été surveillé de la sorte. Delphine ? Mes parents la suppliaient même de sortir un peu. Stéphane ? Qui le gère ? Papa dit qu’un bon homme, c’est celui qui mène sa vie et se débrouille sans ses parents, donc il est comme livré à lui-même. Tant qu’il ne s’attire pas de problèmes et ne crée pas de scandale, on le laisse faire ce qu’il veut. Mais c’est la pauvre Dalliah qu’on coince partout dans le pays, depuis qu’elle a 17 ans.
J’ai cru après le bac que je serais libre : erreur. Ça a été encore plus grave. D’abord, mes parents ont refusé mon admission dans une fac à Londres, parce que ce serait trop difficile de garder un œil sur moi là-bas. Ensuite, ils m’ont inscrite à l’université de Lomé, m’ont assigné un chauffeur personnel – alors qu’avant, c’est Delphine qui m’emmenait à l’école – et deux gardes du corps, dont un a été inscrit à la fac en même temps que moi, pour me surveiller et s’assurer que rien ne m’arrive. Je vous jure que le gars s’est arrangé pour qu’on soit dans le même groupe de TD, que pour tous les travaux de groupe on travaille ensemble, et que tout le monde sache dans l’université qu’il est interdit de poser le doigt ou les yeux sur moi à moins de vouloir faire un tour à l’hôpital. Je n’ai même pas eu le courage d’être choquée et de démentir quand lui et papa ont eu l’idée géniale de le faire passer pour mon copain, de sorte à décourager les éventuels dragueurs (c’est en partie ce qui explique que mon copain soit un étranger vivant à l’étranger, personne ne va l’attraper dans un coin de la ville pour le tabasser).
Puis, il y a deux ans, j’ai eu une admission équivalente à l’université de Legon, à Accra. Je n’ai pas été surprise qu’ils fassent partir mon garde du corps avec moi. Heureusement, ce dernier a rencontré une femme et s’est marié cette année. Donc pour le moment, je n’ai plus de garde à Accra. Mais je ne serais pas surprise qu’à la rentrée prochaine, dans 5 semaines, je reparte avec un autre type. Mes parents ont déjà commencé le casting pour m’en trouver un autre, d’après ce que Stéphane m’a raconté.
J’ai beau pleurer, crier, tempêter… c’est sans effet. Ma mère dit qu’elle fait ça pour mon bien, qu’il faut qu’on me surveille constamment, sinon un jour, le vent va m’emporter et je n’aurais personne pour me secourir.
Du coup, chaque fois que j’ai la moindre petite occasion, je m’échappe de la maison. Je suis devenue une abonnée des voyages d’une journée. Je ne compte plus le nombre de fois où je suis sortie de chez moi à l’aube et suis rentrée après 22 heures, ayant passé la journée dans un autre pays ou dans une autre ville. Ça m’aide à me sentir vivante. Déployer des trésors d’imagination pour échapper à la vigilance de mes gardes du corps, trembler de peur et d’excitation à la fois à l’idée de se faire attraper, découvrir des endroits inconnus et de nouveaux horizons, rencontrer de nouvelles personnes, vivre comme une personne normale l’espace de quelques heures, je ne vis plus que pour ces sensations.
Mes parents ne le comprennent pas. Pour eux, je ne fais que claquer des sommes astronomiques dans des voyages sans motifs, juste pour les punir de m’enfermer. Au début, je l’avoue, c’était ça mon but : dépenser leur argent jusqu’à ce qu’ils n’en aient plus suffisamment pour payer mes gardes. Mais maintenant, même si je le voulais, je ne pourrais plus m’arrêter. Et j’ai dû me rendre à l’évidence que l’argent de mes parents est comme du gari : il ne fait que gonfler. Mes voyages ‘’intempestifs’’ n’y changeront rien.
***
Quand je gare la voiture de ma mère devant le portail de la maison, il est 18h30.
J’ai passé la journée à me balader dans Cotonou. A chaque fois que j’y vais, je suis surprise de constater à quel point c’est une belle ville.
Dès que nous sommes arrivées, aux environs de 10h, j’ai trainé Eva et ses amis avec lesquels on était à la plage. On y est restés jusqu’à 14 heures, avant de commencer à courir dans tous les sens pour aller chez son amie.
Je n’ai rien acheté là-bas – la plupart de ses articles étaient des contrefaçons – mais Eva elle, ne s’est pas fait prier. Même quand je lui ai fait remarquer que c’était des fakes, elle m’a seulement répondu :
- Je préfère me payer une excellente imitation à ce prix là, plutôt que dépenser une petite fortune et patienter 3 ans avant d’être en possession de mon sac.
Elle avait choisi un sac ‘’Birkin’’ couleur camel en daim. Evidemment, tout le monde sait que Hermès ne fait pas de daim couleur camel. Mais bon, chacun ses soucis.
Elle et ses amis ont donc payé plein d’articles et quand elles ont fini, on est allés à la boutique Nanawax.
Je reconnais, j’ai légèrement exagéré sur ce coup : j’ai pris un exemplaire de chaque article en vente dans la boutique. Pourtant, j’ai essayé de résister, je vous assure. Mais j’ai toujours eu un gros faible pour le pagne. Et les modèles de Nanawax sont tellement originaux et avant-gardistes. En plus, les coupes sont impeccables, les motifs parfaitement symétriques et les finitions très soignées.
Dans les articles pour femmes, j’en ai pris certains à la taille de maman et d’autres à celle de Delphine. Au moins, ça va m’éviter les bavardages parce que j’aurais ramené tout le Bénin avec moi.
Et j’ai pris des articles hommes dans les mêmes motifs que les miens pour Christophe. Je lui achète toujours quelque chose, quand je fais du shopping : chemises, cravates, pantalons… une ou deux fois, je lui ai même acheté des chaussures. Je ne connais pas sa pointure, alors c’est beaucoup plus délicat, donc plus rare. Les fois où je l’ai fait, j’étais avec Stéphane, mon frère. Je lui ai décrit le physique de Christophe (merci les rêves en HD lol) et donné sa taille. Il a estimé sa pointure et le vendeur a dit que si ça n’entrait pas, il pourrait venir la changer. Bon, je ne sais pas trop si le temps que je le rencontre, la garantie courra encore, mais bon, la chaussure était tellement belle. Et elle était assortie aux escarpins que j’avais acheté ce jour-là, je n’allais pas manquer l’occasion, si ?
Une grande partie de ma penderie est remplie des effets que j’achète pour Christophe et que je conserve précieusement. Tout le monde – ma sœur, mon frère et ma mère – ont remarqué que j’achète souvent des effets d’hommes, mais personne ne sait vraiment à qui ils sont destinés. Je n’ai parlé de Christophe à personne, à part Marina. Delphine et maman pensent que je fais des stocks et que c’est parmi eux que je choisis les cadeaux de papa et de Stéphane. Stéphane, lui, est au courant de ma relation avec Seye, mon petit ami actuel. Il pense donc que c’est pour lui que je les achète et viens parfois piquer des affaires dedans.
Marina, elle, me trouve étrange, pour ne pas dire complètement folle. Elle ne comprend pas que je dépense autant d’argent pour quelqu’un que je ne connais pas et que je ne vais certainement jamais rencontrer. Elle estime que les rêves que je fais de Christophe ne sont que ça, des rêves, et non pas des visions ou des prémonitions. Elle dit que c’est mon subconscient qui l’a créé, et que ces rêves ne sont que la manifestation de mes désirs et de mes fantasmes. A chaque fois que j’achète un cadeau à Christophe, ou à chaque fois que je parle de lui ou de sa vie, elle se fâche. Elle m’a même une fois emmenée à une retraite de prière, parce qu’elle pense que j’ai un mari de nuit.
C’est à cause de cette réaction que je n’ai parlé de lui à personne d’autre. Je n’ai pas envie que les gens jugent et salissent notre ‘’relation’’. Je ne sais pas si de son côté, il me voit aussi. Mais je sais que ces ‘’rêves’’ sont trop réalistes pour être juste des rêves. Et puis, de toute façon, si je suis vraiment tourmentée par un esprit mauvais, je serais délivrée un jour ou l’autre. J’offrirais à ce moment-là tout ce que j’aurais acheté à l’homme que j’épouserais. En attendant, je vais seulement continuer à acheter des choses pour lui.