2 - Départ vers l'inconnu
Le voyage se déroule sans problèmes, mais les températures étouffantes ralentissent l'avancée du cortège. Les chevaux souffrent de la soif, et l'on doit s'arrêter plus fréquemment que prévu. Chaque pas effectué me rapproche de mon triste destin. Le groupe arrive finalement avec une journée de retard. Le roi Gaubert Dambourg, inquiet, a détaché une troupe de chevaliers pour vérifier que ses invités allaient bien, et, également, pour nous escorter jusqu'au château. C'est une gigantesque troupe qui arrive, finalement, sur les pavés de la vieille ville. Le roi est ému de retrouver son ami. Il accueille ses invités avec le sourire aux lèvres.
Alexandra promène son regard dans l'assemblée pour découvrir son prince. Apparemment, il n'est pas présent. Cela ne fait que confirmer ce qu'elle pense sur ce mariage arrangé. Mais, cette absence la ravit dans la mesure où le prince prouve qu’il n’est pas intéressé. Cependant, dans la déontologie de la courtoisie, se présenter pour accueillir sa princesse est un minimum de politesse. Elle fronce les sourcils, anxieuse de cette absence. Il partagerait son opinion et trouverait ce mariage inconfortable ?!
Cette encourageante pensée fait apparaître une sourire sur ses lèvres. Elle se redresse sur sa monture, elle a peut être un allié : le prince.
Alexandra :
Je me sens, tout de même, un peu humiliée. Il ne daigne pas se présenter pour accueillir sa future femme et sa belle famille. Je décide de montrer aux personnes environnantes que je suis vraiment contrariée. Je feins mon indignation ! Ce qui n’échappe à personne.
Au moins cela a l'avantage de repousser notre rencontre. Je ne désire pas cacher ma colère contrairement au protocole. Le summum de l'éducation quand on est une princesse est de ne rien laisser paraître de ses émotions, une posture digne et un visage sans expression. Ces règles de conduite font partie de ma vie. Je n’ai aucune envie de rester digne, ma révolte m’incite à me conduire de façon effrontée. Je joue un rôle pour les avertir de mes intentions sans scrupule pour mettre les autres personnes dans l’embarras.
Mon destin était déjà écrit avant même d'avoir poussé mon premier cri. C'est ainsi quand on est fils ou fille de roi, le devoir du royaume passe avant tout, y compris son bonheur. L’attitude déficiente du prince me rend service.
Je promène mes yeux sur le paysage environnant. Au moins, je l'aurais pour me réconforter. Le jardin est merveilleux, coloré par de chatoyantes roses. Le château de notre hôte est beaucoup plus imposant que le nôtre. Celui-ci s'élève à l’horizon tel un conquérant auquel rien ne résiste. De l'endroit où je me trouve, la perspective du spectacle me donne l'impression que les remparts transpercent les nuages. Deux énormes tours marquent l'édifice en son centre, certainement les logements royaux. Les murailles sont tellement hautes qu'elles semblent infranchissables au point de décourager tout assaillant.
Mes parents et moi-même, sommes conduits dans nos chambres respectives. La servante qui m'est attitrée me familiarise avec l'intérieur de l'aile que j'habite. Mes bagages sont posés par des serviteurs dans ma chambre. Celle de mes parents se trouvent à l'opposé de la mienne. Je ne comprends pas la raison de cette distance. Mais, j'obéis aux directives de notre hôte. Je ne compte pas rester trop longtemps dans ces lieux. Ma décision est déjà prise. Je ne vais pas défaire mes bagages.
Lorsque je me retrouve seule dans la pièce, j’en admire la magnificence. Je constate que la décoration est plutôt raffinée. Je m'allonge sur le lit et je contemple le plafond. Je soupire, je ne peux plus faire marche arrière ? J’espère que je vais pouvoir sortir de ce piège ! Mon sort se joue ici. Je ferme les yeux, et j'essuie quelques larmes. Franchement, dans des moments comme celui-là, j'aimerais mieux être fille de paysan. Je soupire de désespoir. Ce n'est pas que je regrette d'être une princesse, mais ce mariage, ce n'est pas possible !
Ma servante entre après avoir frappé, et m'avertit que ce soir, un dîner sera organisé en mon honneur. Mon cœur s'affole. Pourquoi organiser un dîner pour moi ? C'est le prince qui s'en est occupé ! De plus en plus surprenant ! Je suis paniquée. Je n'aime pas être au centre de l'attention. Je décide de sortir prendre l'air. Je passe devant une pièce où des femmes de la cour sont réunies. Et sans le prévoir, j'entends leur conversation.
"- Il semblerait que la future femme du prince soit arrivée, et il a organisé un dîner pour elle ce soir. On dirait qu'il l'apprécie" Commente une jeune et jolie femme à peu près de mon âge.
"- Ce ne sont que des apparences. Ce n'est un secret pour personne que le prince est amoureux de moi, et que je suis sa maîtresse favorite. Il n'a pas le choix d'épouser cette femme, encore une petite vierge effarouchée dont il n'a que faire. Il préfère, les femmes téméraires et entreprenantes. Il va s'ennuyer avec cette pucelle !" Lui répond une autre femme plus mâture, en souriant.
Je suis abattue par ces paroles. Alors, il a des maîtresses au château ! Pff ! Exactement comme je le pensais. C’est une raison supplémentaire pour que je trouve un moyen pour interrompre notre engagement. Je suis dévastée, je ne serais pas l’épouse d’un goujat. En même temps, je peux peut-être tirer profit de son attachement à cette femme. Je l’observe prudemment. Elle semble avoir au moins trente ans, assez jolie, et très confiante. C’est certainement ce trait de caractère que le prince apprécie. Si j’adopte une attitude opposée, il ne s’intéressera pas à moi. Un sourire cynique se dessine sur mes lèvres. Tous les coups sont permis. Je serais, donc, comme l’a stipulé la maîtresse du prince, une vierge effarouchée et j’agirais en conséquence pour qu’il se désintéresse totalement de moi.
Mais, je suis tout de même troublée. Du coup, je retourne dans ma chambre. Mes mains tremblent, des larmes coulent sur mes joues. Je ne suis pas d’accord de partager mon époux. Je veux rentrer chez moi, avec mes parents. Je ne veux pas épouser ce prince maudit ! Je dois convaincre mon père, je ne veux pas être une épouse pas aimée et trompée par son mari. Je mérite mieux que ce destin tragique. Devant ces femmes que j'ai vues et entendues parler, je vais lui sembler bien trop innocente et quelconque. C’est une opportunité pour moi ! Ce soir, je vais tout mettre en œuvre pour le décevoir complètement. Ainsi, il pourra demander à son père l'annulation de notre mariage. Je serre mes lèvres, enchantée par cette idée. Et puis, si je me montre très désagréable et décourageante à son encontre, il voudra se débarrasser de moi. Personnellement, je préfère un mariage d'amour. Et l'exclusivité de mes faveurs est la clé de mon bonheur et de l'équilibre de mon couple.
Ma servante se met en quatre pour me préparer pour la soirée. Je ne suis plus du tout motivée. Mon tempérament emporté me pousse à me rebeller contre les préparatifs. Je la repousse plusieurs fois. Elle n’est pas responsable de ma situation, mais je l’empêche de faire son travail. Je ne veux pas être la chose que le prince montre en public. Je suis très impulsive comme femme. Mon père m'a élevée comme un homme parce qu’il aurait aimé avoir un fils. Ma mère a eu de graves problèmes de santé après ma naissance, ils n’ont pas pu avoir d’autres enfants. Il a dû se contenter d’une fille. Il m'a initiée à l'art du combat et je suis imbattable au tir à l'arbalète. Mais, cela reste un secret entre nous, une princesse ne peut pas être un chevalier. Je sens que la soirée sera une terrible épreuve pour moi.
Des femmes de chambre apporte un paquet joliment emballé. Je suis étonnée de l'attention. Qui peut bien être à l'origine de ce présent ? Je m'empresse d'ouvrir le paquet, j'adore recevoir des cadeaux. Je découvre une somptueuse robe bleu et argent. Un mot manuscrit l'accompagne. Je le lis " Un somptueux cadeau pour récompenser ma princesse pour nos fiançailles" signé Prince Edmund. Mon sang se glace. Il se joue de moi, ou il pense réellement à la possibilité de notre union ?
Je contemple la robe, il a au moins bon goût. Cette magnifique robe de princesse est un joyau. L’espace d’une seconde, je me laisse séduire. Puis, je me ressaisis. Il ne m’aura pas avec un cadeau.
Ma servante m'aide à l’enfiler. Lorsque je m'observe devant le miroir, j'en reste bouche bée. Ce soir pour la première fois de ma vie, je me trouve belle. Mes longs cheveux blonds ondulés bordés par deux grandes nattes rassemblées en couronne autour de ma tête, me donne véritablement l'allure d'une reine. On dirait que cette tenue a été conçue pour moi. Elle épouse parfaitement mes courbes. Je ne comprendrais pas que le prince ne tombe pas sous mon charme. Mais qu'est -ce que je dis, cela m'est égal ! Il vaut mieux qu'il me déteste ! Cependant son geste rattrape son absence à notre arrivée. Je me contemple une dernière fois. Si je suis trop parfaite, il risque de ne pas accepter ma demande d’annulation du mariage. Je dois trouver une répartie pour qu’il ne soit pas séduit. Je vais l’éconduire, et, le faire regretter de m’accorder son attention par le biais de son somptueux cadeau.