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Chapitre 4

Ambre

- Astrid, grouille ! Tu vas nous mettre en retard ! hurle Cameron dans la cage d'escalier.

Il est presque huit heures et nous ne sommes toujours pas dans la voiture. Je tape du pied par terre, les bras croisés, attendant impatiemment ma sœur, qui se fait désirer - ce qui me rend très irritable et de mauvaise humeur dès le matin. Mon père et Mia sont déjà partis depuis une bonne vingtaine de minutes mais, comme toujours, nous attendons madame la diva. Arriver en retard est vraiment la chose que je déteste le plus. Surtout un lundi !

Comment bien commencer la semaine....

Et puis, c'est la dernière ligne droite avant la fin du lycée, ça serait bien que je me donne à fond.

Même si, en soi, tous les dossiers pour les universités sont déjà envoyés...

Les jeux sont faits mais je ne peux pas m'empêcher de stresser maintenant que l'échéance des

résultats approche dangereusement.

Astrid dévale les escaliers, manquant au passage de s'étaler la tête la première sur le sol.

- Fais attention, bon sang, grogné-je entre mes dents.

- Vous me pressez aussi, râle-t-elle.

- T'as qu'à te lever plus tôt.

Elle me tire la langue et suit Cameron jusque dans la voiture. Je ferme la porte à clé, laissant

Jayden enfermé dans la maison.

Il n'aura qu'à passer par le jardin ! Moi aussi, je peux faire comme s'il n'existait pas....

Après quatre heures de cours intenses - ou plutôt trois heures quarante, vu le retard de ce matin... -, je passe chercher à manger à la cafétéria avec les filles, puis nous nous installons sur l'herbe derrière l'un de nos bâtiments de cours. Nous sommes rejointes par Cameron, Tyler et Garret quelques minutes plus tard. Tyler s'assied à côté de moi, ce qui n'échappe pas aux filles, qui se font un malin plaisir de sourire et pouffer comme des idiotes. Plus discret, tu meurs. Faisant mine de ne pas les voir, je déballe mon sandwich.

- Merde... lâché-je dans un souffle.

- Quoi ? m'interroge Cameron.

- La dame de la cafét s'est encore trompée, elle m'a donné le sandwich avec la mayonnaise.

Je grimace, écœurée par la vue de cette pâte jaune claire qui me dégoûte tant, étalée avec excès sur les tranches de pain.

- Donne-le-moi et prends le mien si tu veux. J'en ai pas, moi, dedans.

Je me tourne vers Tyler, qui me tend son sandwich, un petit sourire plaqué sur le visage. Le teeshirt gris clair qu'il porte fait ressortir le magnifique bleu de ses yeux. Comment ne pas tomber sous son charme, malgré certains défauts plutôt rédhibitoires ? Tyler, Tyler, Tyler, je crois que tu vas me donner du fil à retordre.

- Je te remercie.

Il me répond par un hochement de tête puis se tourne de nouveau face au groupe tout en croquant avidement dans le sandwich. Je décide de sortir de ma contemplation afin d'éviter d'attirer davantage l'attention d'Esther et Holly, qui ne loupent rien du spectacle.

- Alors, les filles, vous avez trouvé un appartement ? nous questionne Garret.

Mon sourire s'élargit tandis que je me projette déjà dans cette colocation à trois que nous avons prévu de faire à la rentrée. Les yeux rieurs, Garret nous regarde avec intérêt en attendant notre réponse. Pas vraiment bavard et plutôt timide lorsqu'il y a du monde, il est totalement différent en notre présence.

- Non pas encore, répond Holly avec une petite moue.

- Mais on a quelques pistes déjà. Il faut qu'on aille les visiter. Et toi, tu t'installes avec Lydia ?

l'interroge ma seconde amie.

Garret acquiesce avec un sourire. Il a envoyé sa candidature à Boston, là où se trouve Lydia, sa petite amie, pour étudier la biologie. Je comprends tout à fait sa décision, mais ça va me faire vraiment bizarre de ne plus le voir avec les gars. Je les ai toujours connus ensemble.

- C'est vraiment dommage que tu ne postules pas là-bas avec nous, mec. Ça pourrait être tellement bien tous ensemble à Seattle, ajoute Tyler.

C'est notre rêve à tous depuis plus d'un an. Je suis incapable de me souvenir avec précision qui exactement a émis l'idée le premier, un jour où un conseiller d'orientation est passé dans les salles de classe pour nous aider dans nos choix futurs. Nous avions eu plusieurs prospectus de différentes universités implantées un peu partout aux États-Unis ; l'université de Washington a fait figure de favorite. Le campus paraissait immense sur les images, les étudiants étaient souriants et surtout, les programmes donnaient envie. Nous étions décidés, il fallait que nous y soyons ensemble. C'était une évidence. San Francisco ne pouvait pas rivaliser avec la cité émeraude. Fini la plage et le sable fin, nous étions tous obnubilés par la verdure et par l'aventure que promettait Seattle.

Oui, Tyler a raison, nous serons vraiment bien là-bas, même si ce « tous ensemble » risque d'inclure la dernière personne au monde avec laquelle j'ai envie de traîner... C'est grand, Seattle. J'ai peut-être une chance d'y échapper... Infime ?

***

Le chemin du retour a été encore plus long que ce matin. Un accident sur la route nous a bloqués dans les embouteillages pendant environ une heure. C'est donc tous les trois exténués que nous passons le seuil de la porte d'entrée. La télé dans le salon est allumée mais personne n'est devant.

- Jay ? appelle Astrid.

- Dans la cuisine !

Elle se précipite dans la pièce et s'affaire autour des placards pour en sortir son goûter. Treize ans et l'appétit d'un ogre ! Jayden, lui, est installé sur un tabouret face à la table. Les mains jointes et toujours cette fichue casquette sur la tête. Lorsque j'entre à mon tour, je croise son regard, qu'il détourne presque aussitôt sans m'adresser un mot : bonjour, l'accueil. Je me dirige vers le placard pour me sortir un verre, que je remplis de lait froid, tandis que Cameron fait de même avec du jus d'orange.

- T'es allé voir Henri au garage aujourd'hui ? demande-t-il à son frère.

- Oui. Je commence mercredi.

- C'est cool, ça va t'occuper. Tu ne voulais pas venir bosser avec maman et moi ?

Depuis le début de l'année, Cameron travaille quelques week-ends par mois dans la maison d'édition de sa mère. Il sélectionne des ouvrages, les lit, les commente. Il a toujours été passionné par les livres, et son plus grand rêve est d'ouvrir sa propre maison d'édition, comme sa mère. C'est la raison pour laquelle il veut faire une fac de lettres à la rentrée, et l'expérience qu'il a en travaillant chez M&W Edition est un vrai atout pour la poursuite de ses études. Et ça lui fait surtout un peu d'argent de poche.

- Sans façon. Les livres, ce n'est pas pour moi.

- Tu aurais pu aider un peu au niveau de la communication vu que c'est ton domaine. Maman

veut développer son site Internet.

-Mmm, pour l'instant je vais essayer les voitures. Bosser avec maman, c'est pas trop mon

delire, la.

Cameron n'insiste pas davantage. Il vide son verre puis va le déposer dans le lave-vaisselle. Je reste debout, en plein milieu de la cuisine, n'osant pas m'immiscer dans leur conversation et je n'y suis, de toute façon, pas invitée.

- J'ai téléchargé le film Ça, tu veux qu'on le mate ce soir ? propose Jayden, enthousiaste.

- Grave ! En parlant de film, il faut que je te montre le dernier des Marvel, Ambre, tu ne l'as

toujours pas vu, ajoute Cameron en tournant la tête dans ma direction.

Surprise d'être mentionnée, je lève mon regard et tombe non pas sur la bienveillance de Cameron mais sur la complète indifférence de son frère. Il reste de marbre et ne réagit pas face à la volonté de Cameron de m'intégrer dans leur conversation. Je ne serai pas là que ça aurait le même effet sur lui. Le contraire m'aurait étonnée...

***

Il est vingt et une heures et je suis déjà allongée dans mon lit.

Grosse soirée en perspective....!

Nous avons mangé assez tôt ce soir, et tout le monde est occupé à une activité : mon père est installé devant un reportage à la télévision, Mia travaille dans son bureau, ma soeur est montée dans sa chambre prétextant des devoirs à faire - même si je suis certaine qu'elle est devant son ordinateur

-, et Cameron et Jayden doivent sûrement être en pleine session film d'horreur.

Tout le monde sauf moi, qui me tourne les pouces.

Et qui rumine...

Est-ce que je savais qu'ils n'allaient pas me proposer de regarder le film avec eux ? Oui.

Est-ce qu'une petite part de moi espérait qu'ils le fassent quand même ? Oui aussi.

Je suis vraiment comme une enfant de 10 ans qui boude parce qu'on ne lui accorde pas assez

d'attention, c'est effrayant.

Et puis après tout, pourquoi est-ce que j'aurais envie d'aller regarder un film avec un mec qui s'acharne à me démontrer qu'il n'en a rien à faire de moi ? Je suis beaucoup mieux ici, toute seule, dans ma chambre!

Alors que je fulmine devant mon téléphone, cherchant désespérément à m'occuper, on toque à

la porte.

- Oui ? répliqué-je un peu trop sèchement.

La petite tête de Cameron apparaît dans l'encadrement.

- Tu veux mater le film avec nous ?

Mon agressivité laisse place à la surprise, et à un soupçon de satisfaction, mais j'essaie de ne rien laisser paraitre.

- Non, ne t'inquiète pas, je vous laisse entre frères. J'ai des trucs à faire de toute façon.

Mauvaise foi, quand tu nous tiens...

- Ah bon, quoi?

l rentre dans la pièce, les mains dans les poches de son short de jogging gris. Les yeux plissés,

il me fixe.

- Je vais trouver, tenté-je, un peu prise au dépourvu.

- Allez, arrête tes conneries et ramène-toi. Jayden attend.

N'ayant aucune repartie, j'abdique et me lève de sous la couette en attrapant mes oreillers avant de suivre Cameron au deuxième étage. Sa chambre se trouve juste en face des seconds escaliers et je jette malgré moi un coup d'oeil vers la porte plus loin. Celle qui donne sur la pièce juste au-dessus de ma chambre et où je n'ai jamais mis un seul orteil. Quand Mia a accepté de venir habiter avec ses deux garçons, mon père a tout de suite cherché à les faire se sentir comme chez eux. Très bricoleur, il a passé un été entier à retaper les combles de la maison pour en faire deux chambres supplémentaires. Elles sont un peu basses de plafond, mais rien n'indique qu'elles n'existaient pas il y a encore trois ans.

Quand nous arrivons, les lumières sont déjà éteintes. Seul un petit halo de clarté passe à travers le Velux. Le lit de Cameron est collé contre le mur, dans le sens de la longueur, ce qui nous permet de tenir facilement à trois. Jayden est penché sur l'ordinateur qu'il a installé sur une chaise devant le lit. Il lève les yeux vers nous dès qu'il nous entend arriver et semble se crisper en me voyant plantée derrière son frère. Il me fixe quelques secondes avant de faire glisser ses yeux sur mes jambes nues.

À cet instant, je regrette un peu de m'être précipitée hors de la chambre sans avoir pris le temps d'échanger mon short de nuit pour un legging. Pourtant, une ribambelle de petits frissons me parcourt la colonne vertébrale au moment où il porte son attention sur moi. Ce qui, je dois l'avouer, n'est pas une sensation si désagréable : au diable, le legging.

- T'as besoin d'aide ? demande Cameron.

Jayden détourne instantanément son regard de moi pour le poser directement sur l'ordinateur.

- Non, c'est bon. Installez-vous !

Je m'assieds la première sur le lit, prenant la place à l'extrémité gauche du matelas et dépose mes oreillers contre le mur. Jayden s'installe quant à lui à l'opposé de l'endroit où je suis, laissant la place libre entre nous pour Cameron. Ça se passe de commentaire.

J'ai toujours adoré les films d'horreur. Ce sentiment de tension que l'on ressent à la place des protagonistes, quand on essaie d'imaginer comment on réagirait si on se retrouvait dans la même situation qu'eux... Je suis complètement prise par le film, sursautant ou fermant les yeux durant les passages les plus stressants. Allongée sur le côté, la tête sur l'oreiller, je me retrouve presque collée à Cameron, qui est affalé contre le mur.

- Tu as froid, Ambre ? Tu as la chair de poule, s'inquiète-t-il.

- Non, c'est bon, ne t'inquiète pas. Je pense que c'est la fatigue.

- Tu veux qu'on mette en pause pour que tu ailles chercher un gilet ? Sinon mets-toi sous la couette

- Je vais aller chercher un pull, je pense.

Cameron se décolle du mur pour aller mettre le film en pause. Je saute du lit pour me diriger vers la porte mais n'ai pas le temps de l'atteindre qu'on me fourgue un gros sweat noir, ou peut-être est-il bleu foncé, entre les mains. Je tourne la tête en direction de la silhouette imposante qui est placée à côté de moi. Jayden est là, le torse à quelques centimètres de ma tête. Des effluves de parfum aux notes boisées me picotent le nez. Je lève le visage et rencontre ses yeux braqués sur moi.

- Tiens, tu n'as qu'à prendre le mien, dit-il simplement, collant le sweat contre mon ventre.

Et les frissons dans mon dos reprennent de plus belle.

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