Chapitre 3 ~ Tommen

— Oh. Mon. Dieu.

Amy répète ces trois mots en boucle depuis le début du déjeuner. Las, je soupire.

— Ame tu soûles là... Et pis merde c'est vexant à force. Je sais que j'ai un mauvais coup mais...

— Mais Tommy tu t'es vu ? Et ça fait q'une matinée, sans vouloir en rajouter...

Joignant le geste à la parole, elle sort son miroir de poche et me l'agite de manière stupide sous le nez. Même en y jetant un oeil je continue de trouver qu'elle en rajoute beaucoup trop. Ma oeil a déjà bien noirci et continuera sûrement de le faire, d'accord. Mais rien de dramatique non plus. Bien entendu, mon amie attend une réaction de ma part, alors je soupire de nouveau. Je ne fais que ça.

— Tu veux que je te dise quoi ? Je trouve que ça me donne un petit côté séduisant, pas toi ? Presque irrésistible.

J'attends son rire. Rire en question qui ne vient pas. Même son sourire a déserté son visage. Aïe. Amy qui ne sourit plus, ça ne sent jamais très bon. Elle lâche sa fourchette et je la vois hésiter.

—Ok, crache le morceau, Ame.

— Ne le prends pas mal Tommen.

Je fronce les sourcils. Elle ne m'appelle que rarement par mon prénom. De mieux en mieux.

— Je ne comprends pas, continue-t-elle en soupirant à son tour. Pourquoi tu agis comme ça ? Je veux dire qu'est ce que tu cherches, à jouer les justiciers ? Tu crois que ça va réparer ce qui s'est passé ? Que grâce à toi les choses changeront ? Ou alors c'est les coups que tu recherches ? Parce que ça t'amuses maintenant ? Parce que tu commences à en avoir marre de rester bien sagement dans les lignes ? Je te connais comme personne, tu n'as jamais été du genre à chercher les problèmes, et encore moins le premier jour de la rentrée. Crois moi... ce n'est clairement pas la bonne solution pour oublier.

Alors là je reste sans voix. Comment la situation en est-elle arrivée là ? Je sens doucement l'incompréhension faire place à la colère en moi.

— Mais je ne veux rien prouver Ame, ni à moi ni aux autres. Un gosse se faisait persécuter par clairement plus fort que lui, et personne ne bougeait le petit doigt. Alors quoi ? J'aurais dû applaudir moi aussi ? Arrête de voir des signes partout, j'ai appris à tourner la page.

Je sais qu'elle ne me croit pas, ça crève les yeux, pourtant elle ne répond pas. Seulement je suis sincère. Si je suis venu ici ce n'est pas pour vivre dans le passé.

— Et pas la peine de dramatiser non plus, je rajoute.

— Alors pourquoi tu n'as toujours eu personne depuis ? Et pourquoi tu gardes son numéro ?

Je soupire, une énième fois. Moi qui comptais rattraper ce début de journée catastrophique grâce à sa compagnie, je commence à réaliser qu'elle ne fait en réalité que l'empirer. Je sors alors mon portable, pour lui prouver une bonne fois pour toutes qu'elle a tord et ainsi laisser tout ça derrière moi. Mais sur le point d'effacer ce fameux numéro, je fixe les trois lettres devant mes yeux. Et là, j'hésite. Et s'il me recontacte ? Et si moi je le veux ?

Non.

Je me dois de prouver à Amy et à moi même que je suis passé à autre chose, qu'il ne représente plus rien. Je supprime son numéro, et relâche le souffle que je gardais sans le savoir. Je relève le regard vers elle, sans un mot. Après quelques minutes à me fixer, elle retrouve enfin son sourire.

— Alors Tommy, j'ai une tonne de trucs à te raconter, tu vas halluciner !

Je sais exactement ce qu'elle fait. Elle me connaît par cœur et sait que ce n'est pas un sujet à aborder plus que nécessaire. Je lui suis reconnaissant de ça, faire comme si de rien n'était? Je joue donc le jeu avec plaisir, la laissant me raconter ses soit-disant anecdotes de la matinée.

Cependant, alors qu'elle continue son petit monologue, j'arrête subitement de l'écouter. Gorille vient de faire son entrée dans la cafet' et un rictus étire mes lèvres. Mon regard dévie alors vers deux gars le suivant, presque identiques l'un à l'autre, à tel point que s'en est troublant. Arrive ensuite un quatrième gars. Je reconnais presque immédiatement celui qui a entraîné Ash plus loin ce matin. Il semble étrangement plus calme que les trois autres. Tous étant plutôt grands et musclés, et avec il faut bien l'avouer une assez belle gueule, plusieurs filles se retournent sur leur passage en gloussant et murmurant à l'oreille les unes des autres.

Et là, je le vois. Ash, parlant à une fille tout en avançant. Vous voyez le genre de fille, talon haut perchés et cinq couches de peintures sur le visage ? Et bien rajoutez une ou deux couches, et vous avez l'image. Mon Dieu ce lycée entier est la réincarnation de vieux clichés. La petite troupe s'assoit à une table, j'ai alors tout le loisir de voir miss pimbêche se poser sur les genoux du fameux Ash et se trémousser ridiculement.

— Et je te disais donc que les éléphants roses montent dans les arbres ? Ah oui, j'allais oublier, je prends du crac. Tous les soirs. Cool non ?

Je cligne plusieurs fois des yeux en comprenant qu'Amy me parle toujours.

— Ouais... Attends, quoi ?

— Tommy ça fait au moins dix minutes que je parle dans le vent ! Et puis d'abord c'est quoi que tu regardes comme ça ?

Elle se retourne et suis la direction de mon regard plus tôt. Et moi, je me retrouve con.

— Oh. Mon. Dieu.

C'est pas vrai, la voilà qui recommence sa comédie. Je vais l'étrangler.

— T'étais occupé de mater c'est ça ? C'était sérieux alors quand t'as dit avoir tourné la page ?

Elle pousse un petit cri de gamine surexcitée avant de continuer :

— Alors, c'est lequel ?

Je me sens rougir stupidement.

— Dis pas de conneries. Et si tu veux tout savoir, c'est les mecs à qui je dois ma nouvelle tête.

— Parce que tu craques pour le mec qui t'as frappé ? Mais ma parole t'es complètement maso !

— Mais puisque je te dis que non !

— Je connais ce regard Tommy, tu ne me la feras pas, surtout quand tu deviens aussi rouge. Alors c'est lequel ?

— Oh pis merde t'es vraiment chiante. D'abord il m'intrigue juste, ensuite même si je t'accorde qu'il a l'air sacrément con il ne m'a pas frappé, et pour finir il est complètement hétéro. Contente ?

Mon regard s'attarde sur la fille toujours sur ses genoux, sans doute sa copine, qui semble à deux doigts de lui sauter dessus. Décidément je suis tombé bien bas pour m'intéresser à un type comme lui. Enfin, "intéresser", façon de parler.

— Je dois t'accorder qu'il est pas mal... Bon ok, carrément à tomber. Mais Tommy fais gaffe d'accord ? Tu sembles avoir un sérieux penchant pour les connards sans cœur.

— Puisque je te dis que ce mec est hétéro, Ame. Et de toute façon j'ai pas besoin de ça maintenant.

Je pense sincèrement ce que je dis, et c'est pourquoi je suis sûr que ma petite fixette sur lui va vite me passer. Je ne le connais pas et lui non plus ne me connait pas. Nos deux seuls contacts à ce jour sont loin d'être glorieux, ne me donnant clairement pas l'envie de retenter l'expérience.

Mais alors je repense à ce qu'Amy m'a dit. Est ce que je cherche réellement le conflit ? Est ce qu'après tout ce temps, j'ai de nouveau besoin de trouver quelque chose qui m'atteindrait vraiment ?

Je relève le regard vers leur table sans réellement en regarder aucun d'entre eux. Je pense que la réponse je la connais. C'est irrationnel et incroyablement stupide. Mais c'est ce que je suis devenu. L'on m'a forcé à me replier sur moi même pour encaisser, seulement je crois que je n'apprends pas de mes erreurs, que je suis le genre de gars à foncer tête baissée en réfléchissant aux conséquences quand il est trop tard.

Mais honnêtement, dans le cas présent, quelles conséquences peut-il bien y avoir ?