Chapitre 2 ~ Ash / Tommen
/ASH/
" Bryan ! Bryan ! "
La foule scande en choeur son prénom. Je sais qu'il adore ça. Il prend son pied. Les bras croisés je le regarde, impassible. Je ne connais pas sa nouvelle victime, sûrement un autre de ces matheux tentant de se rebeller contre son règne tyrannique. Honnêtement je m'en fiche.
Au milieu du cercle de la foule, Bryan attrape le malheureux par le col et je devine qu'il a pour idée de l'enfermer dans son casier. Bryan ne changera jamais. Surtout que personne n'est sans savoir que son casier empeste.
Une forte odeur de sueur masculine s'en dégage, résultant sans aucun doute de son sac d'entraînement bourré d'affaires sales. Le malheureux va vivre une rentrée scolaire dont il se souviendra longtemps. Jusque-là rien de bien inhabituel. C'est un peu comme si Bryan marquait son territoire auprès des geeks chaque année, sans réelle raison, juste par bêtise pure. Les jumeaux à côté de moi se tordent de rire, savourant chaque seconde de ce spectacle, tandis que Kyle se contente comme de secouer la tête, réprobateur mais n'intervenant pas. Bryan n'est pas méchant au fond, juste un peu bourru.
Comme je disais jusqu'ici c'est plutôt la routine. Jusqu'à ce coup poing. Dans la gueule de Bryan. La foule se tait d'un coup, comme pétrifiée face à l'inédit. Et je sais à ce moment que tout le monde pense pareil que moi. Mais purée il sort d'où cet autre type ? Il est suicidaire ?
Les gars de la bande se rapprochent d'un seul mouvement pour se positionner aux côtés de Bryan, et je me sens obligé d'en faire autant. Non pas que j'ai peur, seulement je n'y porte pas de grand intérêt. Au moins cet inconnu aura le mérite de me divertir un peu plus que les traditionnelles bêtises de Bryan.
Celui-ci se retourne comme au ralentit, lâchant le col du geek qui se fait une joie de disparaître dans la foule. Le nouveau venu nous fait maintenant face et la seule chose que je peux voir sont ses yeux. Le même gris. C'est le mec d'hier soir, je le sais. Et là je me rappelle : il est nouveau. Il ne sait pas qui fait la loi ici. Je réprime alors non sans mal un rire moqueur alors qu'il se décide enfin à ouvrir la bouche :
— Désolé mon pote, mon poing est parti tout seul.
Au regard choqué de Bryan, je ne peux m'empêcher cette fois de laisser un rire m'échapper. C'est officiel donc, ce mec est vraiment suicidaire. Son regard dévie alors sur moi. Je vois à l'étonnement dans ses yeux qu'il me reconnait. Sans réellement savoir pourquoi ça me plaît. Et tandis que nous nous fixons droit dans les yeux, je vois le poing de Bryan s'abattre sur lui avec une telle puissance qu'il en tombe à la renverse.
C'est le signal pour la foule pour recommencer à scander son prénom, et les jumeaux se joignent à Bryan de bon coeur. Sans me contrôler je me crispe quand je les vois encercler celui à terre, sans toutefois aller plus loin que les mots. Kyle à côté de moi le sent.
— Ils lui font juste une leçon, demain il se tiendra à carreaux, c'est tout.
— Mais ce gars est nouveau, il ne pouvait pas savoir quel genre de psychopathes ils sont.
Kyle rigole franchement, et sans vraiment réfléchir je m'interpose.
— Les gars. Stop.
Presque immédiatement le flot d'insultes se tarie et la foule retourne une nouvelle fois au silence. J'ai toujours eu cet effet sur les gens, sans réellement chercher à savoir pourquoi. Personne ne me tient tête, et en retour je ne fais chier personne.
Je me penche pour tendre la main à ce mec.
— Tommen, c'est ça?
Je n'ai en retour qu'un regard noir, et bien entendu il décide de se relever tout seul. Je le vois grimacer et remarque ce qui promet de devenir un joli coquard à son oeil droit.
— Quoi, tu veux des remerciements peut-être? Tu ne vaux pas mieux qu'eux.
Ces mots sont lâchés avec tellement de dédain que je sens mon visage se fermer. Mes poings se serrent. Des efforts Ash. Pas de conneries ou tu sais qu'il en entendra parler. Tommen est plus petit que moi et moins musclé, mais ne se laisse pas démonter et m'affronte toujours du regard. Une main se pose alors sur mon bras et me tire en arrière :
— Ash, laisse on se tire.
La voix de Kyle me ramène à la terre ferme, et je le suis, tournant le dos à ce mec.
Mais j'ai à peine eu le temps de faire quelques pas que je l'entends chuchoter mon nom, comme à lui-même. Je le regarde alors par dessus mon épaule et vois son regard fixé sur la main de Kyle toujours sur mon bras.
Pourquoi je n'arrive pas à déchiffrer ce regard ?
/TOMMEN/
"Je déteste ça".
C'est la première de mes pensées en arrivant en vue de l'énorme bâtisse. Un nouveau lycée. Les regards sur toi. Les jugements quand on commence à s'apercevoir que tu ne rentres pas dans les cases prédéfinies de la société. Ça arrive forcément.
J'avais des amis, des repères, une vie. Et je vais tout reprendre de zéro. Car je n'ai plus rien.
Je sens alors un poids s'abattre sur mes épaules, au sens propre cette fois, et de façon si inattendue que j'en perds l'équilibre. Des bras encerclent alors mon cou tandis qu'instinctivement je passe les miens sous les cuisses autour de ma taille.
" On y est Tommy ! C'est géniale, non ? " me crie une voix que je ne connais que trop bien dans les oreilles.
Presque plus rien.
Amy est ma meilleure amie depuis... je ne sais même plus. Et allez savoir pourquoi, elle a décidé de me suivre jusqu'ici, de tout recommencer ensemble. Je lui serai à jamais reconnaissant pour ça.
— Génial n'est pas le premier mot qui me vienne à l'esprit, tu vois.
— Toujours à faire le rabat-joie... Allez grouille je veux pas être en retard moi. Quoique... tu crois que si j'arrive en retard je peux attirer le regard du beau gosse de la classe? Il y a toujours un beau gosse de la classe.
Je ne peux m'empêcher de rire devant sa mine on ne peut plus sérieuse. Cette fille est un cadeau de la vie.
— Crois moi, tu n'as pas besoin de ça pour attirer les regards, lui dis-je en souriant le plus sincèrement du monde.
— Mais toi tu comptes pas Tommy, c'est différent.
Et pourtant je suis objectif, Amy a clairement tout pour plaire. Ses longs cheveux noirs lui tombent au creux des reins, légèrement ondulés. Et même si elle est plutôt petite, cette fille est une vraie pile électrique, me faisant me demander où elle arrive à stocker une telle quantité d'énergie. De légères tâches de rousseurs parsèment son visage, accentuant son charme. Mais ce qui attire tout de suite le regard chez elle, c'est son sourire. Le genre de sourire qui vous met tout de suite à l'aise. Le genre de sourire qui vous dit "je ne te jugerai jamais". Alors oui elle peut s'avérer extrêmement casse-pied mais paradoxalement je l'aime plus que tout.
Je la lâche en arrivant dans l'enceinte du lycée. Je sors mon nouvel emploie du temps, et je vois Amy en faire de même. Seulement alors que j'essaie de le décoder je me rends compte qu'elle ne pourra pas m'être d'une grande aide. Une fois de plus on est dans le même bateau.
— Je crois que... Salle 2 ? C'est possible ça ?
Elle relève la tête en fronçant les sourcil et me regarde.
— Si j'ai bien compris j'ai histoire en salle 2 Tommy. Je t'en supplie dis moi que toi aussi, ne me laisse pas seule, les profs d'histoire sont toujours si... coincés.
— Désolé ma belle, je crois bien que j'ai littérature. Au pire des cas on se rejoindra ce midi, ça ne devrait pas être si horrible.
— Pourquoi j'ai l'impression que c'est toi même que tu essaies de rassurer, là?
Elle rit avant de partir rejoindre sa salle, me laissant définitivement. Parce que oui, clairement, c'est bien moi que je cherchais à rassurer.
Arrivé devant ma propre salle, je souffle un bon coup et me décide à entrer. Au vu de tous les regards qui convergent dans ma direction, je crois que je suis belle et bien en retard pour mon premier jour. Un sourire étire mes lèvres en repensant à Amy, mais je le réprime aussitôt.
Mon prof, les cheveux grisonnant et approchant sûrement la cinquantaine, me regarde par dessus ses épaisses lunettes.
— Et vous êtes...?
— Nouveau, je réponds. Je suis Tommen Wheeler, monsieur.
— Ah oui, on m'a prévenu de votre arrivée, monsieur Wheeler. Voulez-vous vous présenter à l'ensemble de la classe?
Non. Catégoriquement non. Je ne suis pas du genre timide, mais je mets au défis quiconque de raconter sa vie devant quarante paires d'yeux qui vous fixent comme une bête de foire. Je décline donc le plus poliment possible. Il ne semble ni déçu ni soulagé, complètement indifférent à moi, ce qui me va plutôt bien.
Je prends place au fond de la salle, le cours reprenant. Je comprends vite que le sujet d'étude est Léon Tolstoï et 'Anna Karénine'. J'ignorais qu'il était au programme, mais heureusement pour moi je l'ai déjà étudié. Le cours en devient de ce fait assez lassant, et la sonnerie annonçant sa fin sonne comme une délivrance à mes oreilles.
Essayant cette fois-ci d'être à l'heure à mon prochain cours, je tente de me repérer le plus rapidement possible dans les longs couloirs. J'entends alors une clameur s'élever devant moi, en même temps que j'aperçois une foule impressionnante bloquant le couloir. Je m'approche en ralentissant, redoutant ce que je pourrais y voir. Et à raison. M'étant frayé un passage parmi les curieux, je me sens me crisper face à la scène qui se déroule sous mes yeux.
Un mec à l'allure d'un véritable gorille s'en prend à clairement plus faible que lui. J'ai toujours eu en horreur ce genre de raclure, surtout depuis peu. Mais pourquoi personne ne fait rien pour l'arrêter ? Pire, pourquoi les gens semblent de son côté ?
Alors avant même de réfléchir à ce que je fais, j'avance au milieu du cercle et balance mon poing dans la figure de Gorille. Putain que ça fait mal ! J'essaye tant bien que mal de le cacher et attends qu'il se retourne pour me faire face, ce qu'il fait dans une lenteur presque clichée. Je vois alors débarquer quatre gars à ses côtés, accentuant encore plus le cliché. Quatre contre un, bravo les mecs !
— Désolé mon pote, mon poing est parti tout seul.
Je ne sais pas pourquoi je me sens obligé d'en rajouter, ni ce que j'essaye de prouver, mais je hais tellement ce type de personnes. Je vois alors l'ahurissement de Gorille, et je m'apprête à franchement rire quand quelqu'un me devance. Je tourne alors ma tête dans sa direction et c'est à mon tour d'avoir l'air bête. Lui. Le mec du banc. Mais qu'est ce qu'il fait là ? Je veux dire, avec eux ? Alors comme ça il est du même genre que Gorille ? Non pas qu'il m'ait spécialement donné une première impression emplie de douceur, mais tout de même.
Cependant, alors qu'on se fixe toujours sans un mot, je ne peux m'empêcher de le trouver beau.
Attendez, pause. Ce mec est un pauvre con, point à la ligne.
Mais mon monologue intérieur est interrompu par un violent coup au visage, suite à quoi je me sens tomber à la renverse. J'avoue que je suis sonné par l'intensité du coup, si bien que je ne prends qu'à peine le temps d"couter les bruits m'entourant. Seule la douleur résonne en moi. Suis-je le seul à trouver pathétique l'ensemble de cette situation ? Pathétique et surréaliste ?
Soudain tout s'arrête sans que je n'ai réellement pu comprendre pourquoi. Le voilà qu'il se tient en face de moi, lui, me tendant la main.
— Tommen, c'est ça ?
Mais il se fiche de moi ? C'est maintenant qu'il intervient ? Il croit que je vais lui prendre la main et faire ami-ami? Quoique l'idée de sentir sa main dans ma... Stop ! Tommen bordel t'as un sérieux problème.
Je me relève donc tout seul, difficilement je dois l'admettre, et lui lance avec tout le mépris dont je sois capable à cet instant :
— Quoi, tu veux des remerciements peut-être ? Tu ne vaux pas mieux qu'eux.
Mais clairement ce mec m'intrigue. Le pire c'est que je ne sais même pas pourquoi. Mais le fait est là, j'agis bizarrement en sa présence. Je ne laisse rien paraître et continue de le fixer sans ciller. Je le vois serrer les poings et m'en amuse secrètement, mais un de ses potes l'appelle et le tire en arrière.
Ash.
Je peux maintenant mettre un nom sur ce visage. Presque inconsciemment je le répète du bout des lèvres, mon regard toujours fixé sur la main de son pote, sans savoir pour quelle foutue raison je ne détourne pas les yeux.