Chapitre 1 ~ Ash
«Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon».
Pourquoi dès la première phrase de ce fichu livre je reste comme bloqué ? Je me suis enfin décidé à la vieille de la rentrée, je sais plutôt pathétique, à ouvrir ce satané bouquin et mon esprit semble déjà ailleurs. Je recrache la fumée de ma clope et la regarde m'envelopper avant de doucement disparaître. Qu'est-ce que je ne donnerais pas à cet instant pour être cette fumée, disparaître à mon tour...
Seulement je sais pourquoi cette phrase m'intrigue : ma vie est à chier.
Littéralement et entièrement à chier.
Et comme pour parfaire l'image du mec pas normal, il me tarde d'être à demain. Partout ailleurs sera toujours mieux qu'ici. Pourtant le sommeil me fuit cruellement, comme pour prolonger cette soirée plus qu'étouffante. N'y tenant plus je saisis mes écouteurs et ma paire de baskets avant de doucement me faufiler à l'extérieur par la fenêtre de ma chambre. Je sais c'est cliché mais croyez moi bien efficace.
Les écouteurs vissés aux oreilles sans qu'aucune musique ne me plaise particulièrement, je me retrouve à errer dans les rues, la nuit déjà bien entamée. Mes pieds me guident presque tout naturellement au parc. Là, assis sur un de ces bancs miteux, je ressors mon paquet de clopes. Aïe, une seule. Pour un paquet acheté la veille. Et comme mon paternel n'est pas vraiment du genre de ceux qui filent de l'argent de poche, j'ai tout intérêt à bien la savourer.
La coinçant entre mes lèvres et l'allumant à l'aide de mon briquet, je tire une première latte et laisse doucement la nicotine s'infiltrer en moi pour faire son effet. Je ferme les yeux et bascule la tête en arrière. Demain tout recommencera. Les faux sourires, les fausses tapes sur l'épaule, faire semblant que tout va bien. Alors que putain tout ne va clairement pas bien. Cette année sera peut-être différente ?
Je ricane de ma propre stupidité, et je pourrais jurer qu'à cet instant je ne ressemble à rien d'autre qu'un fou drogué. Et merde, j'ai même pas de quoi me droguer. Bravo Ash, finalement tu es juste fou.
« — Toi aussi le sommeil te fuit ? »
Je crois que ça m'est adressé. Mais je ne connais pas cette voix. J'espère que cet inconnu ne vient pas gâcher ce moment entre moi et ma dernière cigarette. Je garde donc les yeux fermés, mon attitude glaciale reflétant tout le mépris que j'éprouve pour lui en ce moment. Il ose me déranger.
« — Non parce que moi il s'est clairement fait la malle. »
Il rit ce con. C'est officiel il gâche mon moment. C'est pourquoi je me décide enfin à me redresser et lui lance un regard noir.
Sa tête m'est inconnue. Ses cheveux bruns lui arrivent légèrement au dessus des épaules, bouclés. Mais ce sont ses yeux qui m'interpellent directement, des yeux d'un gris profond. C'est possible ça ? Mais directement après j'aperçois une moue victorieuse sur son visage, et j'en déduis que ça vient du fait que je lui fasse enfin face. Il s'approche de moi et, tout en me tendant la main, ose s'asseoir sur mon banc.
— Moi c'est Tommen. Je suis nouveau ici, tu as donc l'honneur d'être ma première renc...
— Excuse-moi mais j'ai l'air de vouloir parler ? Alors maintenant t'es gentil mais tes fesses d'insomniaque tu les vires de mon banc.
J'ai promis de faire semblant demain, mais je n'ai rien promis pour ce soir.
— Asociale je présume ? Demande-t-il avant de reprendre son petit rire enfantin.
— Dégage.
Mais cet abruti reste assis à mes côtés , se contentant de suivre mon exemple et de mettre ses écouteurs. Après tout pourquoi pas. J'enfonce mes mains dans mes poches et me repositionne, la clope entre les lèvres, essayant de faire abstraction de ce... Tommen ? Il peut bien s'appeler comme il le veut je m'en tape. Je le regarde discrètement du coin de l'œil. Il a perdu son sourire moqueur et semble à son tour perdu dans ses pensées, les yeux tout aussi fermés que son visage.
Un sourire en coin apparaît sur mes lèvres en pensant que c'est sûrement l'effet de ce banc. C'est devenu comme un repère, un point d'ancrage pour moi quand j'ai besoin de me retrouver avec mes pensées... Là, face au lac et à sa surface si lisse et calme, tout mes problèmes semblent si loin, comme n'étant pas de taille à troubler cette force tranquille. Seul cet endroit réussi à m'apaiser, expliquant sans aucun doute le fait que je ne l'ai pas encore viré d'ici. Ce gars. Assis à quelques centimètres de moi.