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Chapitre 04

Chapitre 4

Quand j’arrivais à la maison hier soir, grand-mère dormait déjà. Elle a l’habitude de se coucher tôt, très tôt. Avec Abdoul Aziz, on se reverra mercredi. Ce qui me laisse aujourd’hui et demain pour trouver quelque chose à dire.

Selon lui en tant que fille « intelligente » ce sera facile pour moi de trouver une excuse. Il insiste bien sur la « fille intelligente ». J’aime me penser intelligente. On n’allie pas ce que je suis capable d’allier si on ne l’est pas. N’empêche qu’il y a plusieurs façons d’intelligence. Je doute que celle où je trouve un bon mensonge pour grand-mère fait partie de mes attributs.

Déjà hier, même si je ne laissais rien paraître j’avais quand même mal de lui avoir menti. Surtout que j’avais peur de me faire coincer. J’ai beau lui demander de me laisser dans un endroit assez éloigné de la maison, une possibilité de croiser une de mes sœurs, cousines ou voisins n’est jamais exclue.

Avec mes sœurs, je pourrais négocier mais avec mes cousines, ce serait la cata.

Je ne parle jamais d’elles, je ne me considère pas comme étant leur ami. A part l’ADN que leur père partage avec notre mère, rien d’autre ne nous lie.

Cette maison a beau appartenir à notre défunt grand-père, elles ne cessent de montrer à mes sœurs et à moi que nous sommes chez leur père et ça depuis que nous avons débarqué avec notre mère.

Il m’arrive de me demander ce qui aurait pu se passer si maman n’avait pas quitté papa. Je me chasse très vite cette idée de la tête. Notre père peut être beaucoup de chose mais un bon père et un bon mari n’en font pas partie. Je devrais plutôt dire un bon mari pour ma mère car pour ce que mes souvenirs me laissent voir, il était un bon mari pour sa 2ème épouse.

Ma mère devait être la première qui devait toujours prendre sur elle, tout accepter. Quand je pense à tout ce par quoi elle est passée, je me demande comment elle a fait pour avoir tenu aussi longtemps.

Quant au fait d’être un bon père, la question ne devrait même pas se poser. Ça fait 7 ans que mon père se fout pas mal de ce qu’on devient. Il nous en veut d’avoir suivi notre mère quand elle est partie. Ceci n’est ni plus ni moins que sa façon de nous punir et de nous considérer comme mortes et enterrées.

Le prof de SVT a fait un fascicule qu’il nous demande. Devrais-je dire qu’il nous oblige d’acheter… Dès l’instant que son cours se base sur ça, le choix n’est plus de notre ressort.

Je me demande bien s’il a le droit de faire ça. Je suis sûre qu’il ne fait pas ça parce qu’il veut nous aider à avoir tout le programme à notre disposition mais plutôt parce qu’il se fait des sous avec les photocopies. Chaque élève multiplié par toutes les classes qu’il enseigne au lycée plus les écoles privées, ça doit être quelque chose.

Comme tous les lundis, nous avons fait cours avec M. Diaw. La seule chose que je peux dire durant ces deux heures c’est qu’il évitait mon regard autant que moi j’évitais le sien. Je n’ai aucune envie de déglutir en classe et je sais que c’est qui m’attend si nos regards se croisaient.

En classe, il reste très professionnel. Une des choses qui m’attire autant.

Sur le chemin du retour avec les filles comme chaque soir après les cours, j’ai l’idée de leur demander de l’aide.

Une idée plausible peut toujours venir de l’une des 3.

-Les filles, dis-je attirant toute leur attention. Je veux acheter un portable et je ne sais pas comment le dire à grand-mère.

Elles n’ont pas besoin d’avoir tous les détails.

-Enfin, tu te décides, s’exclame Fatima.

-J’ai toujours voulu un portable c’est grand-mère qui a toujours mis son véto.

-Ne pas avoir de portable en ces temps-ci. Je ne sais pas comment tu fais pour n’avoir ni facebook, ni insta, ni snap, se demande Val.

Tout ce que j’en sais c’est ce que les filles m’en disent. J’utilise leur portable parfois pour regarder des vidéos qui y sont postés. Ce sont des réseaux sociaux et je suis sûre que ce n’est pas aussi grandiose que les filles ont envie de me faire croire.

-Elle exagère c’est tout, dit Hawa. Les RS à part te faire bouffer tout ton argent en passe Orange n’ont aucune autre utilité.

-J’entends souvent les gens se plaindre d’Orange et pourtant personne ne les quitte.

-Comment veux-tu qu’on quitte Orange ? Questionne Fatima. Toutes les personnes que tu dois ou qui doivent t’appeler y sont. Changer d’opérateur est le meilleur moyen de se retrouver isolé de tous.

-Je vois, soupiré-je avant de leur rappeler que c’était pas de ça dont je voulais parler.

-Une excuse ne sera pas facile par contre il faut pas oublier ta grand-mère a une confiance aveugle en toi.

-Mais encore, dis-je en demandant à Val de développer.

-Je veux dire que tu es la seule fille que je connaisse qui n’a pas de petits copains.

-Pourquoi cette phrase sonnait comme un reproche ?

-Sois pas susceptible, c’en était pas une. Pour revenir à ce que je disais, tu peux toujours lui dire que c’est pour le lycée.

Elle est sérieuse Val ???

-Tu penses que j’y ai pas pensé ? Ma question c’est plutôt comment arriver à la convaincre que je veux un portable non pas pour moi mais pour le lycée.

-Peut-être pour faire des recherches sur les cours, propose Fatima.

-Elle se demandera alors pourquoi j’en ai besoin que maintenant.

-Tu lui diras que c’est pour le cours de philosophie, enchaîne Fatima. Et pour ce que j’en sais avec notre prof, il aime bien les devoirs maison ce qui est synonyme qu’on devra faire des recherches, savoir ce que les auteurs ont dit sur tel ou tel sujet. A moins que t’aies envie d’aller au cyber et je préfère te dire que ça fait un bail que j’en ai pas vu, je me demande même si ça existe encore, le portable n’est pas un luxe mais une nécessité. Pour ne pas dire ordinateur portable.

-Comme si j’avais les moyens d’acheter un ordi. Mais j’avoue que c’est pas bête. Je ne sais même pas pourquoi j’y ai pas pensé plutôt.

-Parce que ma belle, tu avais besoin que tata Fatoumata te dise ce que tu dois faire.

Je fais semblant de l’étrangler tout en riant.

Cette fille est complétement folle mais avec des bonnes idées.

Tout ceci arrive vraiment à pique. Je n’avais jamais pensé au fait de devoir faire des recherches. Je squattais toujours chez Fatima pour ça mais avec un portable et une connexion, tout sera beaucoup plus simple.

Actu, je me suis en train de me dire que c’est déjà acté. Grand-mère est toujours de mon côté quand il s’agit des études.

******

Une fois à la maison avant d’aller au travail, la première chose que j’ai faite fut de parler avec grand-mère. Plutôt je le faisais et mieux je finissais ma journée. J’ai essayé de reprendre les mots de Fatima, sur les recherches sans oublier la précision que y avait aucun cyber à côté pour profiter de l’internet donc j’étais obligée d’avoir un téléphone qui me servira que pour l’école.

Elle a parlé d’argent et je m’y attendais. Je lui ai dit que Fatima avait un nouveau téléphone et qu’elle était prête à me le céder pour 20milles francs que je t’avais déjà commencé à économiser.

Elle était pas très convaincue mais n’ayant pas envie de débattre, elle a lâché l’affaire.

Ma sœur est venue pour dire qu’elle voulait un portable, qu’elle est la seule de ses amies à ne pas en avoir pour ne pas de dire de sa classe. Je sais qu’elle ment, elle est en 3ème je doute que les parents soient aussi laxistes.

Je l’ai remise à sa place en lui disant qu’elle pourra avoir un téléphone quand elle sera capable de s’en payer un.

Elle m’a fait un tchip avant de partir mais avec elle j’ai l’habitude.

*****

Tout le reste a été très banale, la routine quoi (cours, exercices, boulot), jusqu’à ce l’horloge affiche midi ou la fin des cours du mercredi.

En ce moment je suis doublement excitée, en premier parce que je sais qu’on va se voir en dehors du lycée et en second il va me payer un portable.

Dimanche passé, il m’avait parlé d’éthique. J’aimerai bien savoir ce que l’éthique pense du fait d’acheter un téléphone à son élève.

J’ai dit aux filles que ma grand-mère m’avait demandé de faire une course pour elle que je ne pouvais pas rentrer avec elles.

J’ai l’impression que depuis que ça a commencé, je mens à tout le monde. Je m’étonne que tout sorte aussi facilement. J’ai jamais été une menteuse mais plutôt le genre à défendre l’honnêteté bec et ongle. Malheureusement toute vérité n’est pas bonne à dire.

Je marche lentement direction de l’école. J’ai pas non plus envie de voir une tête connue surtout que je vois pas mal de blouses roses et grises aller dans la même direction que moi. Les élèves du lycée qui habitent à côté. Il devait pas avoir pensé à ça.

Une fois devant l’école, je le vois sortir avec notre prof de maths. Mon premier reflexe est de me cacher derrière une voiture garée. Ils n’ont pas dû me voir la route nous sépare.

Il est fou ou quoi ? A moins de ne pas savoir qu’il s’agit de mon prof, je ne sais pas ce qui peut justifier le fait de me demander de le rejoindre quand il est là.

Je soulève la tête pour voir qu’ils se sont dit au revoir et qu’Abdoul Aziz se dirige vers sa voiture.

Je sors de ma cachette pour aller le rejoindre quand je remarque qu’il n’y a plus aucune trace de mon prof de maths.

-Tu es finalement venue, sourit-il en me voyant devant la portière passagère.

-Bien sûr, dis-je en ouvrant la porte et m’installer. Et que fut ma surprise quand je t’ai vu parler avec mon prof de math.

-Ah c’est lui que tu as en mathématique. On a pas tenu de conseil des profs donc je n’ai aucune idée des enseignants avec qui je partage votre classe.

-En tout cas, ça m’a fait peur.

-Pourquoi ?

-A ton avis ?

-S’il t avait vu aussi, j’aurai pu lui dire que je t’avais promis un livre et que tu étais là pour ça.

-Si tu le dis…Soupiré-je pas très convaincue par son excuse.

-Alors, dit-il en commençant à conduire, tu as parlé avec ta grand-mère pour le téléphone. Ça nous évitera bien ce genre de situation compromettante.

-Oui, j’ai pu la convaincre.

-C’est bien ça. Qu’est-ce que tu lui as dit ?

-C’était une idée de Fatima.

-Fatima, Fatima, Fatima, répète-t-il en essayant de se rappeler de qui est Fatima.

-Fatoumata Sylla.

-Ah, ta voisine de table.

-Oui c’est elle.

-Tu veux qu’on aille à la boutique pour le téléphone ou tu préfères qu’on aille manger d’abord.

-D’abord le téléphone, j’ai envie de voir quoi il va ressembler.

-Je connais l’excitation du premier portable. Les premiers ont toujours ce goût particulier.

-Cependant, je préfère que ça soit un portable deuxième main

-Quoi ? Tu penses que je n’ai pas les moyens de t’en acheter un nouveau ? Le portable ne peut pas couter plus cher que ce que j’obtiens mensuellement dans une école privée.

Je pense avoir touché un point sensible donc j’apporte des précisions aussi rapidement que possible.

-Non je veux un portable d’occasion parce que j’ai dit à ma grand-mère que Fatima allait me vendre son ancien téléphone, si je viens avec un nouveau et je sais qu’elle va le regarder, mon excuse ne sera pas crédible.

-Ce sera ton téléphone, libre à toi de décider à quoi tu veux qu’il ressemble.

-Merci, souris-je.

-J’ai une surprise pour toi.

-Surprise ?

-Pas maintenant, on va en parler au restaurant.

-Pourquoi tu me le dis maintenant ? Tu sais à quel point je suis curieuse.

-C’est exactement pour ça que je te le dis maintenant. Comme ça, ça va te faire cogiter.

-Ce n’est pas fair-play, ça.

-Je ne me rappelle pas t’avoir une fois dit que je l’étais.

*****

Nous avons pas trop duré à la boutique. D’après le vendeur, mon portable est un reconditionné à neuf, genre nouvel écran et nouvelle batterie. Je pense que c’est une excuse pour justifier le prix. On a également acheté une puce et tout a été configuré.

Au restaurant, nous discutons en mangeant quand je me rappelle qu’il m’avait pas dit ce qui était la surprise.

-Tu n’aurais pas oublié quelque chose ?

-Quoi donc ?

-Quelque chose qui commence par S et qui se termine par « ze »

Il fait mine de réfléchir mais je sais qu’il veut juste m’embêter mais il sait de quoi je parle.

-Ah, je vois.

-Pas trop tôt.

-Tu veux que je laisse tomber ?

-Arrête de me menacer, là c’est qui fait une mine toute triste.

-Ok j’arrête de te torturer. Je t’ai trouvé un contrat.

-Pardon ?

-Oui un contrat de travail. Tu te rappelles d’Ibra ?

-Celui qui m’avait traité d’Allalou procureur, comment l’oublier ?

-Je vois que tu l’as toujours mauvais, rit-il alors que je ne trouve pas ça drôle.

-J’ai toujours pas compris.

-Il cherche un aide-devoir pour ses deux enfants. Ça pourrait être toi. Ce sera juste du lundi au vendredi et à la différence de ton ancien boulot, tu ne seras avec eux que deux heures par jour. Je propose 18-20H comme ça tu pourras rentrer tôt.

-C’est gentil de proposer mais je doute qu’il me paie autant que ce que je gagnais.

-Azizatou, tu me prends pour qui ? Bien sûr que j’y ai pensé, tu gagnais 50milles et il te paiera autant.

-50000 juste pour ça.

-Ziza, tu veux le boulot ou non ? C’est la première fois qu’il m’appelle Ziza et je sais qu’il l’a fait d’exaspération.

-Oui mais…

-Il y a pas de mais si je te dis qu’Ibra peut te payer autant c’est parce qu’il le peut. Il paie la même somme pour chacun de ses enfants qui sont des écoles privées en ville. Et ne t’inquiète pas, t’auras quelques minutes de marche car il habite un peu plus loin que le fast-food mais au pire tu n’es pas obligé d’y aller en transport.

-Je vois que tu as pensé à tout.

-Je veux juste ce qu’il y a de meilleur pour toi. Travailler dans un fast-food n’est pas une bonne idée et j’ignore pourquoi tu as choisi ça.

-Tu penses que j’ai choisi, dire que je suis énervée est un euphémisme et j’enchaîne. Je ne travaille pas par envie mais par obligation quand tu n’as personne sur qui compter, la question ne se pose pas.

-Ne le prends pas mal et crois-moi sur parole je t’admire pour ça.

-Tu as quand même raison, les horaires sont très difficiles et le travail chez ton ami sera une aubaine.

-C’est ce que je pensais. Je lui ai quand même dit que tu étais forte en anglais sans même savoir comment tu te débrouillais…

-Anglais, hiiii.

-Ne me dis pas ça s’il te plait. Ces enfants sont dans une école bilingue, ce qui est synonyme que certains devoir seront en anglais. Rassure-moi tu te débrouilles bien.

-Assez pour avoir la moyenne.

-En vocabulaire ?

-Plutôt en grammaire.

-Mais bon, je ne vais pas revenir sur mes paroles et tu en a besoin. Essaie juste de ne pas te faire cramer par les enfants. Ni Ibra, ni son épouse n’ont assez d’atouts pour tester ton niveau. Si tu bloques quelque part, envoie-moi un message et je t’aiderai.

-Merci.

-Pour ce coup-ci je le fais plus pour moi que pour toi. Si tu n’es pas à la hauteur, Ibra me tue.

-Je ferai de mon mieux pour ne pas te décevoir.

-Tu as envie de faire un exposé sur « l’Etranger » ?

-Albert Camus ?

-Je n’en connais pas un autre.

-Tu veux que je fasse un exposé ?

-Toi et d’autres. Demain on va en parler. Je veux un groupe pour chacun des œuvres au programme. Et évidemment pour toi ce n’est pas une option.

-C’est pas juste. En plus mes camarades de classe sont insupportables durant les exposés, ils posent des questions juste pour embêter.

-C’est pour ça que j’aime les exposés.

Il dit cette phrase avec un sourire très sadique que je préfère ignorer.

******

De retour à la maison, comme je m’en doutais grand-mère a pris le portable pour le scruter. J’ai dit que Fatima savait prendre soin de son téléphone et que c’est pour ça que c’était en si bon état.

Elle n’empêche pas de me rappeler les dangers d’un téléphone, pourquoi elle a toujours refusé, comment les enfants s’en servent pour autre chose que ce qui a été destiné. Je lui demande de me faire confiance. Je ne l’ai jamais déçu et je ne comptais pas commencer maintenant.

Je lui ai également parlé de mon nouveau travail que je devais commencer lundi. La seule chose qui lui a beaucoup plu était les horaires et j’avoue que moi aussi. Finir à 20h me laissera le temps d’au moins faire quelque chose avant et surtout de ne pas me coucher à 1h du matin.

*****

Bathie était très déçu de savoir que j’allais partir. Je lui ai expliqué qu’avec les cours et tout, c’était difficile surtout qu’il fallait penser au bac. Il m’a fait savoir qu’il y aura toujours une place pour moi. J’ai toujours gardé de bons rapports et c’est la meilleure des choses à faire. Le fait de savoir qu’il me garde une place m’arrange car je sais que je ne pourrais pas continuer ce nouveau travail durant les vacances et le fait de retourner comme domestique ne m’attire pas trop.

Quand les cours du lundi sont finis, je reçois un message d’Abdoul Aziz me souhaitant bonne chance tout en précisant de ne pas hésiter si j’avais besoin de lui.

Le goût de ça !!! C’est tellement exquis de savoir qu’on peut compter sur quelqu’un.

J’ai pas beaucoup de temps entre 17 et 18h. Tout ce que je peux faire c’est d’aller à la maison, déposer mes bagages faire la prière avant de sortir à nouveau. Je suis les explications qu’Aziz m’a données pour me rendre chez Ibra mais pour une raison que j’ignore mon cœur se serre et j’ai la sensation que c’est une mauvaise idée.

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