Chapitre 4
Scarlett
Je glousse comme une gamine, essuyant le miroir de la salle de bains embué. Mes cheveux sont enroulés dans ma serviette humide et j'enfile ma robe bleu ciel. Derrière la porte, la voix grave et terriblement agacée de Nolan continue à s'acharner.
- Bouge ton cul, Scar, putain ! Deux heures pour une douche, sans déconner ?
- Je sors, mens-je alors que je libère mes cheveux pour passer la brosse dessus.
Les pointes trempées dégoulinent sur mes épaules nues. Je retiens un rire lorsqu'un poing s'écrase une nouvelle fois sur le bois de la porte. À ce rythme-là, elle ne risque pas de tenir longtemps.
D'abord moi en début de semaine, maintenant monsieur-faites-ce-que-je-dis-pas-ce-que-je-fais. Il a découché deux soirs de suite chez sa petite copine, deux soirées donc où on était à trois au lieu d'être quatre. Deux soirées à ne pas y penser. Essayer de ne rien ressentir. Elle était là, ma bonne résolution.
Je me félicite de lui avoir caché mon béguin durant toutes ces années. J'ai bien failli lâcher l'information un nombre incalculable de fois, à mon frère d'abord, parce que je m'entends très bien avec et qu'il connaît Nolan mieux que personne. A Léo ensuite, puisque même s'il fait l'idiot de service, il a toujours été de bon conseil et vraiment adorable avec moi. Au principal concerné enfin, parce que j'arrivais de moins en moins à faire semblant que sa présence ne me troublait pas. Pourtant j'ai gardé le silence. Je n'ai éveillé aucun soupçon. Jamais. Et c'est très bien comme ça, surtout maintenant que j'ai décidé de tirer un trait sur lui. Je sais que si un jour il l'apprend, ça foutra une merde pas possible dans nos vies.
- Scarlett, je te jure que si tu ne sors pas de cette salle de bains, je défonce la porte.
- Scar, t'es pas toute seule !
La voix posée de Léo me fait soupirer. Le but, c'était d'emmerder Nolan, qui lundi m'avait fait chier avec sa douche de trois quarts d'heure. Pas de liguer toute la colocation contre moi. Je pose ma brosse, laissant mes cheveux reprendre une forme légèrement ondulée par l'humidité, puis récupère toutes mes affaires qui traînent. J'ouvre la porte et tombe nez à nez avec un visage rouge de colère.
Tout ça pour ça ? cingle Nolan en m'épiant.
- Ferme-la ! Tu jugeras quand tu auras une meilleure tronche que celle que tu te tapes au
Même s'il est superbe au saut du lit - pas que je l'ai constaté ces derniers jours puisqu'il n'était jamais là -, ce matin il a une mine particulièrement fatiguée. Si on retire l'irritation qui déforme ses traits.
- La salle de bains est tout à toi, le nargué-je en passant près de lui.
Léo et Edgar sont juste à côté et ne peuvent s'empêcher de ricaner. Ils n'ont pas cours aujourd'hui et, tandis que Nolan a des travaux dirigés ce matin, j'ai un emploi du temps légèrement plus chargé. Et après l'insomnie que je me suis tapée, j'avais bien besoin d'une douche interminable.
- Il va vraiment falloir ajouter une nouvelle règle, grogne Nolan en entrant dans la pièce encore
embuée par la chaleur. Va falloir que ça cesse, moi je vous le dis !
- On ajoutera une règle quand tu les respecteras, le contredis-je avec désinvolture. Lundi aussi,
j'avais besoin de me laver.
- Super mature, Scar. Alors ça va être comme ça la colocation? Dès que je vais faire quelque chose qui agace la Princesse, tu vas faire deux fois pire ? T'es une gamine !
Mes sourcils se froncent et je le lorgne d'un œil mauvais. S'il n'avait pas déjà saccagé mon amour-propre ces derniers jours, il vient d'en ajouter une couche bien épaisse et je m'applaudis mentalement d'avoir pris cette décision radicale de le reléguer au rang de frère.
T'es une gamine.
- C'est bon, mec, t'as la douche maintenant, pas besoin d'être désagréable.
Mon frère longe le couloir pour venir se placer dans mon dos et rejoindre la porte de sa chambre. Nolan n'a toujours pas pris possession de la salle de bains et est reste sur le pas de la porte, les bras croisés et le regard fier.
Il n'avait pas tant besoin de se doucher que ça.
-Il n'y a pas que ça qu'il va falloir changer, reprend-il d'une voix sèche. Des nuits comme celle que le viens de passer, ce nest plus possible.
Il m'observe en silence et tout le monde se tourne vers moi. Mes insomnies ne sont pas nouvelles, il suffit d'une montée de stress, de mes menstruations, d'un peu de surmenage ou de quelques changements dans ma vie pour que mon sommeil se fasse la malle. J'ai beau être morte de fatigue, dès que je m'allonge sur un lit, je me tourne et me retourne dessus en vain. La période actuelle est propice : mon retour, la rentrée, cette colocation... Nolan.
- Tu ne prends plus de cachets ? s'étonne mon frère.
- Non. Ca m'assomme trop le matin.
- Moi, ce qui m'assomme, c'est de ne pas pouvoir me reposer parce que ton fichu lit tape contre mon mur dès que tu bouges.
- Un lit qui grince ? Vraiment, Jones ? Je croyais que tu adorais quand ça faisait du bruit !
Nolan esquisse un rire à la vanne loin d'être délicate de Léo. Je me crispe.
- T'as qu'à mettre des boules Quies. Je ne vais pas m'excuser de ne pas réussir à dormir, m'énervé-je. Maintenant, si tu comptes passer la matinée à me prendre la tête pour quelques heures de sommeil, tu n'as qu'à aller dormir chez ta meuf.
Toutes les paires d'yeux me tombent dessus et le regard sombre de Nolan emprisonne toute mon attention. Il est à la fois étonné par mon attaque gratuite et furieux parce que je l'incite ouvertement à quitter cette colocation.
Et puis, répliqué-je en lui coupant l'herbe sous le pied, tu m'as fait chier pour une salle de bains et tu viens de passer dix minutes à me prendre la tête. C'est moi la gamine immature ? Ce sont les enfants qui font des caprices, Nolan, et tu viens clairement d'en faire un pour une douche que tu n'as toujours pas prise.
Puis je quitte le couloir pour me diriger d'un pas assuré vers le salon. J'ai laissé mon sac de cours dans l'entrée hier, je l'attrape en vitesse et quitte l'appartement dans un courant d'air.
Cette colocation était une idée de merde par excellence.
Assise sur l'herbe du jardin public de Boston avec les filles, je profite des quelques rayons de soleil de cette fin d'après-midi, buvant plusieurs gorgées du café que nous venons de prendre à emporter. Les yeux clos, je suis attentive aux échanges autour de moi tout en tirant profit du calme ambiant. La journée a été éreintante et ma courte nuit commence à se rappeler à mes muscles.
-C'est toujours d'actualité, Scarlett ?
Je me redresse en entendant mon nom et regarde Paige.
Pas si attentive, finalement.
- De ?
- Aller assister au match de hockey des gars demain ?
- OUiours.
- Tu n'as pas l'air emballée. C'est à cause de ce qui s'est passé ce matin ?
Je soupire en me laissant tomber sur l'herbe chaude. Je passe une main lasse sur mon visage,
tenant de l'autre mon gobelet en carton encore plein.
Ce matin...
- Je crois que je vais demander à prendre une chambre étudiante dans votre résidence.
- Ne sois pas dramatique ! s'exclame Carol. Tu ne vas rien faire du tout, c'est le début, Scarlett.
Tu débarques dans leur intimité, bien sûr qu'ils sont un peu chamboulés. Mais ils vont prendre l'habitude.
- Ce n'est pas ça qui m'inquiète.
- Nolan Jones aussi va s'habituer, ajoute ma meilleure amie. Et si ce n'est pas le cas, il peut toujours aller voir ailleurs.
- J'ai surtout peur que ce soit moi qui ne réussisse jamais a me faire a cette cohabitation.
Les filles rigolent et je reste allongée, les yeux rivés vers le ciel bleu clair. On venait souvent ici durant notre première année d'études, et fouler à nouveau la pelouse du jardin avec elles fait du bien.
- Tu cohabites presque avec lui depuis la middle school. Ça ne change rien s'il dort dans la chambre d'à côté. Il était déjà fourré chez tes parents quasiment H24.
- Techniquement, il ne dort pas vraiment à l'appart, vanne Paige.
- Merci pour cette piqûre de rappel.
Celle où Nolan a une copine, une vie sexuelle et que tout ça réuni ne m'implique ni de près, ni de loin. Je marmonne, me redresse et avale une gorgée de café.
- Si tu veux, on peut très bien ne pas aller les voir jouer demain, propose Carol. A la place, on peut se faire un ciné. J'ai vu que le nouveau Top Gun est sorti. Des aviateurs, Tom Cruise, de la testostérone. On gagne au change, non ?
Je glousse en même temps que les filles.
- Ed va me tuer si je ne suis pas présente à leur premier match. Même amical.
- Surtout s'ils gagnent. Et demain ne risque pas d'être facile face aux Black Bears du Maine, ajoute Paige
- Puis c'est le capitaine, donc s'ils l'emportent, il voudra faire une soirée à l'appart !
-C'est bon signe ça!
Carol se lève pour jeter son gobelet vide dans la poubelle la plus proche, laissant sa phrase en suspens jusqu'à ce qu'elle revienne.
- Ça veut dire que vous allez faire beaucoup de soirées chez vous. Et qui dit soirée, dit ?
- Nuits blanches ? tenté-je
- Mecs ! s'exclame Page. Qui dit soirée dit mecs à gogo.
- Et Harriet. marmonné-ie.
Les filles lèvent les yeux au ciel et je ricane - jaune.
OK, faut que j'arrête de penser, parler, respirer Nolan.
- Nouvelle règle, lâche ma meilleure amie. Puisque vous avez décidé d'en établir à la coloc, nous aussi on va en faire.
Elle me coupe avant même que j'émette une protestation et je me renfrogne, résignée.
- Tu es obligée de parler avec un mec en soirée qui n'est ni ton frère, ni Léo, ni aucun gars de l'équipe de Hockey. Deal ?
Je soupire, consciente que pour Paige, parler n'est pas simplement échanger deux ou trois mots. Non, la connaissant, elle va même modifier la règle en cours de route pour que j'aie l'obligation de repartir avec le numéro du mec en question.
Elle m'a fait le coup en France. Je me suis réveillée un matin avec dix messages d'inconnus. Sur le coup, ça m'avait fait rire.
Et puis si ça peut me faire penser à autre chose qu'à Nolan et sa copine, allons-y !
- Deal !