Chapitre 3
Scarlett
Je fulmine, jetant un autre coup d'œil à l'heure sur l'écran de mon téléphone.
Neuf heures vingt et une.
J'ai cours dans trente-neuf minutes et un quart d'heure de transport en commun. Je frappe une nouvelle fois contre la porte de la salle de bains, faisant un bruit pas possible alors que Léo et mon frère sont toujours dans leur chambre. Ils commencent en début d'après-midi, contrairement à Nolan et moi qui devons être à l'université pour dix heures. Pourtant, monsieur semble bien décidé à monopoliser la salle de bains jusqu'à ce que je sois trop en retard pour prendre une douche.
Putain !
- Nolan ! hurlé-je en tambourinant contre le bois. Bouge ton cul, sérieux, t'es pas tout seul !
La porte s'ouvre au moment ou j'allais frapper du poing encore une fois. J'arrête mon geste, le bras levé en l'air, les yeux rivés sur le corps à moitié nu devant moi. La serviette enroulée autour des hanches, les cheveux trempés qui dégoulinent sur son front, il a le torse encore un peu humide et j'ai un mal fou à détacher mon attention de ses abdos dessinés. Bronzés. Je déglutis et redresse mon regard pour plonger dans le sien. Son mètre quatre-vingt-cinq me force à lever le menton. Un sourire amuse déforme ses levres et la colère menace de plus belle.
- Tu fais chier !
- Bonjour à toi aussi, Scarlett.
- Et tu aurais pu enfiler un truc, grommelé-je en le contournant.
La chaleur de son corps, tout juste sorti de la douche, où je l'imagine se détendre sous le jet d'eau, me submerge. Ma peau fourmille, mes joues chauffent et je n'arrive plus à me défaire de l'idée que je me fais de Nolan entièrement nu.
Tout doux, Scarlett.
- Estime-toi heureuse, j'aurais pu sortir la bite à l'air.
Je lui claque la porte au nez et entends son rire depuis le couloir. Je ferme les yeux, posant ma tête contre la porte avant de me rappeler l'essentiel : je suis à la bourre Ignorant mes cernes violacés, j'inspecte mes cheveux dans le miroir et constate avec malheur qu'ils sont sales. Pas le temps de les laver, je saute sous le jet en vitesse et en sors cinq minutes - top chrono - plus tard. J'enfile mes fringues, la peau encore mouillée, et malmène mon short en jean. La douche n'a pas été assez longue pour me réveiller de la nuit agitée que j'ai eue, mais tant pis. Lorsque je sors de la salle de bains quinze minutes plus tard, je suis maquillée et une queue-de-cheval rapide est dressée sur ma tête. Une grosse partie de mes mèches courtes a glissé de mon élastique, mais je n'al pas d'autre choiX.
Je trottine vers ma chambre et attrape mon sac avant d'aller dans la cuisine. Nolan est debout au milieu de la pièce, dans un jean brut agrémenté d'un tee-shirt bordeaux. Celui-là, je le connais, et il est dans mon top 5 de ceux que je préfère qu'il porte. La couleur, le tissu près du corps, la façon qu'il a de retrousser les manches sur ses biceps.
Merde.
La journée commence sur les chapeaux de roue.
-Je t'ai fait un Thermos de café !
Il me fourre la gourde chaude dans les mains, avale le sien en quelques gorgées seulement et attrape une banane dans le saladier de fruits sur le plan de travail.
- T'es prête ? Je te dépose !
Il n'attend pas ma réponse et se dirige vers l'entrée de l'appartement. Je cours presque derrière lui, récupère une veste légère que je passe sur mes épaules.
Si ca peut m'éviter de me coltiner les transports en commun, je prends !
II fait déjà une chaleur étouffante quand on arrive dans la rue. Nolan déverrouille son 4×4 Chevrolet et je grimpe à ses côtés. Son odeur me prend à la gorge dès que je m'installe sur le siège et je hume un long moment les effluves de parfum qui m'enveloppent.
Mon Dieu, cette journée va avoir ma peau.
- Tiens, mange ça !
Il me pose la banane sur les cuisses, frôlant par inadvertance ma peau nue. À ce moment, je remercie le retard que nous avons, qui l'oblige à se concentrer sur sa manœuvre et l'empêche de s'attarder sur ma réaction épidermique. En quelques secondes, on est sortis de la place de parking et on roule en direction de l'université. La radio est allumée, les fenêtres grandes ouvertes et je déguste le fruit qu'il m'a pris avant de partir. Nous ne parlons pas, profitant du silence ambiant, ne jugeant pas nécessaire de le rompre.
J'aime être avec lui comme ca. J'ai l'impression à cet instant que onze mois ne nous ont jamais séparés. Je l'observe à la dérobée, contemplant les traits de son visage, sa mâchoire carrée, son nez rond, ses levres pleines et galbées. II a coiffé ses cheveux de sorte que ses mèches ondulent légèrement sur le haut de sa tête sans tomber sur son visage. J'admire son profil en même temps que l'étudie la facon qu'il a de conduire. Sa concentration, le froncement de ses sourcils quand il dépasse quelques véhicules, ses légers coups d'œil vers le rétroviseur... J'inspire longuement, me délectant de son odeur et sa présence familière.
- Ça va ? demande-t-il alors que je souffle.
- Si on retire le fait que je retourne à la fac après un an ? tenté-je. Tout baigne.
Et que tu dégommes tout dans ma vie comme un boulet de canon : mon cœur, mon estomac, mes hormones et tout ce qui me reste de self-control. Tout. Va. Nickel.
- Stressée ?
Le son que fait son petit rire fait naître une légère excitation dans mon bas-ventre.
J'inspire.
- Hâte de retrouver les filles, surtout.
Je récupère mon téléphone dans la poche avant de mon sac et lis les quelques messages qu'elles ont envoyés dans notre conversation groupée. On arrive sur le parking en moins de quinze minutes et, de plus en plus troublée par sa proximité, je remercie Nolan en quittant la voiture en vitesse. Dès que je vois mes copines m'attendre plus loin, je me précipite vers elles de peur que leurs regards de connivence me trahissent.
- Alors ?
Paige me saute dans les bras, comme si on ne s'était pas vues il y a deux jours.
- Alors quoi ? feins-je en serrant ensuite Carol contre moi.
Je sais pertinemment ce qu'elles veulent savoir.
Nolan. Colocation. Moi.
- Nous fais pas attendre plus longtemps, se plaint Carol. Tu nous as rien dit de la soirée d'hier !
Je glousse en les suivant dans les couloirs de la fac. On se dirige vers l'amphithéâtre où on va passer deux heures de prérentrée. On est toutes les trois en troisième année d'études de gestion et commerce international. Seules Paige et moi avons profité d'une opportunité d'étudier à l'étranger afin d'améliorer notre niveau en français dans un programme d'échange. Même si mon but officieux était surtout de m'éloigner du meilleur pote de mon frère et des sentiments qui me submergeaient. Carol, elle, a continué le cursus classique. Du coup, on se retrouve enfin après des mois à l'écart. Et j'ai l'impression qu'une fois encore, rien n'a changé.
- Je suis bien installée ! La chambre est sympa, mon frère a déjà commencé à faire une liste de
règles du style « retour à la case prison » et Léo est égal à lui-même : adorable.
Je n'ajoute rien et elles glapissent de concert. J'explose de rire.
- Et Nolan est toujours le même
- Toujours aussi beau à en crever à ce que j'ai pu voir ! s'exclame Paige.
Je soupire en passant une main lasse dans ma queue-de-cheval.
- Une torture !
Mon crush impossible pour Nolan Jones n'a aucun secret pour mes meilleures amies et la perspective de savoir que j'allais passer une année entière en sa compagnie les a beaucoup amusées.
Elles ont tout de suite compris que ça allait être un calvaire pour moi, surtout maintenant qu'il est officiellement inaccessible et casé.
À cette simple évocation, ma poitrine se serre et je mords l'intérieur de mes joues.
J'ai fait tout mon possible pour ignorer cette nouvelle information que mon frère m'a annoncée un soir alors que j'étais en France. Quand j'ai appris que Nolan avait mis le grappin sur une magnifique blonde aux yeux encore plus clairs que les miens, je me suis mis une cuite monumentale. Pour oublier.
Résultat des courses ? Je ne me souviens pas de ma soirée hormis que Nolan avait une petite copine.
Et ce n'était pas moi, parce qu'il ne m'a jamais considérée comme ca. Une fille avec qui il pourrait sortir. Je suis et je serai toujours Scarlett Martin. La sœur de son meilleur pote. Intouchable.
Ça aurait dû être mon déclic. Mais ça n'a malheureusement pas été le cas.
- Et c'est quoi cette histoire de règles ? s'étonne Paige.
- Du genre pas de mecs à la maison, qu'ils soient étrangers à la colocation ou membres de la colocation.
- Il t'a déconseillé de te taper ses potes ?
- Interdit serait le terme le plus exact.
- Super gênant ça, se marre Carol. Ed et son tact !
Et j'ai encore en travers de la gorge cette idée stupide de tout réglementer, comme si ça ne chamboulait pas déjà leur routine que je me ramène dans leur colocation. J'ai cru comprendre qu'à part mon frère - qui a insisté pour que j'emménage -, les mecs n'avaient pas du tout envie de cohabiter avec une meuf. Et je ne sais plus trop moi-même si cette coloc est vraiment une bonne idée ! Au départ, j'étais excitée à l'idée de les retrouver, même si j'étais consciente que j'allais passer d'un extrême à l'autre. Je venais de vivre onze mois de rêve en France, croyant bêtement que mon béguin allait s'amenuiser. Connerie. Entre « ne jamais voir Nolan » et « vivre avec Nolan », j'étais foutue d'avance. Non seulement cette nouvelle coloc ne change rien à ma relation avec lui, mais je me prends en plus chaque jour en pleine face cet amour impossible. Et pour couronner le tout, j'apporte en prime tout un tas de trucs à respecter, ce qui fait que les mecs vont probablement me haïr.
C'est juste su-per !
Lorsque j'arrive à l'appartement ce soir, Léo est déjà là. Des sacs jonchent le sol de la cuisine et il remplit le Frigidaire de tout un tas de trucs.
- Tu as besoin d'aide ?
- Je veux bien que tu vides ces deux-là dans les placards.
II me montre du doigt les sacs de course et je m'y mets aussitôt, déposant mes affaires de cours en chemin.
- Ça a été ta journée ? m'interroge-t-il.
- Une reprise des plus classiques. Et toi ? Edgar est où ?
- A chier, comme d'hab, se marre-t-il. Il est sous la douche. Il a crevé de chaud.
Je rigole en rangeant un paquet de céréales.
- Ce soir, je pensais faire des pâtes. Ça vous dit ?
- Moi je suis chaud. Fais-en simplement pour trois. Nolan ne rentre pas.
Je m'arrête une nanoseconde dans ma tâche, assimilant difficilement l'information que Léo vient de me fournir
Nolan n'est pas là ce soir.
- Il est où ? tenté-ie d'une voix assurée.
Je sais que je vais regretter ma curiosité, mais une partie de moi a besoin de savoir. J'ai besoin de mettre au clair une bonne fois pour toutes ces sentiments ingérables. Onze mois plus tard, c'est retour à la case départ. Mêmes réactions épidermiques, mêmes émotions, mêmes soubresauts dans ma poitrine dès qu'il est là. Pourtant, ma venue dans la colocation m'a fait prendre conscience d'une chose : ça a changé. Nolan a une copine. Je pouvais tenter de l'ignorer quand j'étais en France.
Aujourd'hui ? Il faut que je passe à autre chose, ou les dégâts risquent d'être irréversibles.
- II dort chez Harriet. Il n'est pas souvent là le soir et maintenant qu'on a mis en place des nouvelles règles, il n'est pas près de dormir dans son lit.
Léo se marre en me faisant un clin d'œil et je me force à sourire alors qu'au fond de moi, mon cœur se brise un peu plus.
Au moins, à force de se briser, il ne pourra plus battre pour lui. Il faut voir le bon côté des choses.
Alors c'est décidé, d'ici la fin de cette colocation, mon faible pour Nolan sera passé aux oubliettes et il reprendra la place qu'il aurait toujours dû avoir : celle d'un frère.
Ni plus. Ni moins.