Chapitre 2
Nolan
Scarlett sort de la chambre une bonne heure plus tard, et j'imagine qu'elle a passé son temps à défaire ses cartons de quinze kilos chacun.
Sans déconner !
D'après l'étiquette, dans l'un d'entre eux, il n'y avait pas moins d'une trentaine de livres. Des livres !
Je me souviens qu'elle adorait lire dans le iardin quand on était au lycée. After et tous les trucs archi-cucul qu'elle dévorait pendant des heures. Elle les a tous lus au moins dix fois et pourtant, elle les a pris avec elle. Utilité ?
Aucune. Mais je ne cherche pas trop à comprendre le fonctionnement du cerveau ultra compliqué de Scarlett Martin.
Une fille un peu casse-pieds mais que j'adore !
J'aime surtout l'emmerder, parce qu'elle s'énerve très facilement et ça me fait vraiment marrer. Elle a cette façon de m'envoyer chier, me repousser comme si j'étais un vieux chewing-gum périmé. Dire que je suis content qu'elle soit de retour est un euphémisme. Elle m'a man-qué, c'est clair. Mais la voir débarquer dans la coloc ? Pas trop emballé !
La raison est toute simple : ça va casser la dynamique du groupe. Pourquoi ? Parce qu'ajouter une nana dans une colocation de trois mecs, c'est un mauvais bail. Même si cette fille est asexuée à nos yeux. On a jamais accepté de filles à la colocation. Question de prin-cipe, mais Edgar a insisté, et j'avoue que j'ai fini par craquer parce que, justement, c'est Scar. Notre petite sœur, la blonde chiante et geignarde qui a porté un appareil dentaire pendant la moitié de sa scolarité. La gamine qui passait son temps à faire foirer mes tentatives de draque en soirée et qui s'amusait à faire croire à toutes les meufs qui nous approchaient que nous étions gay.
Faut dire qu'on lui rendait plutôt bien.
D'ailleurs, je ne crois pas qu'elle ait eu l'occasion d'inviter qui que ce soit chez elle un jour. Même si Meredith et Arthur, ses parents, ont touiours été très ouverts d'esprit. on s'amusait souvent à faire fuir les mecs avec qui elle voulait sortir. Un prêté pour un rendu.
Et quand je la vois débarquer dans le salon avec son legging rouge et un vieux pull du lycée où nous étions tous inscrits, j'esquisse un sourire aux souvenirs que ça m'évoque. Quand elle était avec nous, les mecs avaient du mal à se frayer un chemin. C'était drôle de voir à quel point ça l'emmerdait qu'on s'immisce dans sa vie privée comme ca. Elle est quand même sortie avec un type en première année de fac. Evan Teryl. On l'aimait pas beaucoup avec les gars, il se la pétait un peu trop et s'écoutait parler. J'imagine qu'elle a dû le quitter avant de partir pour Paris. En tout cas, elle n'en a plus reparlé depuis.
Pizza ce soir, ça vous tente ?
Edgar sort de la cuisine avec deux grosses pizzas surgelées, emballées dans leur carton d'origine. Je reste assis sur le canapé, tournant la tête pour jeter un œil à ce qu'il tient dans les mains.
Il reste quoi comme garniture ? demande Léo à ma place.
Bolo et BBQ. Scar, ça te dit ?
Ca me va.
Elle s'est assise par terre, les jambes repliées contre sa poitrine et pianote sur son téléphone. Elle marque un point ce soir. Elle aurait pu faire sa chieuse et dire que manger gras ce n'était pas l'idée qu'elle se faisait d'un premier repas de colocataires, mais elle ne dit rien. Même si je suis sûr que ça lui brûle la langue.
OK, je les mets à chauffer et on va pouvoir faire un point sur les règles !
Les règles ? s'étonne-t-elle en relevant la tête vers son frère.
Tu ne croyais quand même pas que tu débarquais dans un no man's land ? On a un code ici.
Je ricane en vovant la moue désabusée de Scar qui se recule légèrement pour buter contre l'un des fauteuils du salon. Visiblement, elle ne s'attendait pas à ça. Et moi non plus. Je ne sais pas d'où Ed sort cette connerie, mais ici il n'y a aucune consigne. Enfin, c'était avant que sa sœur débarque, j'imagine.
J'ai besoin de prendre des notes ? demande-t-elle en grimaçant.
Fais pas genre tu sais écrire, Scar.
Ha ! Ha ! Très drôle. Je vois que ton humour est resté au même stade que celui que tu avais au college, Nolan.
Elle s'arrête, mimant une réflexion intense, l'index posé sur son menton avant d'ajouter dans la foulée :
Ah non, pardon, tu n'as jamais eu d'humour.
J'étouffe un rire en lui balançant un coussin en plein visage. Elle grogne et je me marre de plus belle avec Léo.
- C'est bon, vous avez fini de faire les gamins ? reprend Edgar en revenant avec une feuille et un stylo.
On peut commencer par les règles ?
Tu ne plaisantais pas, bougonne Léo.
Super.
Si ma sœur est ici, ne croyez pas que ça sera du même acabit que lorsqu'il y avait Sullivan.
J'avais donc raison sur une chose : Scarlett est déjà en train de casser l'ambiance.
Milo me manque.
Donc, règle numéro un : pas de mecs à l'appartement.
Pardon ? râle Scarlett.
Léo et moi explosons de rire.
Ca commence bien.
Interdiction de ramener qui que ce soit du sexe masculin ici, confirme Edgar.
Ravie de savoir que vous n'êtes pas considérés comme des hommes.
Ce sont tes hommes à toi qui risquent d'avoir un problème s'ils passent cette porte, rétorqué-je.
Elle grimace, dépitée.
Dans ce cas, pas de filles à l'appartement.
Léo se redresse en fronçant les sourcils.
Alors là, même pas en rêve !
C'est d'accord ! la défié-je, tout sourire.
Parle pour toi, Jones ! Moi, je n'ai pas l'occasion de crécher chez ma meuf tous les soirs !
Pour ça, faudrait déjà avoir une meuf, se marre.
Edgar.
Oh, ferme-la toi si tu veux pas que je balance des bails devant Scar.
C'est bon !
La principale concernée lève les mains en l'air en signe de reddition. On se tait et elle nous fusille du regard.
Pas de mecs ici, pas de filles non plus. Passons à la règle numéro trois !
Léo soupire en s'affalant de nouveau dans le canapé et Edgar et moi étouffons nos rires gras. Lui, il s'en tape aussi, puisqu'il préfère sauter des filles dans leur propre pieu que de se les coltiner au réveil. Ce que je com-prends. Moi je n'ai pas ce problème, vu que je sors avec Harriet depuis bientôt six mois et que sa porte m'est grande ouverte.
Maintenant que Scarlett est arrivée, je sens que je vais y passer plus de temps que prévu.
Surtout avec la lubie d'Edgar pour des règles à la con.
- Règle numéro trois, continue Edgar. Pas de soirée les veilles de match mais possible les soirs de victoire.
C'est bon pour moi!
Moi aussi, confirmé-je.
OK, capitule Scarlett. Du moment que tout le monde participe aux tâches ménagères et qu'aucune fringue ou autres trucs ne traînent dans les parties communes.
Tu nous prends pour des crados ? s'étonne Léo. Ça va être sympa cette colocation.
Dans ce cas, interdiction de laisser dix mille produits dans la salle de bains ou la douche, rétorqué-je.
Tu me prends pour une diva ?
Vu que tu nous prends pour des mecs sales... Chacun son tour !
Je lui fais un clin d'œil et elle me balance le coussin que je lui avais envoyé le premier. Je rigole en le rattrapant sans encombre.
- Bon, et la sixième et dernière règle est la plus importante, ajoute Edgar en regardant Scarlett dans les veux. Pas touche aux potes.
Je jurerais voir son visage devenir livide, mais elle retrouve vite des couleurs et fronce aussitôt les sourcils.
- Tu diras ça à tes potes qui essayent toujours de me draguer en soirée !
Qui te drague ? demande Léo.
Tous les petits nouveaux de l'équipe. Ils sont toujours en rut jusqu'a ce que je leur dise que je suis une Martin.
Je faisais aussi référence aux personnes de cette pièce, reprend Edgar d'un ton calme.
On s'arrête tous les trois de parler, nous tournant vers le blond au milieu du salon. Une feuille et un stylo dans les mains, il nous observe en silence, comme s'il n'avait pas dit la chose la plus stupide de la terre.
Nous ? répété-je.
J'ai très bien compris ce qu'il avait dit avant, mais je préfère m'assurer qu'il a bien mentionné le fait que Léo ou moi pourrions nous taper sa soeur.
On parle de Scarlett quand même.
Petite sœur casse-couilles.
T'as fumé quoi, Ed ? ricane Léo. Tu crois franchement que ça va arriver un jour ?
Non, mais l'avertissement tient quand même, précise-t-il.
Mec, on ne risque pas de se taper ta sœur. C'est Scarlette !
Je lance un regard amusé vers Léo qui hausse les épaules.
Pour moi, elle a encore 12 ans et un appareil dentaire, blague-je.
Je voulais juste mettre les choses à plat pour éviter les malaises.
Tu l'as installé tout seul ton malaise, grogne Scarlett en se levant.
Je vais chercher les pizzas.
Puis elle disparaît dans la cuisine en vitesse, nous laissant tous les trois dans le salon avec une liste de règles plus débiles les unes que les autres et le début d'une colocation qui va être à coup súr une complication doublée d'une catastrophe.
Et ça ne fait que deux heures qu'elle est installée.