Chapitre 04
Chapitre IV
Mon réveil venait de sonner mais je n’avais pas réussi à dormir, préoccupé par la situation qui prévalait actuellement.
J’avais mal géré la situation avec Tonya du début à la fin. Où j’étais énervé, oui j’avais le droit de le lui faire comprendre, mais non, la manière dont je l’avais fait n’étais pas la bonne. Ça aurait pu bien se passer. Ça devait même bien se passer mais j’étais épuisé par ma journée et l’accumulation de la fatigue des jours précédents n’avait rien arrangé.
Je me refais le scénario depuis plusieurs heures et toutes les fins sont beaucoup moins lourdes et pesantes pour elle et pour moi. Si seulement j’avais pris le temps d’aller me reposer avant de tenter de discuter avec elle. Maintenant elle veut partir. Non pas que je voulais la retenir mais j’aurais aimé qu’elle souhaite partir pour une autre raison et certainement pas parce que mes mots l’avaient blessé et lui avaient refait vivre une période trouble de son passé. Ce qui me désole encore plus dans cette histoire c’est qu’elle pensait être une tare pour Sophia et son éducation alors qu’elle était tout le contraire. Elle faisait du bien à cette enfant et tout le monde l’avait remarqué. Même moi, qui vivais avec elle depuis deux ans, je n’avais pas réussi à obtenir d’elle un résultat pareil en termes de communication. En un peu moins de deux mois, au contact de Tonya, Sophia s’était ouverte comme une fleur parfaitement exposée aux rayons de soleil et tout s’en entourage s’en était rendu compte.
C’était tellement réjouissant que je redoutais le départ de Tonya, lorsqu’elle a commencé à montrer de réels signes de guérison et la réaction de Sophia. Aujourd’hui, c’était encore pire. Son départ allait être soudain et je ne savais pas, je ne voulais pas avoir à trouver, comme j’allais le justifier.
Bien que Tonya avait pris le temps de discuter avec Sophia, je savais que cette dernière viendrait me trouver et me demanderait des comptes. Elle le faisait toujours, de cette façon particulière et bien à elle. Ça n’allait pas y manquer.
Il me fallait trouver une solution, me disais-je en allant vers la salle de douche. A cet instant, j’entendis des coups frappés à la porte de ma chambre. A la force utilisée pour les donner, je n’eue aucun mal à deviner qu’il s’agissait de Sophia et je reçus la confirmation de cette pensée moins de cinq secondes après l’avoir invité à rentrer.
Ses yeux étaient tirés, plus qu’à l’accoutumé, comme si son sommeil avait également été réduit.
« Hey trésor, ça va ? Tu as bien dormi ? »
- C’est moi qui ai fait des bêtises alors… Si… Si tu me punissais moi et…. Et pas maman, elle pourrait rester ? »
Woh ! Celle-là, je ne l’avais pas vu venir, du moins, je ne l’avais pas imaginé comme ça.
Quand je disais qu’elle avait cette façon propre à elle de demander des comptes…
Il me fallait la rassurer et lui faire comprendre qu’elle n’y était pour rien.
« Je ne vais pas te taper, tu n’as rien fait et combien même ? Je ne te taperai jamais.
- Mais alors, tu peux dire à maman de ne pas partir ?
- Chérie, c’est beaucoup plus compliqué que ce que tu vois avec tes yeux de petites filles… »
Elle avait les larmes au bord des yeux et je compris que ce n’était pas avec elle que je devais avoir cette première discussion matinale. Je devais m’entretenir avec Tonya et trouver une solution aussi bien pour Sophia que pour « nous », pour qu’elle me pardonne.
Je pris Sophia dans mes bras, qui finit par y pleurer en silence, puis pris le temps de la consoler avant de lui promettre de trouver une solution.
C’était plus sage que d’affirmer que Tonya allait rester.
Je l’invitai à aller prendre sa douche et se préparer avant de personnellement suivre les instructions que je venais de lui donner. J’utilisais, le peu de temps qu’il me restait pour mettre en forme mes pensées puis rejoignis la cuisine, où sans surprise, je trouvai Tonya en train de préparer le petit déjeuner.
Depuis qu’elle était à la maison et en capacité de se mouvoir sans trop de difficulté, elle s’occupait entièrement des repas. Principalement parce que c’était son truc à elle, la cuisine. Elle aimait préparer lorsqu’elle voulait réfléchir, lorsqu’elle voulait se défouler, lorsqu’elle voulait faire plaisir. Pour toutes les occasions et cela depuis toujours, elle aimait préparer. En revanche, comme pour tout ce qui concerne Tonya, il fallait qu’elle l’ait décidé. On ne pouvait pas compter sur elle pour préparer un de ses supers gâteaux dont elle seul avait le secret pour les rendre tendre, pas trop sucré et pourtant si gourmands aussi bien à la vue qu’au goût, si elle ne l’avait pas décidé. Et lorsqu’on l’y forçait, elle y mettait une mauvaise fois si surnaturelle qu’on pouvait se questionner sur les éloges qu’elle avait reçus dans le passé.
Aujourd’hui, je pouvais affirmer sans trop me tromper, que l’initiative venait d’elle, et non pas de Sophia comme ça l’était souvent ces derniers temps, et qu’elle le fait pour se défouler. Comment je le savais ? Il y en avait des tonnes. Vraiment. Brioches, crêpes, cake, gaufres, croissants, pain au chocolat, pain aux raisins, chaussons aux pommes. Elle ne devait pas avoir dormi très longtemps, mais elle avait été assez discrète pour ne pas faire de bruit.
Sur son visage, on pouvait également lire des traits de fatigue et le titillement de sa paupière supérieure droite me confirmait son état, je décidai donc d’en profiter pour tenter une première approche qui se voulait amicale.
« Salut.
- Bonjour.
- Je ne te demande pas si tu as bien dormi, toutes ces pâtisseries et ces viennoiseries parlent pour toi.
- …. »
Elle se contenta d’acquiescer d’un signe de la tête. Elle n’était visiblement pas disposée à me parler.
« Tonya, encore une fois j’aimerai te présenter mes excuses pour les propos que j’ai tenus hier. Je n’avais nullement l’intention de te heurter, plutôt te blesser et malheureusement c’est tout ce que mes propos ont réussi à faire.
- C’est bon, c’est oublié, dit-elle en continuant à sortir des pâtisseries de leur moule.
- On sait tous les deux que ça ne l’est pas…. Tonya…
- Mais si ça l’est ! Je suis ok.
- Dans ce cas, pourquoi est-ce que tu recules quand j’avance vers toi, dis-je en faisant un pas vers elle. »
Elle ne me donna pas de réponse mais s’éloigna de nouveau.
« Je suis ok, répéta-t-elle après un moment de silence.
- Dans ce cas, je peux te demander de revoir ta position concernant ton départ.
- Non par contre là, je….
- Sophia est venue dans ma chambre ce matin en pleure me demandant de la punir à ta place et ainsi te permettre de rester.
- C’est une blague.
- Tu sais que je n’utiliserai jamais ce genre de stratégie pour obtenir quoi que ce soit. Elle a besoin de toi, tu es importante pour elle, alors pour elle, reste encore quelques jours. Le temps que je trouve comment gérer la situation… S’il te plaît ajoutai-je alors qu’elle était visiblement en train de réfléchir à ma proposition.
-….
- Je vais aller au boulot et si je te trouve encore à la maison ce soir, je comprendrai que c’est un oui de ta part. Alors… peut-être à ce soir. »
Je regagnai ma chambre pour récupérer va veste et mon sac avant de suivre Sophia dans la cuisine et lui laisser le temps de saisir les boites contenant quelques pâtisseries que Tonya avait préalablement rangé pour la classe de Sophia.
C’était parti pour une journée bien chargée.
« Qu’est-ce que tu fous là ? »
Je ne pris pas la peine de me retourner, mais sortis de la rêverie dans laquelle j’étais, alors que je fixais un point à travers la fenêtre de mon bureau. Je savais qu’il s’agissait de Samuel. Ces derniers temps, il avait pris l’habitude de débouler dans mon bureau le matin pour me faire un compte rendu de ce que j’avais potentiellement raté avant mon arrivé. « Un boss doit toujours être au courant de tout ce qu’il se passe. Qu’il soit présent ou non. Remercie-moi d’être tes yeux et tes oreilles quand tu n’es pas là. » disait-il constamment.
« Je suis pas d’humeur, l’informai-je simplement, sans me retourner pour autant.
- Pas d’humeur ? T’es convoqué dans le bureau de Buaka et tu me sors que tu n’es as d’humeur. Je sais pas ce qui ne va pas depuis quelques jours mais Roland, faut te ressaisir. C’est important !
- Tu sais de quoi il veut me parler ? lui demandai-je en me retournant.
- Non mais je te laisse y aller et venir me faire un topo lorsque votre entretien sera terminé. »
Il ponctua sa phrase par un sourire puis sortit de mon bureau.
Si j’acceptais l’affirmation selon laquelle j’étais actuellement des plus étranges dans mon comportement, je devais également avouer qu’il en était de même pour Samuel, mais je n’avais pas le temps de m’éterniser sur son comportement.
Je pris sur moi, malgré la fatigue pour fixer un sourire confiant et un air maitrisé sur mon visage avant de rejoindre le bureau de Buaka.
« Bonjour monsieur Buaka
- Monsieur Lwona, comment allez-vous ? Vous semblez avoir une petite mine.
- Je vais bien, j’ai dû prendre quelques mesures ce matin mais rien susceptible d’altérer la qualité de mon travail.
- Je n’en doute pas, je n’en doute pas et c’est bien là la raison de notre entretien. Je vous en prie, prenez place. »
Ah la phrase qu’il venait de donner, je compris que mon travail était l’origine de cet entretien. De plus, dès mon arrivé, il avait remarqué mon état de fatigue. Je pouvais facilement imaginer qu’il souhaiter me réprimander pour un travail que je n’exécutais pas comme je le faisais jusqu’à présent, c’est-à-dire de façon minutieuse. Ce qui était vrai. Je faisais toujours aussi attention, mais je prenais moins de temps à revenir sur les détails mineurs. C’était une nouvelle façon de travailler que j’avais décidé de mettre en place lorsque Tonya est arrivée à la maison. Je pensai tenir ce rythme le temps de trouver mes marques dans la nouvelle configuration où nous étions mais il s’avérait que cela prenait plus de temps.
« Comment va votre femme ?
- Ma femme ?
- Oui. A notre précédente réunion, j’ai cru comprendre que vous étiez en retard parce qu’elle était souffrante.
- Oui, elle l’était… mais comment vous ? Enfin…. Elle… Elle va mieux. »
Je me demandai comment il pouvait être au courant de ça ? Pourtant, je n’avais rien dit à personne si ce n’était à Samuel et je savais qu’il n’aurait rien répété, d’autant plus que Tonya et moi n’étions pas mariés.
« C’est bien. La santé, c’est le plus important. Et votre fille. Sophia, n’est-ce pas ?
- Oui, c’est bien ça. Elle va également bien. »
J’étais surpris qu’il soit aussi informé sur moi. J’essayais d’identifier qui avait pu lui donner autant de renseignements sur moi, même s’il fallait reconnaître qu’une partie était erronée.
« Vous ne souhaitez pas qu’elle puisse bénéficier du programme « Yoka’s youth academy » ?
- Si mais ….
- Pourquoi ne figure-t-elle pas sur votre fiche ? C’est dommage. Il y a une session dans trois mois, durant les vacances d’été et il faudrait l’inscrire tout de suite pour qu’elle puisse choisir ces options. Vous savez, plus tôt ils sont inscrits et plus ils ont de choix en termes d’activités.
- Mais seuls les enfants des associés et des directeurs peuvent prétendre à ce programme.
- C’est exact, et en tant que nouveau directeur commercial pour la région Afrique Centrale et Afrique de l’Ouest, je pense que vous pouvez inscrire votre fille.
- Di… Directeur de quoi ? C’est… C’est … Wahou ! »
Je n’en revenais pas de cette annonce. J’étais à mille lieux d’imaginer que c’était la raison pour laquelle j’étais convoqué aujourd’hui.
« Félicitation à vous. Vous abattez un travail remarquable et nous valorisons les employés déterminés à faire de Yoka une entreprise d’excellence.
- Merci. Merci monsieur pour cette nomination. Je ferai de mon possible pour être à la hauteur de ce grand challenge.
- Je n’en doute pas. Maintenant que c’est fait, nous allons voir les modalités qui encadre votre nouveau poste puis poursuivre sur le compte rendu du dossier « Elenga ». C’est bon pour vous ?
- Parfaitement. »
Je pris sur moi durant les quarante minutes qui suivirent puis retournai à mon bureau, enfin mon futur ancien bureau, où enfin je pus souffler et faire retomber ce mélange de pression et d’adrénaline.
Ce nouveau poste, était la consécration de tellement de sacrifices et de dur labeur. Je revis mon parcours et la discipline que je m’étais imposée jusqu’ici pour réussir, pour tenir la promesse faite à maman. Je ne pensais pas que ce serait aussi… aussi rapide. Wahou !
« Alors ? »
C’était Samuel qui venait de pénétrer dans mon bureau à nouveau, enthousiasme comme pas possible, à croire qu’il était au courant.
Ce devait être le cas, je me dis.
« Alors quoi ?
- Vous avez parlé de quoi avec Buaka ?
- D’Elenga, dis-je simplement.
- Elenga ? Et ? C’était tout ? Pas… Pas de perspective d’évolution ? Ou quelque chose semblable enfin…
- Perspective d’évolution ? Pourquoi aurait-il échangé avec moi à ce sujet ? »
Il perdit son sourire ainsi que son enthousiasme et sembla à la fois peiné et embarrassé.
« Pour… Pour rien. Je vais retourner à mon poste. »
A cet instant, je compris qu’il avait joué un rôle dans l’attribution de ce nouveau poste, mais je ne saurais dire lequel.
« Ok, mais tu pourrais avant m’expliquer certains propos qu’il a tenu comme, comment, il connaissait l’existence de Tonya et Sophia, pourquoi il pensait que Tonya était ma femme ou encore comment il a su qu’elle était malade ?
- J’ai … J’ai peut-être fait en sorte qu’il entende une de nos conversations pensant que cela te servirait mais j’avais visiblement tort. Je m’en excuse.
- Tu pensais que cela me servirait pour quoi ? Pour l’obtention de mon nouveau poste de directeur commercial pour la région Afrique centrale et Afrique de l’Ouest ?
- Merde gars t’as le poste ?!
- Ouais, souris-je avant qu’il ne me félicite et que nous échangions une franche accolade. »
A sa réaction, je savais avoir vu juste concernant son implication dans cette affaire, alors sans trop tarder, je le questionnai sur son rôle, qui je compris était très subtile mais déterminant.
« Tu me connais, mes oreilles sont partout dans cette société. J’ai entendu qu’il cherchait un nouveau directeur commercial pour remplacer Itoundi. Quelque temps plus tard, ton nom est sorti en concurrence avec Moukoko et même si tout le monde était d’accord pour affirmer que tu serais parfait au poste, il n’y avait pas de signe de stabilité. Tu connais les vieux croutons qui servent d’actionnaires ici. Ils sont persuadés qu’un homme célibataire ne peut pas occuper un grand poste. Enfin bon, je ne pouvais pas entendre ça et ne rien faire pour t’aider, d’autant plus qu’en te connaissant, je savais que tu ne ferais rien pour ne serait-ce que leur faire croire que tu étais marié et père de famille.
- Ce qui est totalement vrai.
- Tu vois. Je t’avoue avoir béni le ciel pour la maladie de Tonya. Sans ça, je ne sais pas comment j’aurais fait. Quand je t’ai appelé, nous étions déjà dans la salle de réunion et j’ai mis le haut-parleur pour qu’ils t’entendent tous et ça a marché.
- Tu es impossible, mais je te dois beaucoup.
- Merci de le t’en rappeler lorsque tu paieras les trois prochains repas ! En tout cas, félicitation encore une fois, tu le mérites amplement, dit-il en quittant mon bureau.
- Je te remercie. »
Je retournai m’asseoir derrière mon bureau, un petit sourire aux lèvres quand mes yeux tombèrent sur la fiche détaillant les modalités et l’ensemble des étapes d’inscription à la « Yoka’s Youth Academy ». Je me rendis compte que cette promotion était plus qu’une aubaine pour moi, elle en était également une pour Sophia. Elle était excellente élève et je ne doutais pas qu’elle ferait partie des élèves retenues pour les inscriptions au lycée et à l’université. Parce que c’était ça la Yoka’s Youth Acadamy ; offrir durant les vacances une formation qualitative aux enfants de hauts cadres de l’entreprise de la primaire au collège puis détecter les potentiels talents et offrir à ces derniers une prise en charge totale des frais d’inscription dans les meilleurs établissements, du lycée à l’université. Le but étant de former une élite congolaise. Déjà dix ans que le programme était mis en place et les fruits étaient déjà visibles. Et j’étais heureux de penser que Sophia allait en faire partie. Elle allait pouvoir jouir des meilleures formations, dans les meilleures écoles sans avoir à se soucier de comment on payerait cela. J’allais pouvoir lui offrir une chance inestimable, que je n’avais pas eu.
Je parcourrai en diagonal la fiche lorsque mes yeux furent attirés par une information de taille, remettant tout en question.
« Seuls peuvent être admis, les enfants portant le nom du représentant, haut cadre chez Yoka Compagnies, ou pouvant justifier d’un lien de filiation de premier degré. »
En moins de dix secondes, les projections que je venais de faire s’écroulèrent pour laisser place à la désillusion.
J’aurais dû y penser. J’aurais dû y penser.
Je négligeais cette question depuis tellement longtemps, repoussant le moment où il faudrait la traiter. Non pas parce que je ne le voulais pas, mais parce que j’appréhendais cette grosse responsabilité. Je redoutais de ne pas être à la hauteur de ce qui était attendu de moi si je m’engageais, non pas vis-à-vis des autres, mais vis-à-vis d’elle. C’était elle le plus important. Et le moment venait de s’imposer à moi, à nous.
Aujourd’hui, après presque trois années passées ensemble, je me savais prêt. Prêt pour affronter toutes les démarches qui feraient officiellement de Sophia ma fille.
Un regain d’énergie et de zèle traversèrent mon corps, et je les saisis pour rentrer en contact avec des amis et connaissances capable de m’aider dans ce processus. Je passai toute la fin de la matinée ainsi qu’une bonne partie de mon après midi dans le traitement de cette affaire sans malheureusement pouvoir trouver une solution concrète à appliquer.
C’était donc dépité que je décidai de rentrer à la maison.
« Oh ! Bonjour !
- Bonjour maman. Comment vas-tu ?
- Bonjour papa, je vais bien mais je ne suis pas sûre de pouvoir en dire autant de toi. D’ailleurs je rêve ou tu es rentré plus tôt ?
- Je suis rentré plus tôt en effet. Je n’avais pas la tête à travailler, l’informai-je en allant prendre place dans un des fauteuils du salon. »
C’était dans ces moments là que je me félicitai d’avoir opté pour plusieurs fauteuils confortables autour de l’espace commun dans le salon, pensai-je en dénouant ma cravate. Il était facile de s’y installer et de se laisser glisser dans les tréfonds de leur confort pour éloigner, à défaut d’oublier, les soucis rencontrés.
« Tu es dans cet état à cause de la dispute qu’il y a eu entre Tonya et toi ?
- Non, rien à voir, répondis-je les yeux fermés avant de les rouvrir aussitôt en me redressant et la questionner à mon tour. Elle est là ?
- Qui Tonya ? Oui, dans la cuisine. »
Je poussai un soupir de soulagement et me laissai retomber dans le fauteuil.
« Et tu vas toujours me dire que ton comportement n’a rien à voir avec ta dispute avec Tonya ? »
Ça n’avait pas l’air comme ça, mais je savais qu’il s’agissait d’une technique un peu sournoise de maman pour que je l’informe de la raison pour laquelle Tonya m’en voulait. Elle savait traduire les comportements de Tonya et les miens depuis notre enfance. Après avoir vu Tonya et être rentrée dans la cuisine, je ne doutais pas qu’elle avait compris qu’il y avait un souci entre nous. Connaissant Tonya, je savais qu’elle ne lui avait rien dit, non pas par peur des représailles mais parce que tacitement, il était établi entre nous que nos disputes devaient rester entre nous dans la mesure du possible.
« On ne s’est pas disputé avec Tonya ? Pourquoi es-tu dans cet état ?
- Il ne s’est rien passé et je vais bien… J’ai été promu.
- Tu as été promu ?
- Oui. Directeur commercial pour les régions Afrique Centrale et Afrique de l’Ouest. »
Elle se mit à pousser des cris de joies et à rendre grâce à Dieu pour ce qu’Il venait de permettre. Cela dura une bonne dizaine de minutes avant qu’elle ne reporte son attention sur moi.
« Mais pourquoi tu n’es pas content ? C’est un grand poste non ? Ce n’est pas ce pour quoi tu as travaillé aussi dur ?
- Si bien sûr que si je suis content, je suis même très content, mais il y a une ombre au tableau qui vient relativiser l’expression de ma joie.
- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle l’air inquiet en allant s’installer de nouveau dans le canapé.
- Tu te souviens il y a quelques années, quand je postulais pour entrer chez Yoka Compagnies, je t’avais parler des perspectives d’avenir qu’ils offraient pour leurs employés mais également pour les enfants de leurs employés ?
- Oui, oui je m’en souviens et tu disais que c’était la raison pour laquelle l’entrée dans cette entreprise était aussi longue et fastidieuse.
- C’est ça. Aujourd’hui, avec ce poste, j’ai l’opportunité de pouvoir permettre à deux de mes enfants de profiter des camps de formation mis en place à travers la Yoka Youth compagnies pendant les vacances et de candidater à une scolarité gratuite du lycée à l’université.
- C’est pas vrai ! C’est pas vrai ! Jésus ! Jésus ! Jésus ! Whouuuuu ! Que ton nom soit élevé ! Whouuuuu ! Ma petite fille va faire les grandes écoles ohh ! Ma petite fille sera quelqu’un dans ce pays ! Sophia va être quelqu’un dans ce pays ! Merci Seigneur ! Whouuu !
- Justement non, la coupai-je. »
Elle s’arrêta nette de danser et se tourna vers moi, l’air étonné et horrifié.
« Hein ?! Non comment ça ?
- Elle ne peut pas profiter de tout ça parce que seuls les enfants portant mon nom ou pouvant attester d’un lien de filiation. Mais…
- Mais Sophia n’est pas ta fille et tu ne l’as pas adopté, compléta-t-elle en se rasseyant.
- C’est ça.
- Et… Et tu ne veux pas l’adopter ? Parce que ….
- Bien sûr que si maman et j’ai passé toute ma matinée et mon après-midi à me renseigner pour réaliser comment faire au plus vite toutes les démarches attenantes mais il s’avère que je ne remplie pas les conditions. Il faut soit être marié depuis au moins cinq ans ou être un célibataire de plus de trente-cinq ans. Je ne suis pas marié, encore moins depuis cinq ans et je n’ai pas encore trente-cinq ans. Un de mes contacts m’a dit qu’il allait être quasi-impossible pour moi de l’adopter surtout en étant célibataire et ayant moins de trente-cinq ans. Il aurait éventuellement pu m’aider si j’étais marié, même si cela ne faisait pas cinq ans, mais hélas, ce n’est pas le cas.
-…
- Je vais continuer à chercher une solution, lui dis-je face à son silence, et j’en trouverai une.
- Je me doute papa, je me doute. Bon. Je vais aller chercher Sophia, c’est bientôt l’heure de sa sortie d’école.
- Tu as de quoi payer un taxi ?
- Oui, oui, mais si ça te dérange pas, je vais l’emmener manger les trucs qu’elle aime bien.
- Ok, tiens prends ça.
- Non, non, c’est bon j’ai déjà. »
Elle était attristée. Elle était attristée et allait probablement pleurer sur le chemin de l’école.
C’est son visage qui me le disait. Ce même visage qu’elle arborait lorsqu’elle voulait pleurer face à une énième difficulté qui venait remettre en question ces plans. Dans ces moments-là, elle m’annonçait toujours qu’elle sortait puis revenait les yeux gonflés mais jamais rouge.
Je trouverai une solution, me dis-je encore une fois après son départ.
C’est sur cette pensé que je me levai du fauteuil et entrepris d’aller dans ma chambre, mais je me rappelai en passant devant la porte de la cuisine que Tonya y était, alors j’y pénétrai.
Elle préparait, encore, j’en déduisis qu’elle m’en voulait toujours et qu’elle avait probablement décidé de rester pour Sophia.
« Salut. »
Elle leva rapidement les yeux vers moi avant de se reconcentrer sur ce qui ressemblait à une pâte à tarte.
« Bonsoir.
- Toujours fâchée à ce je vois.
- Non, je te l’ai déjà dit, c’est oublié. Je prépare le repas de ce soir.
- Si y’a possibilité de tout mettre au frigo, tu devrais le faire. Maman va emmener Sophia manger et moi je n’ai pas d’appétit. »
Elle leva de nouveau ses yeux vers moi, mais cette fois, pris le temps de m’analyser avant de me demander ce qui n’allait pas.
Je ne cherchai pas à faire des mystères et l’informa tous ce qu’il en était. Et elle fut tout autant attristée que maman ou moi-même.
« On trouvera une solution, affirma-t-elle avec détermination. »
Et sur ces mots, une idée traversa, que je ne pris pas le temps d’étudier et la lui soumit :
« J’en ai une ; Tonya, épouse-moi. »
Elle resta stoïque, comme si elle pensait avoir mal entendu et m’invita d’ailleurs à répéter ma phrase.
« Epouse-moi, dis-je avec plus de conviction alors que dans ma tête l’idée et son apport se faisaient un petit chemin.
- Attends tu es sérieux ?
- Oui ! Tout ce qu’il y a de plus sérieux ! Epouse-moi et comme ça on pourra adopter. On aura tous les deux sa garde et une fois que l’adoption sera définitive, on divorcera ! »
C’était aussi simple que ça et ça avait toutes ces chances de marcher.
« Ralentis-là, je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
- Pourquoi ?
- Parce que je veux pas me marier et encore moins avec toi, puis je te rappelle que c’est toi qui criait partout que tu te marierais qu’une seule fois « génération sans divorce » ça te parle ?
- Oui mais là il ne s’agit pas de toi ou moi mais de Sophia et dans mes plans d’avenir, j’avais pas prévu d’avoir une fille hors mariage ! Je veux lui offrir les chances que je n’ai pas eues !
- Et moi également mais là ! La binocle ! t’épouser ? Que Dieu m’en préserve !
- Donc le souci c’est moi, sinon l’idée elle te parle ?
- Humm oui, je crois… plus ou moins.
- Ok… Dans ce cas : Joker.
- Jo quoi ? Jo…. »
Elle se mit à rire. Probablement un rire nerveux tant elle devait être surprise par ma réplique et ne pas penser que je pouvais allait aussi loin. A vrai dire, moi non plus je ne pensais pas pouvoir aller aussi loin.
« C’est une blague ?
- Tu as dit, peu importe quoi, peu importe où, peu importe comment la réponse sera oui.
- Mais t’es tombé sur la tête ? Dans un moment aussi sérieux tu me sors ça !
- Tu l’as établi à un moment qui semblait sérieux pour toi.
- J’avais seize ans, j’étais débile et t’en as aussi profité !
- Donc ta parole à seize ans et aujourd’hui est changeante ?
- Non mais Roland ! Je …. C’est …. »
Je me mis à sourire.
Je venais de trouver la solution.