Chapitre 6 : Déception
Si l'agonie avait un visage, le mien l'aurait parfaitement représenté à cet instant.
Je restais figée devant la vue et l'évidence qui s'imposait à moi.
Les admiratrices de Ren ne pouvaient pas être ces filles. Elles n'avaient rien du pedigree habituel des étudiantes. Des actrices de films d'action, des mannequins tout au plus, mais pas des universitaires de Tôdaï.
Moi je pensais plutôt avoir à faire à un groupe de binoclardes renfrognées. Le genre qui érige un club secret, et qui vend des photos discrètement prises du gars qu'elles admirent.
C'était injuste.
Comment j'allais faire pour l'approcher au milieu de ces oréades, moi ?
Le curseur de ma jauge de douleur sentimentale avait tellement touché le max, qu'une alarme interne retentit afin que je me ressaisisse.
La voix de Maria me menaçait des pires tortures si je m'abandonnais aux larmes.
« Tu dois sauver les apparences ! Tu m'entends ? Les apparences ! »
Mais comment faire ? Je n'avais qu'une envie, c'était de me jeter au sol et de pleurer comme l'aurait fait un enfant.
Trop occupée à contenir le méchant Hyde qui menaçait d'apparaître, que je n'avais pas réalisé que Ren et son harem étaient déjà si proches de moi.
Par peur d'être reconnue, et surtout pour cacher mon visage cramoisi et larmoyant, je me saisis de ma sacoche et j'enfouis ma tête derrière.
Des gloussements à peine dissimulés se firent entendre, je compris que c'étaient mes splendides rivales qui trouvaient ma scène, drôle.
Alors que j'allais faire demi-tour et m'éloigner, une paire de mains parfaitement manucurées saisit mon par-honte et l'abaissa.
Des rires clairs retentirent dans ce hall à l'acoustique exceptionnelle, faisant se retourner les personnes qui travaillaient là.
- Ozawa, lança la jolie jeune femme qui tenait encore mon sac, ce ne serait pas l'une de tes admiratrices secrètes ?
Une autre vague de rires éclata, tandis que je plongeais, ma dignité et moi, dans un profond désarroi. J'aurais aimé me défendre, dire quelque chose, seulement je n'osais pas lever les yeux vers ces filles.
Comment j'aurais pu, leur insolente beauté avait déjà gagné, et ce, quoi que je dise.
Ren devait me trouver pathétique. C'était notre deuxième rencontre et elle était plus catastrophique que la première.
J'avais l'air fine dans cette posture bizarre, je ressemblais à une autruche.
Pourquoi diable m'étais-je cachée ainsi ?
Pourquoi n'avais-je pas simplement tourné les talons avant de m'en aller ?
Sans laisser lâcher ma sacoche, je reculais doucement pour me soustraire aux railleries qui devenaient plus insistantes.
Et alors que je me retournais pour fuir, je bousculais un autre étudiant par mégarde.
- Ça va ? Me demanda-t-il en me retenant.
- Pardon, désolée, balbutiais-je le regard baissé.
Une fois hors du bâtiment, je pris mes jambes à mon cou.
Je courrais sans relâche, jusqu'à ne plus avoir de souffle.
Quand je fus assez loin du bâtiment principal, je laissais mon sac tomber au sol et mon corps avec.
Incapable de retenir plus longtemps le flot de larmes que j'avais réussi à intérioriser jusque-là, j'éclatais en sanglots. Dans un baragouinage incompréhensible, je pestais contre ma stupidité.
Je réussis avec peine à extirper un mouchoir de son sachet, avant de tenter d'endiguer le torrent que mes yeux et mon nez déversaient.
Quelques personnes intriguées s'arrêtaient pour voir ce qui se passait avant de reprendre leur chemin, déconcertées. Certains riaient à cette scène insolite, d'autres semblaient peinés pour moi.
En temps normal, je les aurais envoyés paître mais là, je me fichais de tout.
C'était mon premier et dernier jour dans cette université.
En repensant à tous les sacrifices que j'avais fait, les sanglots reprirent de plus belle.
L'esprit vide et le cœur lourd que je m'éloignais de l'endroit témoin de mon mélodrame. La plupart des étudiants ayant déjà regagné leurs salles de cours, le campus se fit plus calme.
Les couleurs vives, presque irréelles de ce lieu, étaient devenues ternes. Les allées fleuries, la fontaine et le parc, tous paraissaient tristes et mornes.
En sortant du campus, je me retournais de temps à autre vers ce qui aurait pu être le théâtre de ma nouvelle et heureuse vie.
Sacré destin, me laisser arriver jusqu'ici pour ça…
Je n'avais aucune envie de rentrer chez moi et faire le point.
Même si j'étais de nature fantaisiste, je n'en étais pas moins lucide sur ma situation amoureuse. J'aimais un garçon qui était à l'opposé de moi, et comme si le ravin d'intelligence et de beauté qui nous séparait n'était pas assez profond, il avait fallu que je me ridiculise devant lui.
Si seulement j'avais pu revenir en arrière…
Mes pensées, étant ce qu'elles sont, elles reprirent le dessus pour m'entraîner dans des versions édulcorées de ce qui aurait dû se passer plus tôt.
Je me repassais la scène où Ozawa Ren et ses camarades arrivèrent non loin de moi. Au lieu, cette fois-ci, de me cacher bêtement derrière mon sac, je passais près d'eux la posture fière, le cou altier et le regard mystérieux.
J'en étais sûre, si j'avais eu la présence d'esprit d'adopter cette attitude, mes chances avec Ren n'auraient pas été anéanties de la sorte.
« Ce qui est passé, est passé, tentais-je de me consoler. Ça ne sert à rien de se torturer de la sorte. »