Au revoir Tokyo
J'enjambais les marches de l'escalier deux à deux, ne laissant aucune chance à ma propriétaire de me rattraper.
J'arrivais dans ma chambre avec des sentiments mêlés.
Ma tristesse et ma colère noircissaient le tableau mais, éclairaient par la même, la situation.
Je n'avais, dorénavant, plus rien à faire à Tokyo.
Plus d'amour, plus de logement, et surtout plus envie de revivre des moments pareils.
Rentrer auprès des miens était la seule chose qui pouvait me réconforter. Revoir ma famille, mes amis et ma petite ville.
Si je n'avais pas déjà essoré jusqu'à la dernière goutte de mes lacrymales, la valise que je bourrais frénétiquement, aurait été inondée.
Le menton tremblant et la voix voilée par l'émotion, je n'arrivais pas à répondre à ma logeuse qui tambourinait à la porte.
- Hana. S'il te plaît ne prend pas à cœur ce qu'il a dit. Il n'a rien contre toi… il est comme ça avec tout le monde.
J'étais tellement peinée de devoir laisser Michiko. On s'entendait si bien elle et moi, que j'avais l'impression de la connaître depuis toujours.
Mais avais-je le choix ?
Je ne pouvais pas rester et ruiner ses projets de famille.
- Désolée, Michiko, fis-je en ouvrant la porte, je ne voulais pas te causer d'ennuis.
- Tu ne m'en as pas causé, et puis tu n'es pas obligé de t'en aller, insista ma logeuse. Puis en voyant que j'étais décidée, reste au moins le temps de trouver autre chose.
- Je préfère rentrer chez moi.
- Et l'université ? S'inquiéta-t-elle.
- Je verrais ça tranquillement avec ma famille.
Elle soupira avant d'acquiescer.
- Bien, je n'insiste pas dans ce cas.
- Encore merci pour tout, Michiko. J'ai passé de très bons moments avec toi.
- Promets-moi de passer me voir à l'occasion.
- J'y tâcherai. Je t'appelle en rentrant.
Je quittais la chambre, mon imposante valise à la main.
Après avoir péniblement descendu les escaliers, je m'assis à l'entrée pour enfiler mes chaussures. Une fois dans le jardin, je saluais encore une fois ma logeuse d'un timide signe de la main.
Son expression trahissait l'attachement qu'elle avait développé à mon égard, et à en juger par le pincement qui me saisit la poitrine, c'était réciproque.
Au moment de refermer la grille derrière moi, je sentais des larmes rouler sur mes joues, des larmes différentes de celles que j'avais versé plus tôt dans la journée.
Celles-ci avaient un goût amer. Un goût de regret.
Les moments que je ne passerais plus avec Michiko, Ren, mon amour impossible qui sortait définitivement de mon monde, ma vie d'étudiante tokyoïte que j'abandonnais avant même qu'elle ne commence...
Les ruelles s'assombrissaient doucement, mais pour mon esprit il faisait déjà nuit noire.
Je trainais des pieds, la tête et le cœur trop plein. Plein comme l'était ma pauvre valise que je faisais rouler piteusement derrière moi.
Elle finit, d'ailleurs, par se heurter contre le rebord d'un trottoir et perdit l'une de ses roues, m'obligeant à la porter.
En comparaison de ce que je venais de vivre, je trouvais que le sort ne s'acharnait pas tant que ça.
Après l'avoir attendu quelques minutes, la ligne en partance pour la gare finit par arriver.
Je me levais du banc, saisis mon énorme malle rose poudrée, et m'engageais en direction de la porte du véhicule qui m'attendait.
- Bonsoir, lançais-je au chauffeur en posant un pied sur la plateforme du bus.
Et alors que j'allais poser le second, une main saisit mon bagage et le retint.
- Attends, fit une voix qui commençait vraiment à m'être familière.
- Ren ?
C'était impossible. Il m'avait suivi ?
Il était venu empêcher mon départ, après tout ce qui s'était passé ?
Une allégresse sans nom emplit mon être.
Mon amoureux avait, enfin, compris que toutes nos rencontres, n'étaient en fait que le destin qui nous faisait signe.
Mon cœur meurtri et en colère la seconde d'avant, avait tout pardonné.
Porté par une vague de bonheur, il se mit à battre plus fort et mes jambes vacillantes s'éloignaient nonchalamment du véhicule.
Je faisais face à mon bien aimé, à présent.
N'était-ce pas d'un romantisme magnifique ?
Mes yeux, pour la première fois, se plongeaient directement dans ceux de Ren.
Je pouvais contempler chaque ligne de son visage harmonieux, son expression sévère s'était adoucie, me laissant l'entrevoir comme jamais.
J'aurais aimé que le temps se fige à cet instant précis. Que tout s'arrête autour de nous.
J'attendais, suspendue à ces lèvres parfaites, qu'il me demande de rester auprès de lui, rêvant déjà de la réplique enthousiasmée que j'allais lui donner.
Nous allions être dignes des plus belles scènes de retrouvailles.
- Tu es partie si précipitamment, que tu as oublié de rendre les clés.
- Pardon ? Demandais-je en espérant avoir juste mal compris.
- Tu es partie avec les clés ! Répéta-t-il d'un ton exaspéré.
Je ne sais pas si cela avait une quelconque logique, surtout après tout ce que je venais d'éprouver, mais je haïssais ce garçon !
Je le détestais tellement, mais tellement, que j'en aurais hurlé !
Je me mis à fouiller frénétiquement dans mon sac pour trouver les clés que j'avais effectivement oublié.
Aux bords de la crise de nerf et des larmes, je les lui remis avant de tourner les talons.
- Hé ! Protesta-t-il. Je peux savoir pourquoi tu t'énerves ? Puis après avoir eu droit à un de mes plus perçants regards, il continua sur un ton moqueur, tu pensais que j'étais venu te retenir ?
- N'importe quoi ! Et pour ta gouverne, je suis en colère car je dois attendre une éternité avant l'arrivée du prochain bus.
- Si tu n'avais pas oublié les clés, ça ne se serait pas produit ! Répliqua -t-il, puis après un soupir, de plus, personne ne t'a demandé de partir sur le champ. Enfin, quand je t'ai dit de t'en aller, je voulais dire par là, dès que tu en aurais la possibilité...Aller, il commence à se faire tard, lança-t-il soudain en prenant ma valise, rentrons avant que Michiko ne s'inquiète.
Je ne savais plus quoi penser de ce garçon. Il venait de me faire passer par tous les états émotionnels possibles, pour enfin m'apaiser avec quelques mots.
J'étais vraiment loin du compte, en ce qui concernait les sentiments. Je les pensais élémentaires, tandis qu'en vérité, ils sont complexes et douloureux.
Quoi que l'on fasse, et peu importe notre bonne volonté, les choses nous échappent totalement.
Mon esprit fantaisiste avait eu le culot de croire qu'en étant plus proche de Ren, j'aurais plus de chances avec lui.
Seulement, maintenant que je n'étais qu'à quelques pas, je gardais mes distances, comme, terrifiée. Un peu comme si je prenais conscience que l'on était vraiment pas du même monde.
Pour ne pas le déranger et pour m'épargner toute nervosité inutile, je le suivais à bonne distance, sans rien dire.
Quand l'écart se creusait trop, il s'arrêtait et m'attendait.
Au bout d'un moment, il montra son agacement :
- Tu es lente !
- Désolée.
- Je ne te demande pas de t'excuser, mais de presser le pas.
- Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, je n'ai pas tes jambes. Je ne peux pas aller aussi vite que toi.
- Hm, si je comprends bien, tu n'es vivace que face à la nourriture ?
- Je t'ai déjà dit que j'étais désolée !
- Si être désolé pouvait résoudre tous les problèmes, ça se saurait et on aurait pas besoin de la police ni de tribunaux.
- Très bien. Dans ce cas, je réparerais ma faute en cuisinant un repas à l'identique, ainsi Michiko et toi pourrez dîner ensemble comme c'était prévu.
Qu'est-ce que je racontais ?
Cuisiner un repas ?
Comment allais-je faire ce miracle ?
Je ne savais même pas ouvrir une boîte de conserve sans que l'anse de l'opercule ne me reste dans les mains.
Il fallait que je trouve une parade pour faire oublier cette proposition ridicule. Puis j'y pensais, Ren n'accepterait jamais de manger la cuisine d'une étrangère. Il n'y avait qu'à voir son air guindé…
- Ça me va. Acquiesça-t-il en me prenant de cours, je dinerais avec Michiko demain, alors je compte sur toi.
- Demain ?!
Je m'étouffais.
- Quoi ? Tu cherches à te défiler ?
- Non ! C'est juste que je ne connais pas encore très bien le quartier et pour faire les courses…
- Qu'à cela ne tienne, je t'y accompagnerais après les cours.
Ren était loin de se douter que mon niveau en cuisine excellait en médiocrité. Sans cela, il n'aurait jamais accepté ma proposition, qui soit dit en passant, était complètement démente.
- Ah cette bouche, grommelais-je de dépit. Elle ne m'attire que des problèmes.
- Tu disais ? Demanda Ren qui pensait que je lui parlais.
- Nan, rien. Je me faisais une pré-liste, histoire de rien oublier demain.
- Je vois. Après, si tu n'es pas obligé de tout faire toi-même, j'accepte que tu achètes quelques trucs pré-faits, à condition que ce soit chez des artisans.
- C'est gentil de ta part, fis-je avec une pointe d'ironie.
Sérieusement ? Il me donnait l'autorisation d'acheter des plats préparés. Quel être magnanime. Si seulement il savait…
Michiko nous attendait assise sur le petit banc près de la porte.
Son visage s'illumina en m'apercevant, et elle vint à ma rencontre. Elle m'entoura de son bras bienveillant et m'emmena à l'intérieur.
Tandis que Ren montait ma valise à l'étage, sa grand-mère m'attira discrètement dans le salon.
- Je suis vraiment heureuse que tu ais accepté de revenir, je pensais sincèrement que tu ne voudrais plus remettre les pieds ici.
- Votre petit-fils m'a dit que je pouvais rester quelques jours, du moins, le temps de trouver autre chose.
- Ah ce garnement ! Écoute, j'aimerais vraiment qu'à l'avenir tu ne te formalises pas de ses manières, il est un peu spécial avec les gens qu'il ne connaît pas.
- Peut-être, mais je n'aimerais pas créer la moindre tension entre vous, alors le mieux serait encore que je trouve une autre pension.
- Il n'y aura pas de tension. Ren est un garçon dévoué, qui ne fera jamais rien qui puisse me rendre malheureuse. Et puis, dès que sa méfiance envers toi se sera dissipée, il ne fera plus d'histoires.
Michiko avait raison. Puisque c'était moi qui m'imposait dans la vie de Ren, c'était à moi de faire des efforts pour qu'il m'accepte.
Je devais lui montrer le meilleur de moi-même. La Hana spontanée et drôle que tout le monde apprécie à Kira.
Et pour bien commencer cette mission d'envergure, je devais tout d'abord l'épater par ma cuisine.
Dit comme ça, ça paraissait plausible, même faisable. Il me suffisait de sélectionner quelques recettes simples sur internet et de les exécuter à la perfection...