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Chapitre 06

Chapitre VI

« — Je vous en prie, asseyez-vous. »

Je trouve cette rencontre un peu clichée. Se retrouver dans un lieu public assez discret. S’asseoir dans un coin de la pièce afin de discuter aisément et sans trop se faire remarquer par les autres clients, c’est un peu cliché. On aurait pu le faire dans le bureau si on souhaitait réellement faire preuve de plus de discrétion. Ce que je note dans mon calepin et qui attire l’œil interrogateur de la cliente.

« — Je vous présente mon assistante, Mickaela, anticipe Nana qui a suivi son œillade. Si nous travaillons ensemble, c’est vers elle que vous vous tournerez pour toute question d’ordre financier et procédurier. Elle sera en mesure de vous expliquer chaque étape de l’investigation et pourra également vous tenir au courant de toute modification ou intervention en dehors de celles programmées.

— Des interventions en dehors de celles programmées ? reprend-elle paniquée.

— Oui. C’est généralement le cas lorsque, les maris entreprennent de rencontrer une de nos filles.

— Oh.

— Mais nous espérons que votre mari ne fera pas parti de cette catégorie d’hommes. »

Elle lance un rire sec qui étire le coin de ses lèvres avant de se masser le front puis soupirer.

Je l’observe depuis son arrivée. Elle était installée au bar tandis que j’attendais Nana, et à aucun moment elle ne m’a donné l’image d’une femme déterminer à enquêter sur son mari. Elle me semblait plus anxieuse qu’autre chose, comme une personne incertaine, se demandant ce qu’elle est sur le point de fabriquer. Je n’ai qu’une envie, celle de lui conseiller de rentrer chez elle et retrouver son mari au lieu de vouloir tout foutre en l’air, mais la minute suivante, je risquerais de ne plus être sur cette terre.

« — Je l’espère tellement, marmonne-t-elle. Entre nous, j’étais, il y a moins de cinq minutes encore, sur le point de tout arrêter. D’annuler notre rendez-vous pour le bien de mon foyer.

— Et pourquoi ne l’avez-vous pas fait, demandé-je spontanément, au grand dam de Nana.

— Parce que je me suis demandée s’il avait également envisagé une seule fois cette décision ? Est-ce que par amour pour moi, il avait ne serait-ce qu’une fois pris la décision d’arrêter de me tromper.

— Vous n’êtes même pas certaine qu’il vous trompe, lancé-je sèchement.

— Micka ! gronde Nana.

— Justement, ce sera l’occasion de le savoir. Et pourquoi j’ai l’impression que vous me jugez ? Vous êtes une femme après tout ! Vous devriez comprendre que j’ai besoin de réponses ! Puis c’est votre business qui est en jeu ! Enfin, je ne comprends pas !

— Moi c’est votre attitude que je ne comprends pas ! Vous avez l’air heureuse ! Dans votre dossier de candidature vous avez fait par de votre situation et il semble qu’il n’ait rien à se reprocher si ce n’est ces pseudos rumeurs de tromperies ! Vous êtes prêtes à remettre en cause les actions et les propos d’un homme qui vous donne tout, qui est présent pour vous simplement à cause de rumeurs ? Et si cette investigation venait à les infirmer ou pire introduisait en lui l’idée éventuelle de vous tromper ? Quelle serait votre réaction ? Comment vous comporterez-vous face à lui !

— Micka !

— Donc je dois continuer selon vous à vivre avec ce doute ?

— Je dis simplement que vous semblez heureuse et que beaucoup de femmes souhaiteraient être heureuses.

— Micka ! »

Nous nous jaugeons du regard quelques secondes, la cliente et moi, avant qu’elle ne fronce des sourcils et finisse par s’adosser à son siège.

« — Je suis tellement fatiguée d’entendre ses rumeurs, souffle-t-elle le regard tourné vers la baie vitrée. Quoi que l’on dise, même si j’essaie autant que possible de ne pas en tenir compte, de les ignorer, elles arrivent toujours à se frayer un chemin vers moi et alimentent mes pensées des suppositions les plus horribles. Je ne lui fais même plus confiance.

— Et nous allons vous aidez à rétablir cette confiance, si elle a lieu d’être, rebondit Nana. C’est notre travail et je vous garantis que je mettrai tout en œuvre pour vous apporter les réponses dont vous avez besoin. »

Nana accompagne ses paroles d’une main qu’elle pose doucement sur celle de la cliente, comme une amie qui tente d’apporter son réconfort. En psycho, cela est perçu comme un signe d’écoute et de compréhension, mais venant de Nana, c’est plus une technique pour rassurer sa cliente et s’assurer qu’elle poursuivra jusqu’à la fin le process d’investigation. C’est horrible et c’est du Nana tout craché.

« — Micka, je vais te demander de nous laisser pour la suite de cet entretien. Je te ferai un compte rendu. »

Ce n’est pas une suggestion mais bien un ordre que je suis sans trop discuter.

Avec toutes les réflexions que j’ai posées, je suis presque certaine que ce soir, j’aurai droit à une visite de sa part et une remise au point en bonne et due forme. Je m’en moque. Le but de cet entretien était de comprendre le pourquoi de l’existence de son entreprise et jusqu’à présent je n’ai toujours pas compris. Des femmes soupçonnant leurs maris d’infidélité font appel à elle et elle se charge de les piéger en mettant les maris en relation avec des femmes qu’elle paie pour les séduire. Je ne vois pas en quoi ce qu’elle fait est honorable. Je n’arrive même pas à comprendre comment elle arrive à penser qu’elle vient en aide aux femmes de ces hommes. Quoique, c’est vrai qu’elle les aide, mais plus à flinguer leurs mariages qu’autre chose !

Je pense que j’ai vu tous ce que j’avais à voir et peux maintenant prendre une décision. Je m’étais engagée auprès de Nana pour jouer les assistantes durant une période de six mois, surtout pour me permettre de comprendre le fonctionnement de son entreprise et me donner des éléments de réponses pour répondre aux différentes questions que je me pose dans mon article sur l’amour, mais au vu de tout ce que j’ai pu voir, lire et entendre jusqu’à présent, je ne pense pas avoir besoin de plus de temps dans sa structure. C’est d’ailleurs ce que je lui dirai lorsqu’elle passera ce soir.

Certaine de ne rien avoir laissé de personnel ou trop important dans les locaux de « CheatNa ! », je rentre à la maison tenter d’écrire quelques mots sur mon article.

Devant une bonne tasse de thé bien chaud, un fond de musique RnB’ des années 2000, quand les paroles des chansons avaient encore du sens, je m’assieds en tailleur sur le sofa, mon ordinateur sur les cuisses. L’envie d’écrire est présente même si je ne sais pas trop par où commencer. J’ai fait tellement de recherches, j’ai lu tellement de choses sur l’amour qu’il serait impossible de donner ne serait qu’un aperçu de la densité de ce sujet dans un article de six milles mots. Il se décline sous tellement de forme, amoureux, fraternel, amical, spirituel, émotionnel, physique, chimique, que j’ai décidé de l’aborder de la façon la plus informelle qu’il soit. En regardant juste devant moi. J’ai également décidé de délimiter mon sujet, et de ne traiter que la partie concernant l’amour amoureux, puisque c’est cette notion que je veux comprendre, mais s’il me venait à faire face à d’autre forme d’amour et que j’arrive à le glisser dans mon dossier, je l’inclurai.

Des différentes lectures que j’ai pu avoir sur l’amour amoureux, je retiens que cette forme est avant tout un choix conscient ou inconscient ou l’on décide d’aimer une autre personne autant voire plus que soi-même. Cela demande des sacrifices, des compromis que l’on ne voit pas toujours et qui se lèvent, comme des rochers sur un chemin qu’il faut parcourir à deux tout en essayant, autant que faire se peut, d’être un. Je retiens aussi qu’il est unique, malgré toutes les similitudes que l’on peut voir entre les différentes relations. Maintenant, il ne me reste plus qu’à savoir si ces brides que je pense avoir déniché dans la théorie, se retrouve également dans la pratique.

« Toc, toc, toc »

On dirait que je ne vais pas avoir l’occasion d’aller plus loin dans ma rédaction pour le moment, me dis-je en me levant du canapé. Je prends tout mon temps pour retirer les pseudos plis de ma chemise, arranger mes cheveux et les quelques mèches qui se dégagent de mon chignon avant d’aller ouvrir la porte d’entrée. Nullement besoin d’être prophète pour devenir qu’il s’agir de Nana et que les prochaines minutes vont être tout sauf doucereuse.

«— C’était quoi cette merde que tu m’as faite ! elle hurle en pénétrant dans l’appartement.

— Tu veux un verre d’eau ?

— Non ! Je veux des explications ! C’était quoi cette intervention tout à l’heure ?! J’ai failli perdre une cliente !

— Mais elle n’avait peut-être pas besoin de tes services, je réponds calmement. Ces rumeurs ont très bien pu être inventé pour lui faire du mal et…

— Mais qu’est-ce que tu peux être naïve à certain moment ! Y’a pas de fumé sans feu ! Son mari la trompe et tu le verras dans quelques semaines.

— Je ne verrai rien du tout parce que j’ai décidé de ne plus bosser pour toi. Ton espèce d’entreprise est totalement arbitraire ! C’est un piège qui n’a pour seul but que de faire tomber un maximum d’hommes ! Tu sélectionnes des femmes correspondant au type qui intéresse ces hommes, tu les fais se rencontrer dans un endroit où l’alcool qui est, je te le rappelle, un désinhibiteur, les mets en condition et tu t’étonnes de les voir tomber ?! Et pour aller encore plus loin, seules les femmes peuvent faire appel à tes services ! Pourquoi pas les hommes ?!

— Parce que je ne veux pas faire couler mon business, elle me répond en se diriger vers le comptoir de la cuisine. »

Nana et moi nous connaissons depuis mes treize ans, âge aulequel j’ai quitté Brazzaville pour Paris. Elle a été ma première amie, la première à vouloir découvrir la jeune fille pleine de vie qui se cachait derrière la forteresse de timidité qui m'entourait. Ça a pris un peu de temps mais la forteresse a fini par s’ébranler devant ces histoires abracadabrantes, son rire communicatif et cette manière bien à elle de remettre à leur place toute personne qui s’aventurait à me taquiner. C’était l’époque où l’amitié primait sur tout. Puis nous avons grandi et les hommes sont venus s’ajouter à notre équation, des hommes qui n’étaient pas forcément le meilleur choix. Nous sommes passées d’une équation simple à une équation à plusieurs inconnus et au résultat plus que douteux et c’est ce qui a amené Natacha à devenir Nana.

Avec le temps et les relations, son jugement sur les hommes s’est détérioré au point d’en être tronqué. Aujourd’hui, il est tellement encré en elle que je doute qu’elle réussisse à prendre le recul nécessaire pour se rendre compte de ses erreurs.

Tellement de couple ont eu à divorcer à cause de son entreprise alors que, j’en suis certaine, un dialogue aurait pu tout changer.

« Pour ce qui est de ta première question, pas spécialement formulée comme une question, je voudrais que tu m’aides à t’apporter un élément de réponse en répondant à une interrogation que je me pose simplement : Si je prenais le style de femme qu’affection Moses et que je lui organisais une rencontre avec cette femme dans un bar, selon-toi, est-ce qu’il finirait par coucher avec elle ?

— Non ! Il ne ferait jamais ça à Soraya !

— Ah bon et pourquoi ? Jusqu’à présent il n’y a en a aucun qui n’a pas succombé !

— Ce n’est pas la même chose ! lancé-je en levant les yeux au ciel.

— Et pourquoi ça ? Mo n’est t-il pas un homme ? N’a-t-il pas des envies à assouvir ?

— Mo est…

— Mo est quoi ? Différent des autres ? Une exception ? Donc tu reconnais indirectement qu’il fait parti d’une catégorie minoritaire d’hommes fidèles et que des facto, il existe une catégorie d’hommes majoritaire infidèles ?

— Tous les hommes ne sont pas comme Carter, balancé-je irritée. »

Elle se crispe et plante son regard dans le mien, je détourne ma tête, consciente d’être allée trop loin à la mention de ce nom.

« — Excuse-moi, ce n’est pas ce que je voulais dire …

— Justement, si, me coupe-t-elle sèchement. La majorité des hommes ressemble à Carter ou même à Liam, mais la plupart des femmes sont stupides comme moi à l’époque et comme toi maintenant pour ne pas faire attention aux signes. Il leur faut une femme qui soit là pour leur ouvrir les yeux. Mais je crois que bientôt, tu comprendras ce que je veux dire avec les prochaines missions qui arriveront, parce que tu vas continuer à travailler pour moi comme l’indique notre contrat et si tu tentes de t’en soustraire, Dieu m’est témoin que j’irai personnellement voir mon oncle pour qu’il vienne te chercher et te mettre au trou.

— Tu plaisantes ?

— Tente-moi et tu sauras, lance-t-elle en récupérant son sac. »

Ça c’est l’une des autres faces de Nana, après la moqueuse, la joviale, il y a la revancharde, celle qui prend les choses trop à cœur et se donne pour mission de rendre le mal qu’elle a reçu par un mal encore plus violent. Avec moi, dans ce genre de situation, en temps normal, elle se contente de m’ignorer pendant un petit moment et moi je fais en sorte de me faire pardonner, mais là, je pense que ce ne sera pas aussi « simple » qu’habituellement.

« — Nana, je viens de te présenter mes excuses ! »

Elle est déjà à moins d’un mètre de la porte d’entrée et tend la main vers la poignée de la porte. Je n’ai même pas le temps d’entreprendre de la retenir qu’elle n’est plus dans mon champ de vision. La porte grandement ouverte me permet de voir Liam devant le palier de sa porte, le regard allant des escaliers à ma porte, à moi.

« — Bonsoir, m’empressé-je de le saluer.

— Bonsoir. Tout va bien ?

— Oui… Si on veut. C’est … un truc entre nous. Rien de bien grave.

— Okay. répond-il après quelques secondes de silence. »

Je referme la porte alors qu’il me tourne le dos puis prends appui sur elle pour souffler longuement. Ça faisait un moment que je ne l’avais pas vu, depuis notre première rencontre sur le pallier pour être plus exacte et j’arrive toujours à paraître aussi niaise.

« — Faut vraiment te ressaisir ! m’intimé-je à haute voix. »

*

* *

« N’oublie pas le diner de travail ce soir.

— T’en fais pas, je n’ai pas oublié. On y va ensemble ? Je finis de rédiger une fiche.

— Je ne suis plus là.

— Nana… »

J’arrête de faire courir mes doigts sur le clavier de l’ordinateur pour la regarder, la tête haute, le buste bombé, passer la porte du bureau, le visage inexpressif. « Rancunière » aurait pu être le prénom usuel de Nana et personne n’aurait trouvé à redire tant elle a la rancune tenace. Ça va bientôt faire deux semaines qu’elle m’adresse à peine la parole. Et les seules fois où elle me gratifie du son de sa voix sont liés au travail, pour me demander une fiche, un suivi et toute requête en rapport avec mes tâches. Je ne sais même plus quoi faire. Après tout, j’ai simplement défendu mon point de vue. Je trouve ça ridicule et malsain de poursuivre dans une entreprise pareille. Au-delà des conséquences qu’il pourrait y avoir pour elle, je m’inquiète des conséquences qu’il pourrait y avoir pour les couples qui passent par ici. De ce que j’ai pu observer, je trouve qu’il n’y a rien d’objectif qui est fait ici, tout par d’un postulat biaisé ; les hommes trompent, et tout ce qui découlent de ce postulat parle et parlera toujours en la défaveur des hommes.

J’entends trop souvent les femmes se plaindre à propos des hommes et de leurs caractères, leur façon d’agir, et à côté de cela, je suis toujours frappée par deux constats : le premier c’est qu’elles partent avec des aprioris sans jamais leur laisser la chance de se démarquer. Un bel homme qui a une facilité à discuter avec les femmes ne peut pas simplement être un bon communicant comprenant les attentes d’une femme, il est forcément tombeur qui sait manier les mots pour plus facilement faire tomber les femmes. De cet apriori, elles entrent méfiantes dans leur relation guettant le moment où elles finiront par dire « j’avais vu juste », « je savais qu’il était comme ça » puis se placeront en victime alors qu’il aurait été tellement plus facile de se dire « je lui donne sa chance mais parce que je me préserve avant tous, je vais l’observer ». J’ai lu quelque part que 95% de notre communication était non verbale. On parle bien plus avec nos silences, nos mimiques, nos gestuelles. Elles sauraient d’ores et déjà si elles ont affaire à un imposteur. Le second constat est le suivant ; les femmes justifient constamment les erreurs des hommes de sortes qu’avec le temps, elles trouvent des justificatifs physiologiques et même sociétales. Et ce sont ces mêmes arguments, que les femmes leurs ont trouvé, que les hommes utilisent pour se dédouaner lorsqu’ils sont pris la main dans le sac. L’exemple le plus courant lié à ce constat est l’infidélité. Et les fameuses phrases telles que « ce sont des hommes, c’est dans leurs gènes » ou les métaphores tel que « il pleut dans chaque pays, il faut apprendre à danser sous la pluie » sont les parfaits justificatifs que les hommes ont fini par adopter et rebalancer. S’il n’y a jamais de représailles, pourquoi le chien ne continuerait-il pas de mâcher les babouches ?

Enfin bon, pour ce que j’en pense… Soupir.

Je réunis mes affaires, attrape mon sac à mains et rejoins la route en soupirant. Je suis fatiguée et les jours sont tellement mornes et répétitives que cela ajoute une autre couche de fatigue. Il est vingt heure dix à ma montre quand je réussis à arrêter un taxi et me fixe une durée de trente minutes pour boucler la réunion.

« Au Pefaco.

— 2500fr. »

Je m’affale plus que je ne m’étale sur la banquette arrière et tente de maximiser le temps de trajet pour rattraper un peu mon retard sur mes activités et projets. J’ai totalement délaissé mon blog et tous les articles que je préparais en collaboration et je n’ai publié aucune nouvelle photo, ni-même story sur mon Instagram, ce qui inquiète mes abonnés qui pour certains sont devenus des amis. J’ai un peu plus de deux cent cinquante mails non traités et je peux affirmer les yeux fermés qu’une bonne moitié de ces messages sont ceux de mes abonnés inquiets, l’autre partie étant des demandes de collaborations ou de prestations. Avec toutes ces nouveautés dans ma vie, j’ai fait face à un chamboulement qui a demandé une certaine période d’adaptation et après bientôt quatre mois, je n’ai toujours pas trouvé cet équilibre, cette routine tant recherchée mais je crois qu’avec le projet que j’ai décidé de mettre en place, je devrais y parvenir. Ce serait l’occasion de faire un pierre deux coups ; j’ai décidé de faire découvrir Brazzaville à mes lecteurs à travers mon objectif et les mots qu’elle m’inspire et je crois qu’en faisant ça, je parviendrai également à trouver mon équilibre. J’ai griffonné quelques idées et j’attends d’avoir un peu de temps pour les structurer avant de commencer à shooter. Lorsque tout sera claire dans ma tête, que j’aurai la direction à prendre et un stock assez conséquent de contenu que j’estimerai exploitable et qualitatif, je balancerai tout sur mes réseaux et signerai un retour en fanfare. Ouais, je ferais ça… Si je réussis à me dégager un peu de temps.

Un message à Nana me permet d’avoir leur position avec précision et je les retrouve, Nana et Coralie, attablé autour de mets italiens.

« Bonsoir à toutes, désolée pour le retard. Je n’ai pas besoin de vous faire un topo sur le trafic de Brazza.

— T’en fais pas, on a commandé plusieurs plats à déguster et ils viennent à peine de nous être servis. »

Je souris à Coralie avant de déposer mon sac sur la chaise à mes côtés puis prendre place. Elle est arrivée il y a un peu plus d’une semaine dans la boîte mais, elle s’est tellement vite acclimatée qu’elle donne l’impression de faire partie de l’équipe depuis toujours. C’est la nouvelle recrue, celle qui remplace Kitty. C’est d’ailleurs une de ses amies, partageant la même vision qu’elle. Entre nous, nous n’avons pas encore eu l’occasion de réellement bien discuter, mais des quelques échanges que nous avons pu avoir, je la trouve assez sympa.

« Bien, maintenant que tout le monde est là, on va pouvoir avancer, commence Nana. Comme je l’expliquais plus tôt à Coralie, nous allons tourner en effectif réduit pour les trois prochaines semaines. Coralie, tu es actuellement la seule fille disponible et ça tombe bien puisque tu corresponds également au genre de nos prochaines cibles. Puis ce sera également l’occasion pour toi de voir à quoi ressemble le terrain et te faire la main. Je sais que Kitty t’a pas mal brieffé mais le terrain est toujours différent du théorique. Crois-moi.

— Okay. »

Les yeux ronds, je regarde avec quelle facilité déconcertante Coralie enregistre les informations qui lui sont données sans s’interroger un seul moment sur le bienfondé de « sa mission ».

« Il y a trois types, un pour chaque semaine et entre nous, ça devrait être assez facile à boucler. J’ai eu le temps d’observer les spécimens et franchement, ça devrait être très vite réglé pour toi.

— Très vite réglé pour elle ? m’exclamé-je assez choquée. Mais tu t’entends parler ? Et toi Coralie, tu es consciente de ce qu’elle est en train de te demander ? Tu te poses pas des questions sur ce que tu t’apprêtes à faire ? Sur ce qu’elle te demande de faire ?

— Micka, tu vas pas recommencer tes conneries d’accord ? On est à une réunion de travail là !

— Pour ton information, reprend Coralie, je suis parfaitement consciente de ce qu’elle me demande et ne pose aucune question parce que je l’ai fait avant et ai eu toutes les réponses que j’espérais.

— Donc tu es en accord avec le principe de tromper des hommes ?

— Non, je suis d’accord avec le principe d’aider des femmes à se rendre compte du trop plein de dévotion qu’elle octroie à des hommes qui n’en valent pas la peine, des hommes incapables de respecter les engagements qu’ils ont pris de manière solennelle, devant les hommes et devant les institutions étatiques et divines. »

Je reste coite devant sa réponse, devant l’intonation dans sa voix prise pour me répondre et cette lumière vive au fond de ses yeux qui ajoute une apathie presque non dissimulée à ses propos. C’est au point que je ne serais pas surprise d’apprendre qu’elle a des rapports conflictuels avec les hommes et cela depuis son enfance.

Encouragée par le regard courroucé de Nana mais surtout par le raisonnement de Coralie, je décide de me taire jusqu’à ce que Nana me brieffe quant à mes futures taches. Ce qui ne tarde pas à arriver, pour mon plus grand plaisir.

« A partir de la semaine prochaine, tu vas accompagner Coralie sur les trois missions qu’elle a et tu vas prendre des photos. Tu vas poursuivre les taches administratives que tu fais déjà et tu resteras la vitrine, celle qui fera le lien entre les clientes et moi mais tes fonctions vont augmenter ; tu devras maintenant annoncer les résultats des enquêtes menées. Et voilà pour toi ! »

De son sac, Nana sort une enveloppe kraft assez épaisse et large, qu’elle dépose sur la table, un sourire carnassier aux lèvres comme s’il elle représenter la solution au problème que je semble être pour elle.

« Ce sont les cinq résultats des dernières enquêtes menées. Je te laisse prendre connaissance des dossiers, puisque c’est moi qui les avais commencés, t’en imprégner et trouver les mots pour parler aux femmes de ces « hommes » que tu chéris tant !

— C’est vraiment utile ? soupiré-je. Je suis déjà assez chargée comme ça.

— Moi aussi, puis ce n’est que la continuité de ton travail. »

Je ne tente aucune forme de négociation avec elle, ce serait une perte de temps monumental. Je me contente de récupérer l’enveloppe, de l’ouvrir est jeter un bref coup d’œil à son contenu, tout en gardant une oreille tendue vers la nouvelle discussion qui anime notre table.

« Personnellement, je ne sais pas si à son âge, j’aurais osé, murmure Coralie.

— Moi, si j’avais compris la vie aussi vite qu’elle a l’air de l’avoir compris, je l’aurais fait.

— Tu n’as probablement pas tort, mais le regard des gens sur ce coup là m’aurait bloqué.

— Je pense que l’argent qu’elle doit percevoir doit l’aider à surmonter le regard des gens, ricane Nana.

— De quoi parler vous ? demandé-je en les questionnant du regard tour à tour.

— Du couple formé par la jeune fille et le papy a deux tables de nous, répond Nana en sirotant son verre. »

Elle exerce un mouvement de la tête, m’indiquant le côté vers lequel je dois regarder, et discrètement, je me retourne pour observer le fameux couple.

Seigneur !

Je crois que le mot couple est ici très mal utilisé pour parler de cette jeune fille et de cet homme plus que mature.

« Mais non, ce n’est pas un couple, il doit s’agir d’un grand-père et de sa petite,fille ! Vous avez vu comment elle est jeune ! m’exclamé-je.

— J’ose croise qu’ils sont conscients que l’inceste n’est pas une pratique que l’on peut étaler aux yeux de tous, sourit Nana.

— Comment ça ?

— Tu as raté le baiser le plus savoureux et écœurant qu’il soit et qu’ils ont gentiment partagé avec nous.

— Tu plaisantes ! C’est fou !

— Mais non ! Elle a tout compris cette petite ! Les hommes sont des enfoirés et si elle veut vivre longtemps, il faut qu’elle se détache des sentiments qu’ils peuvent faire naître en elle pour s’attacher à ce qu’ils peuvent lui rapporter. Elle a peut-être du sperme préhistorique dans le vagin, mais elle a également une rentrée d’argent qui lui permettra de mieux dessiner l’avenir. Enfin, j’espère pour elle.

— C’est horrible ce que tu viens de dire, arrivé-je à articuler.

— C’est horrible si elle n’a pas pensé à lui soutirer de l’argent, je te le concède. »

C’en est trop pour moi, puis le temps que je m’étais impartie pour assister à cette réunion vient de s’écouler.

Je les informe de mon départ, qui est accueilli comme un soulagement pour Nana, puis me dirige vers la sortie sans demander mon reste. J’ai assez supporté leur pessimisme et leur aigritude pour la soirée et même la semaine à venir. J’ai besoin d’autre chose. Pourquoi pas commencer mon projet ?

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