Le pacte des jumelles
Brooklyn, New York, USA
Myréna Fenty
Le choc des révélations de Myléna lors de notre dernière conversation chez moi continue de résonner en moi. Chaque mot frappant comme un coup de massue. Mon esprit peine à digérer l'idée qu'elle pourrait me demander quelque chose d'aussi invraisemblable, d'aussi insensé.
Pourquoi j'ai effectué le voyage ? Moi même, je ne sais pas.
Je la fixe, cherchant désespérément à déceler une trace d'hésitation, quelque chose qui me prouverait qu'elle plaisante, qu'elle ne peut pas être sérieuse. Mais il n'y a rien. Rien d'autre que cette lueur résolue dans ses yeux, celle qui m'indique qu'elle a longuement réfléchi avant de venir à moi, à Brooklyn, avec cette demande absurde.
- Myléna… tu veux dire que…
Je me souviens de ce jour là. Je peinais à trouver les mots, comme si en les prononçant, je risquais de donner vie à cette folie.
- Tu veux que je prenne ta place chez toi ? Que je vive ta vie à Toronto, avec ton mari, ta belle-famille, tout ce qui te concerne ?
Elle avait hoché la tête, et mon cœur manqua un battement. Il y eut quelque chose de troublant dans son expression, comme si elle était à la fois soulagée et effrayée que je puisse accepter. Je compris alors que ce n'était pas seulement une demande, ce fut une supplication.
- Je ne peux pas, commencé-je...
Elle me coupa, sa voix plus ferme, presque désespérée.
- Tu es la seule personne en qui j'ai confiance, Myréna. Je ne peux plus continuer comme ça. Reynaldo... et tout le reste... J'ai besoin de m'éloigner, de réfléchir, mais je ne peux pas simplement tout abandonner. Si tu es là, ils ne se douteront de rien. Toi seule peux m'aider.
Je me levai brusquement, sentant le besoin de mettre de la distance entre nous, d'essayer de trouver un semblant de logique dans tout ça. Myléna me connaît bien, elle sait que je ne pourrais jamais refuser une demande aussi désespérée, surtout venant d'elle, ma sœur jumelle. Pourtant, la réalité de ce qu'elle me demandais me semblait insurmontable.
- Myléna… c'est… c'est de la folie !
Ma voix était tremblante, mais elle refusa de me lâcher du regard.
- C’est peut-être notre seule chance de démêler cette histoire, de découvrir ce qui est arrivé à nos parents, insiste-t-elle. Je sais que je te demande l'impossible, mais je n'ai personne d'autre vers qui me tourner.
Je passai une main dans mes cheveux, essayant de calmer le tourbillon de pensées qui m’assaillit. Tout en moi voulait rejeter cette idée insensée, mais une autre part, plus profonde, murmurait qu'elle pourrait avoir raison. Que cette folie pourrait être exactement ce qu'il nous fallait pour enfin comprendre la vérité.
- Ce n'est juste que l'histoire d'une semaine Myréna. Tu ne verras même pas le temps passé que je serai déjà de retour, je tente de la convaincre.
- Une semaine où je serai chez toi... avec ton mari... où il croirait que je suis sa femme, je la corrige. Et si...
- Mais c'est pour une bonne cause ma sœur. Reynaldo ne va rien remarquer de ce subterfuge. Il est absent la majeure partie du temps de la maison. Entre ses entreprises de création de bijoux de marques et de parfumerie, sa toute dernière gamine de 17 ans qui dit en passant est une vraie calamité, sa famille intrusive et tout le reste... il n'aura même pas le temps de te remarquer. De plus, c'est un homme de 52 ans Myré. Comment veux tu que... Il... En une semaine, il n'y a aucune chance que cela se produise. Ne t'inquiètes surtout pas pour... ça, elle mime la chose d'un geste de la main. De plus, tu pourrais prétendre n'importe quoi pour ne pas avoir besoin d'être intime avec lui. Reynaldo ne va pas insister si tu lui fais sentir que tu ne veux pas. Utilise ton côté créatif pour le repousser. Tu as cartes blanches. C'est mon mariage que je dépose entre tes mains ma sœur. Disons... sa survie. Si je veux la garder, il ne faut pas que Reynaldo perce à jour la supercherie.
La facilité avec laquelle ma sœur l'expliquait ne me convainquit pas.
- Et s'il...
- Te découvre tout de même ? Elle complète ma phrase. Aucune chance. Il sait que j'ai une sœur. Mais il ignore que nous sommes jumelles. Il mettrait ça sur le dos des changements d'humeur si tu devrais agir différemment de moi de prime abord. Mais fais gaffe tout de même. Ils ne sont pas stupides dans cette famille. Déjà que ses parents ne m'ont jamais vraiment accueillie au cœur de leur famille jugée trop prestigieuse pour m'y intégrer. Ne leur fournit pas plus de raison de jaser.
- Etant donné que personne de chez eux n'a rencontré un membre de ta famille après 3 années de mariage, ils se méfient. Ce qui est tout à fait normal. Tu m'as toujours tenue éloignée d'eux pour une raison que j'ignore. Ce n'est pas le ciel qui t'a pondu Myléna. Je suis ta famille.
- Ah ! Fit-elle tout juste.
- A moins que tu n'aies honte de moi.
- Myré, tu es une femme formidable. Regarde toi. A 30 ans, tu es substitut du procureur. C'est toi qui aurais matière à avoir honte de moi qui ne suis même pas...
- Hey non. Ne termine même pas ta phrase. Tout ce que je suis, c'est grace à toi. Sauf que... Tu étais cette fille si douce quand nos parents vivaient encore. Je... Je ne comprends pas pourquoi tu as autant changé.
- Et pour le reste, c'est la rue qui m'a formée ma sœur. Et tu ne devrais pas me juger. Bien au contraire. Tu crois que tu aurais pu aligner toutes ses universités de gosses de riche si je n'étais pas celle que je suis aujourd'hui.
- Et je t'en suis reconnaissante. Mais cela valait-il la peine ?
- Aucun sacrifice n'est enorme quand il s'agit de toi ma sœur. Si c'était à refaire, je n'aurai certainement pas hésité. Aujourd'hui, c'est ton tour. Alors aide moi. Vois ça comme ta manière de...
- Te rembourser pour tout ce que tu as fait pour moi ?
- Ne sois pas ridicule. Je ne dirais jamais les choses ainsi. Tu es ma sœur et je t'aime. C'était mon devoir de prendre soins de toi.
- Hmmmm ! Mais tu veux tout de même être remboursée.
J'avais fini par m’asseoir, sentant le poids de la décision à prendre. Mon regard croisa celui de ma sœur, et j'ai vu tout ce qu’elle essaie de cacher. Sa peur, son désespoir.
- Et si je fais ça, si j’accepte… qu’est-ce que tu comptes faire, Myléna ? Où iras-tu ?
Elle esquissa un sourire fragile.
- Je trouverai un moyen. Mais d'abord, il faut que je parte, que je me débarrasse de cette vie qui m’étouffe. J'ai entendu dire que ces personnes étaient au Canada. Toi, tu pourras entrer dans ce monde en toute discrétion, chercher les réponses pendant que je... je trouverai ma propre voie.
Un silence lourd s’installa entre nous. Je réalisai alors que la décision était déjà prise, bien avant qu'elle ne franchisse la porte de mon appartement ce matin.
Toronto, Ontario, Canada
Et maintenant, installée dans cette super chambre d'hôtel 5 etoiles qui a du coûtée les yeux de la tête à ma sœur, je l'écoute attentivement m'expliquer à quel point ce sera simple de duper son mari. Tout ce qui me vient en tête c'est que cela va foirer à un moment où à un autre. Depuis quand usurper une identité était chose si facile ?
Ma sœur a toujours été fourbe. Mais cette fois, c'est pour la bonne cause, je me dis. J'ai envie de l'aider. Mais j'ai un doute sur ce plan. On ne remplace pas quelqu'un sans que son entourage ne s'en rende compte. Surtout que, mise à part les attraits physiques, Myléna et moi, on a peu de chose en commun. De plus, même si c'est ma jumelle, c'est une autre identité que je vais prendre. Et ça, je le sais, c'est punissable par la loi.
- Je ne le sens vraiment pas Mylé. En tant qu'avocate, je...
- Ne t'en fais surtout pas.
Elle vient m'enlacer.
- Tout va bien se passer ma sœur. Je te le promets. C'est juste une semaine, elle tente de m'amadouer d'une voix fluette. Personne ne s'en rendra compte.
- Hmmmm !
Elle alla se servir un verre et m'en rapporte un à moi aussi.
- Je...
- Tu ne consommes pas d'alcool ? Je sais. Le tien, c'est du jus de pomme. Comme tu l'aimes ma sœur.
Je récupère le verre de ses mains.
- Supposons que j'accepte de te remplacer pour la semaine. Comment est ce qu'on procéderait pour ne pas se faire prendre ? Parce que moi, je ne souhaite pas faire un détour en prison pour une chose dont on aurait pu procéder autrement.
- Met l'avocate en toi en veilleuse et aide ta sœur. Je t'en prie. Je n'ai que toi Myré.
- Rappelle moi pourquoi tu voudrais que je te remplace déjà.
Comprenant que je venais implicitement de lui dire oui, elle me sourit, puis me fait la bise par la suite.
- Je n'ai rien entendu Mylé. C'est quoi l'urgence ?
- Tu sais, depuis notre mariage, Reynaldo n'a jamais voulu que je bosse. Au départ je trouvais ça chou car c'était sa façon à lui de me montrer qu'elle tenait à moi. Mais j'ai vite déchantée quand sa famille a commencé à me prendre de haut. Alors, comme il ne voulait toujours pas que je bosse, à son insu, j'ai commencé une petite entreprise de produit de beauté. Juste qu'avec le temps, cela m'exige de voyager assez souvent. Chose qu'il a remarqué. On a même eu une grosse discute à ce sujet qui a failli me coûter mon mariage. Alors, j'ai trouvé quelqu'un pour tout diriger à ma place. Mais en ce moment, l'entreprise rencontre des difficultés ma sœur. Je n'ai plus confiance en cet homme. Et maintenant, juste au moment où il ne le fallait pas, il me faut aller à sa rencontre à Paris voilà pourquoi je t'ai fait venir ma sœur. Il me faut redresser mon business si je compte un jour être assez indépendante financièrement pour divorcer.
- Ce ne serait pas mieux de le mettre au courant et t'affirmer ?
Je quitte le lit de la chambre d’hôtel et me mis à faire les cents pas, étant nerveuse.
- Tu as toujours été forte pour ce genre de chose. Tu n'as pas à supporter un homme qui t'emprisonne Mylé. Tu peux demander le divorce dès maintenant. Je pourrais t'aider. Je suis avocate. Ce n’est pas mon axe. Mais je connais du monde.
- Non. Je ne veux pas perdre mon mariage de cette manière ma sœur. Si la demande du divorce vient de moi, je n'ai droit à rien. Et ça, ce n'est pas juste. Ma façon de faire est la meilleure. Je vais pouvoir sortir du pays sans que cela ne soit enregistré quelques part. La dernière fois chez toi, j'ai dû t'inventer une maladie pour pouvoir voyager sans l'alerter. Reynaldo a des contacts partout. Si tu tiens à ce que tu aies une raison pour accepter, dit toi que tu m'aides à sauver mon mariage en attendant que d'autres solutions s'offrent à moi. Tu sais, je ne suis pas tout à fait sûre de vouloir divorcer.
Elle me rejoint.
- Hmmmm !
Elle se débat avec ses larmes. Elle doit vraiment souffrir dans ce mariage. Elle m’avait toujours décrit son mari comme un homme merveilleux. Comment cela a t-il pu autant changer ? Avait elle l’habitude de me mentir pour ne pas m’inquiéter ?
- Tu ne connais pas cette famille Myré. Ils feront de ma vie un enfer s'ils me decouvrent.
- Ah, ça ! C'est... Tu ne penses pas que ce serait mieux si je te remplace pour ce rendez vous de préférence ? Ce serait beaucoup plus facile, non ?
- Non ! Mais arrête tes conseils de merde, putain ! Elle crie. Je te veux chez moi ou laisse tomber.
Je sursaute face au bruit et la fixe ne comprenant pas son besoin de réagir de la sorte. Elle se reprend.
- Tu connais mieux ma famille que mon business Myré, elle s’adoucit. Ce serait beaucoup plus facile que tu... Regarde, tu n'as pas encore rencontré Reynaldo, certes. Mais tu l'as vu plus d'une fois en photo. Tu connais aussi Alice, Noah et Logan qui sont ses enfants. Tu connais même mes beaux parents Amelia et Felix.
- Bien vu. Mais, je ne connais pas la configuration de ta maison. Et ça, c'est le plus important. C'est dangereux ma sœur.
- Mais ça, on peut y remédier rapidement.
Elle entame une description détaillée de sa maison.
- Myléeee ! Je geins.
- Aide moi s'il te plaît Myré, elle m'implore.
Elle me prend les mains dans les siennes.
- Comme quand on était gamine et qu'on faisait tout et n'importe quoi pour le bonheur de l'autre, elle me fixe de ses yeux bruns de merlans frits.
- D'accord. D'accord. Tu m'as convaincue. Mais juste une semaine. Et pas plus. Tu peux comprendre que je ne pourrais abandonner mon boulot pendant longtemps. Tu m'as fait venir sans vraiment m'explique la durée de mon indisponibilité. Personne n'est au courant au bureau. Rien n'est en ordre au cabinet.
- Une semaine et je serai de retour ma best. La terre ne va pas s'arrêter de tourner si t'arrêtes de bosser un peu.
- Toi et moi, on n'a pas la même vision des choses.
- Ouais ! Tu me sauves la mise, elle me fait la bise toute euphorique. Je peux partir sans avoir à regarder par dessus mes épaules maintenant.
- On est d'accord alors, je murmure enfin, ma voix plus forte que je ne le pensais. Je le ferai. Mais Myléna, promets-moi une chose. Promets-moi que tu ne feras rien d’irréfléchi pendant ce temps.
Elle hoche la tête, ses yeux brillants d’une émotion que je n’ai jamais vue chez elle.
- Je te le promets, Myré. Ensemble, nous y arriverons.
Par ces mots, j'ignorais que ma vie était sur le point de changer à jamais.