CHAPITRE 02
Je suis violoniste, première de ma classe... Et tout ce qui va avec le mot intello. À vrai dire je déteste ma vie, le violon et surtout je me déteste. Mon caractère et mon corps, je déteste tout chez moi. C'est horrible d'être moi. C'est horrible de ne pas pouvoir se regarder dans la glace plus de trente secondes sans rougir de honte, sans baisser les yeux sur ses pieds. C'est horrible de n'avoir aucun membre de sa famille fière, qui te fasses te sentir jolie, importante, intelligente. Je me suis enfermées dans une bulle de solitude pour me protéger des autres et de leurs moqueries et pour ne pas me faire rejeter.
Je suis tellement perdu dans mes pensées que je ne remarques pas tout de suite que l'on est arrivé. Je me dirige vers notre villa en traînant des pieds. J'aimerais tellement avoir une maison plus petite, mais toute cosy. Mais à la place de la maison de me rêves, j'ai ce palace immense, froid et triste. Je vais directement dans la salle de musique, quand j'ouvre l'étui de mon violon, un frisson me parcourt le corps. Je le sors de son écrin en velours et le pose sur mon épaule. Je tiens l'archet d'une main tremblante, je sais que le temps va passer lentement, et que j'aurais les marques des cordes dans les doigts. J'installe mes partitions, et prends une grande inspiration. A chaque fausse note je m'oblige à recommencer, à chaque fois que je finis un morceaux je me dis que ce n'est pas assez bien, que ça ne sera jamais assez bien. Je me mets alors à pleurer silencieusement en jouant.
Après deux grosses heures de violon, je monte me doucher. Je cherche dans mon dressing un pyjama propre, j'en prends un rose avec de la dentelle. D'ailleurs toute ma chambre est rose, avec des coussins à froufrous et des perles bleues. C'est la chambre d'une petite fille qui n'a pas pu grandir normalement. Mais c'est aussi le souvenir que ma mère m'a laissé. Des moments de bonheur avec ma famille ou l'on peigné les murs, où ma mère me badigeonnait le nez de peinture rose et où mon père me prenait dans ses bras en me faisant tourner dans les airs.
En me regardant dans le miroir de ma salle de bain, je vois une jeune fille avec un regard triste et les épaules affalées, elle est résignée. Mes cheveux blonds bouclés me caressent et tombent sur mes épaules, mon visage est un peu ronds et ma bouche trop pâle. Je retire mes ray-ban et les pose à côté de l'évier. Je lance un dernier regard au reflet, je m'habille seulement avec des chemises, des jupes plissées et des ballerines. J'ai le style d'une personne âgé. Je ne fais rien pour gommer l'image que les autres ont de moi.
-Tu m'étonnes que les gens te voient comme une petite coincée bourgeoise. Non, mais sérieusement rien qu'à te regarder, ça fait pitié.
Et voilà que je me mets à parler toute seule. Je me déshabille et entre sous la douche. Je penche la tête en arrière. L'image de Ileana me tendant la feuille d'audition s'imprime sous mes paupières. Je ne peux pas aller à cette audition. Je n'ai pas l'étoffe d'une chanteuse et je ne sais pas jouer de la guitare électrique. Je sais jouer de la guitare acoustic, mais bon, pas énormément, j'en joue en secret. Elle est cachée sous mon lit. Et puis rien que moi Louane, ce que je suis, ça me donne une bonne raison de ne pas y aller.
En sortant de la douche, je croise mon regard. Un regard plein de défi. "Qui ne tente rien n'a rien". Une voix me souffle à l'oreille : Pourquoi pas ? Je secoue la tête, je deviens folle...
Le lendemain matin je me lève résolue. J'ai ma réponse, je me prépare et mon père me dépose au collège. C'est rare qu'il le fasse, le plus souvent c'est à peine s'il me regarde le matin, et c'est de pire en pire, il ne sortira jamais de cette période qu'on appelle déni. Le déni d'avoir perdu maman... A cause de moi. Je saute de la voiture sans lui adresser la parole et cours jusqu'à la classe d'anglais où j'attends ma meilleure amie.
Je m'assois et sors mes affaires. Ileana ne tarde pas à arriver en cours et s'installe à côté de moi. Je pose doucement le prospectus devant elle et chuchote:
-C'est d'accord...
Elle me regarde les yeux exorbités ne s'attendant probablement pas à se que je capitule aussi facilement.
-QUOI?!
Je répète un peu plus fort. Je veux le dire avant de changer d'avis, avant de me recroqueviller sur moi même encore une fois.
-C'est d'accord.
Elle se met debout et fait une petite danse de la joie. C'est notre truc, mais je ne peux pas le faire ici devant tout le monde. Des moqueries fusent de partout, mais elle se rassoit comme si de rien n'était. C'est ce que j'aime le plus chez elle, elle se fout de ce que pensent les gens. Elle était populaire, mais on l'a vite casée avec moi dans la catégorie "meuf chelou et ennuyante" ce qui est drôle parce que Ileana est tout sauf ennuyante. Peu importe ce qu'elle fait, elle le fait pour elle et si les autres pensent que c'est nul et bien elle leur dit gentiment d'aller se faire foutre. Parce que c'est Ileana.
-C'est génial ! Demain tu viens chez moi à 13h, ok ? On va te faire un relooking ! Et tu prends ta guitare !
Je sens que je vais le regretter.
Ileana fait depuis une bonne trentaine de minutes des aller-retours dans ma chambre. Par moment elle s'arrête subitement et me fixe avant de secouer la tête négativement et de reprendre sa marche. Moi, je me contente de la suivre du regard, elle a emmené des tas de vêtements à elle. Elle entasse toute sortes de choses sur mon lit, des robes, des jeans moulants, des jupes en simili-cuir, des chemisiers en dentelle. Elles a aussi amenés plusieurs boites de chaussures, avec sa grande mallette de maquillage. J'ai encore les muscles des bras engourdis à force d'avoir fait des allée-retours de la voiture de sa mère à ma chambre les bras chargés. Soudain Ileana s'arrête pour de bon. Son regard est déterminé, je pourrais presque voir des flammes danser dans ses yeux. Je souris timidement, je ne suis pas du tout sûre de ce que je fais. J'ai l'habitude de savoir où je vais mais là, c'est un saut dans l'inconnu.
- Assieds-toi sur la chaise de bureau chérie.
J'obéis. Elle s'approche de moi avec plusieurs tenues dans les bras, le regard critique. Elle est carrément dans son élément, elle peut exprimer sa créativité de modiste. Parce que Ileana c'est une originale, elle créer la plupart de ses vêtements. Personne ne s'habille comme elle dans le bahut, et heureusement sinon elle serait très fâchée.
-Voyons voir... Non, lève-toi finalement.
J'obéis encore une fois. Son visage s'éclaire, on dirait qu'elle vient d'avoir une idée, reste à savoir si elle est bonne ou pas. Je triture le bas de ma jupe en stressant.
-Ça y est ! J'ai trouvé !
Elle me pousse dans la salle de bain avec une pile de vêtements et me tend une paire de botte noire, un peu gothique à talons. Je grimace, je n'ai jamais porté de talons, je vais marcher comme une dinde avec ça. Ce n'est t'aiment pas mon style... Je porte des couleurs discrètes mais jamais de noir, et encore moins si il y a des clous dessus.
-Est-ce qu'on est vraiment obligé de faire ça ?
-Roooh, fais pas ta princesse !
Je lui prends les chaussures et me change. Je suis hésitante dans chaque geste que je fais, il faudrait vraiment que je développe ma confiance en moi. Je refuse même de me regarder dans le miroir... C'est ridicule je sais, mais j'ai peur de ce que je vais voir, ces vêtements ne me correspondent pas du tout. Je me sens compressé, le jean me colle comme une seconde peau. Quand j'ai fini et je sors en posant la question d'une voix hésitante :
-Je peux aller me voir dans le miroir ?
-Non. Hors de question que tu y ailles avant que je finisse. Rassieds-toi.
- D'accord.
Elle me demande de fermer les yeux. Une bonne heure s'écoule pendant qu'elle fait glisser ses pinceaux sur mon visage, qu'elle me tire les cils à coup de mascara ou encore qu'elle m'applique du rouge à lèvres. Je me demande comment on peut avoir l'air naturel avec autant de chose sur la peau. Moi j'ai l'impression qu'on m'enfile un masque, de ne plus être moi-même. Quand elle me dit de rouvrir les yeux, je suis sur le point de m'endormir assise, je masse ma nuque endolrorie. Je fais une moue dubitative pendant qu'elle inspecte le tout et qu'elle m'applique des lentilles de contact. Je me retiens de pleurer parce que ce n'est pas agréable, elle est quand même en train de me mettre ses doigts dans les yeux...
Elle me prend finalement la main et me tire vers le miroir. Et là, j'ai un vrai choc, je ne dirais pas qu'elle a transformé complètement le petit canard que je suis, mais quand même.
Wouah. Je ne me reconnais même plus. Pour commencer, mes vêtements habituels sont troqués contre un pantalon serré noir, un t-shirt large avec une inscription IDIOT, les bottes et un sublime perfecto en cuir. Je n'oserai jamais porter une tel chose dans la vie de tout les jours. C'est tellement... Pas moi. Mais mon visage est ce qui me laisse le plus sous le choque. Mes cheveux sont lissés et m'encadre le visage, il me tombe un peu plus sur les épaules qu'avant, ça me fait un carré presque beau. Ma peau est parfaite grâce à la crème, mes yeux bleus sont soulignés d'un grand trait d'eye-liner avec une touche de mascara. Quant à mes lèvres, elles sont toutes simples, avec un petit peu de brillant à lèvre.
Le résultat est... je n'ai pas de mots. On dirait une autre personne. Je suis presque...
-Magnifique, dit Ileana. Une vraie bombe atomique !
-Tu rigoles ! C'est pas drôle...
Elle met sa main sous mon menton pour me relever la tête, elle m'enfile des bracelets cloutés de son autre main. Je me sens gêné dans cette tenue... Je ne suis plus moi même. J'ai l'impression d'être une imposture, même si j'avoue aimer le résultat.
-Tu vas les impressionner. Souris.
Je me retourne brusquement pour la prendre dans mes bras. Je me sens soudainement extrêmement reconnaissante envers elle. Elle fait tellement de chose pour moi.
-Eh là ! Doucement, tu vas abîmer tout mon travail !
Je rigole. C'est bizarre, mais finalement je commence à m'aimer dans cette tenue, et je prends même confiance en moi. Peut-être que ce changement de look est une bonne chose finalement. J'attrape ma guitare et regarde l'heure. Je commence à angoisser... Et si je faisais demi-tour au dernier moment ? Me connaissant c'est probable, je suis une lâche. Il faut qu'on y aille avant que je change d'avis.