Chapitre 6 : Une intrigante inconnue
Chapitre 6 : Une intrigante inconnue
Si seulement son esprit, à l’époque trop jeune et naïf, s’était montré plus réfléchi, plus en adéquation avec la réalité écrasante de ce monde et de ses codes immuables qui engloutissaient tout sur leur passage, Dalia n’aurait pas à souffrir de tant de regrets. Et sa sœur de mille peines.
La dernière lui étant trop insupportable, elle avait fini par fuir sans se soucier des dangers qui pouvaient la guetter.
Si seulement le temps pouvait être remonté, Dalia ne referait pas la même erreur. Elle fuirait avec sa sœur et l’aiderait à se cacher de Clarence.
_ Messire Callen désire vous voir, lui annonça Lorelie en entrant dans sa chambre.
Que voulait-il encore ? se questionna la jeune femme avec mécontentement. La ramener au palais malgré sa volonté n’était pas suffisant, il fallait à présent qu’elle supporte la présence de cet homme.
_ Je suis fatiguée, je ne désire voir personne, déclara-t-elle la moue renfrognée.
_ Désolé de t’importuner, fit Callen en poussant la porte en grand et en entrant malgré son refus, mais je dois te parler.
_ Et moi, je n’ai rien à te dire !
_ Cesse-donc de faire l’enfant, continua l’homme avec une impatience qui se voyait sur son visage, puis à Lorelie, laisse-nous, s’il te plaît.
_ Tant que je ne serais pas autorisée à m’en aller, je ne te parlerai pas !
_ Très bien. Helias consent à te laisser repartir, alors prépare tes affaires.
Dalia le toisa avec suspicion.
_ Pour quelles raisons accepterait-il ? Je pensais qu’il voulait se servir de moi pour faire revenir Ani ?
_ Il faut croire qu’il s’est ravisé, lui dit Callen en s’avançant jusqu’à elle. Il n’a visiblement pas eu le résultat escompté en te ramenant ici, alors il n’a pas de raisons de te garder.
_ C’est-à-dire ?
_ Apparemment, ta sœur tient bien plus à sa liberté qu’à toi, et doit encore se cacher quelque part en attendant que les recherches se tassent.
Dalia hocha la tête même si elle ne croyait pas un traitre mot de ce qu’il lui disait, Ani qui préfèrerait sa liberté à elle, ce n’était pas pensable.
Quant à cette autorisation, elle cachait tout autre chose, Dalia en était sûre. Helias n’était pas idiot et encore moins négligent, pour cette raison, elle se devait de faire attention à ses actions.
Si elle décidait de rester au port de Montéry, elle pouvait être certaine qu’elle serait surveillée. Et si par malheur Anisha venait à prendre contact avec elle, elle se ferait aussitôt appréhender par la garde de ce roi.
_ Qu’y a-t-il ? Tu n’es pas heureuse de recouvrer ta liberté, s’enquit Callen en levant son menton de son index.
Dalia détourna la tête. Cet homme éveillait toujours autant de désir chez elle, seulement, il l’irritait aussi.
_ Heureuse ? Comment je pourrais être heureuse alors que ton roi a poussé Anisha à la fuite ?
_ Helias n’a rien fait de tel. Bien que ta sœur fût une prisonnière de guerre, il l’a gracié et lui a accordé un statut. Que voulait-elle de plus ? Devenir la reine d’un peuple qui la considére comme une traitresse ?
_ Un statut dis-tu ? Depuis quand les courtisanes peuvent se targuer d’avoir un statut ?
_ Dalia, je n’ai aucune envie d’ergoter sur ce sujet. Le roi de ce pays te permet de quitter le palais alors dis-moi quand tu seras prête…
Le fiacre entra au port par les grandes portes fortifiées, vestiges d’un temps plus ancien. Dalia qui n’avait pas échangé un seul mot avec Callen depuis leur départ, se redressa sur son siège, intriguée par l’absence des pancartes de recherche. La ville portuaire en était placardée à chaque coin de rue quand elle l’avait quitté.
_ Vous avez fait retirer les portraits de ma sœur ?, s'enquit-elle, au bout d’un moment d’observation.
_ Helias craint que certaines personnes mal intentionnées ne s’en mêlent et ne tentent aussi de la retrouver, lui expliqua Callen.
Dalia tourna la tête vers lui, cette explication ne la convainquait pas, comme tout le reste d’ailleurs.
_ Avec la prime que vous avez mise sur sa tête, ces gens seraient gagnants en vous la remettant.
_ C’est aussi ce que j’ai pensé, mais il y a un risque que cela tourne à la demande de rançon et mon roi ne veut pas que cela se produise.
_ J’imagine qu’il ne veut pas payer plus cher qu’il ne propose déjà de donner…
_ Tu te trompes, il pourrait même doubler l’offre s’il le voulait, seulement, il n’est pas du genre à céder aux tentatives d’extorsions. N’oublie pas qu’il est roi et qu’il doit imposer le respect coûte que coûte…
***
Le regard de cette mystérieuse inconnue intrigua énormément Madok, il était d’un ambré si clair, qu’on l’aurait cru fait d’or. Malgré la pénombre de la cabine et les cernes qui encerclaient ses yeux, il pouvait en voir tout le détail et cela le saisissait.
S’il ne savait pas de source sûre que la princesse Anisha était entre les mains du roi de Targat, il aurait pu avoir de sérieux doutes sur l’identité de cette femme.
_ Vous êtes sûr que ces pirates ne viendront pas ici ? demanda pour la énième fois l’évadée.
_ Rassurez-vous, le capitaine du navire ne permettra pas que cela se fasse. Les cabines sont fermées par leurs occupants et si ces pirates soupçonnent une personne de t’avoir caché, ils devront en apporter la preuve avant d’exiger une fouille. En revanche, continua-t-il, ils pourront accéder aux soutes et à tout autre lieu facile d’accès.
Alors que son invitée commençait tout juste à se détendre et à boire son infusion, on frappa vigoureusement à la porte. Dans un sursaut, la jeune femme se leva de sa chaise, les yeux exorbités par la peur.
_ Allons restez calme, il ne s’agit pas d’eux.
_ Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?
_ Le capitaine les aurait sûrement accompagnés, et se serait annoncé. De plus, fit-il en ouvrant la porte avec confiance, je reconnais cette manière de frapper. Doucement mon ami, lança-t-il à l'intention de son compagnon d'arme, le bois de cette frégate ne va pas résister bien longtemps à tes assauts.
_ Je peux savoir où tu étais pass…
Heddy arrêta sa phrase aussitôt. Ses yeux accrochèrent le regard de la jeune évadée avant de revenir doucement vers son supérieur, interrogateurs.
_ C’est une longue histoire, lui dit Madok, sans entrer dans les détails, je t’expliquerais...
_ Je l’espère bien, mais en attendant, il y a des hommes pas commodes qui veulent aborder le navire. Ils seraient, d’après leurs déclarations, à la recherche d’une voleuse qui les aurait dépouillés durant la nuit…
Tout en disant cela dans la langue de cette contree pour être sûr de se faire comprendre, il fixa la fille d’un air suspicieux.
_ Ce n’est pas ce que vous croyez ! se défendit, avec véhémence, la concernée. Je ne leur ai rien volé, et c’est plutôt à eux que l’on pourrait reprocher ce méfait.
Voyant que cette inconnue se défendait très bien toute seule, Madok se garda d’intervenir et se contenta de l’observer avec amusement.
D’un certain coté, elle paraissait fragile et mal en point, mais d’un autre, il devait lui reconnaître une certaine témérité. Après tout, il n’était pas donné à tout le monde de se sortir des griffes de pirates sans vergogne.
_ Si tu le dis, fit Heddy sans grande conviction. Puis en désignant la porte à son supérieur, je peux te parler un instant ?
_ Certainement…
_ Tu es tombé sur la tête ? lui reprocha son second une fois dehors. Ne me dis pas que tu fais confiance à cette gamine ?
_ Absolument pas, mais je n’irais pas non plus croire aveuglément la parole de ces bandits. Et puis pour la suite de notre mission, cette fille pourrait nous être utiles, d’autant plus qu’elle aura une dette envers nous. Qu’en dis-tu ?
Heddy considéra longuement son chef et ami et il comprit qu’il ne servait à rien de le raisonner. Madok était du genre têtu, et s’il avait pris parti pour une chose ou quelqu’un, il n’en démordait pas…