Chapitre 4 : Un oiseau libre
Chapitre 4 : Un oiseau libre
Malgré le grondement incessant du tonnerre, les prisonnières finirent par s’endormir à même le sol, profitant du rafraichissement de l’air. Anisha dont l’esprit n’avait cessé de penser à une échappatoire, avait fini par s’intéresser à la fenêtre barricadée.
Au départ, l’idée lui avait semblé, risquée, mais à mesure que le temps passait, elle se dit qu’elle devait considérer cette chance. Elle ne se représenterait peut-être pas de sitôt.
Anisha écarta le bras qu’Alva avait posé sur elle, et se leva sans faire un bruit. Sur la pointe des pieds, elle s’approcha de l’issue potentielle et tenta d’observer l’extérieur par les petits ajourés que formaient les épaisses planches de bois. Elle ne distinguait pas grand-chose, mais elle put se rendre compte de l’étendue de la tempête.
« Avec ce temps, il ne doit pas y avoir de garde dehors, pensa-t-elle avec calcul. »
Peut-être qu’il n’y avait pas de garde, mais la difficulté restait entière. Les planches étaient cloutées et semblaient tenir solidement. Après réflexion, elle se dit qu’elle devait profiter de chaque grondement pour tenter de faire céder une partie des barricades.
A peine pensée, l’idée fut appliquée à l’éclair suivant. Elle tenta de passer le bout de ses doigts fins dans l’embrasure que formaient les obstacles et de tirer, seulement, elle n’avait pas assez d’emprise ni de force.
Elle retenta la manœuvre une ou deux fois avant de comprendre l’impossibilité de la chose. Ces forbans n’étaient pas idiots. Ils ne les auraient jamais mis dans une pièce avec un accès sur l’extérieur, sans s’être assurés de son impraticabilité.
Un long soupir échappa à la jeune femme et après s’être adossée au mur, elle se laissa glisser jusqu’au sol.
Comment allait-elle faire à présent ?
Une fois vendue, elle ne savait vers quel lieu elle serait emmenée. Ni comment elle pourrait s’en échapper…
Tandis que son esprit commençait à être gagné par le désespoir, et que la vie d’esclave se profilait clairement devant ses yeux, un éclair de révolte résonna en elle.
Elle ne pouvait pas se résoudre à une telle destinée.
À nouveau sur ses pieds et faisant face à la fenêtre, une idée désespérée lui vint.
Elle déchira la partie basse de son chiton et le plia pour le rendre plus résistant. Elle passa le tissu entre la planche et le mur et tira sur les pans pour la déloger. Elle sentait qu’elle avait plus d’emprise grâce à cette machine, seulement la force lui faisait encore défaut. Elle retint son souffle, posa un pied contre le mur pour s’offrir un appui supplémentaire et tira comme une damnée.
Alors qu’elle ne s’y attendait pas, une force supplémentaire s’ajouta à la sienne.
_ Alva, chuchota Anisha en tournant un peu la tête et en la voyant derrière elle.
_ Elle cède de plus en plus, lui fit remarquer la jeune femme, tire encore.
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase que les clous se décolèrent du mur. La planche pivota vers le bas, laissant apparaitre une ouverture plus large sur l’extérieur.
Anisha ne perdit pas de temps et passa la tête pour voir si la voie était libre. Comme elle l’avait prédit, aucun garde ne semblait surveiller les environs. Il fallait tout de même rester prudente, car le tonnerre s’éloignait et la tempête pouvait se calmer à tout moment.
_ Tu ne pourras pas passer, il faut retirer celle du dessus lui dit sa camarade. Je vais t’y aider.
_ Oui, tu as raison, c’est bien trop serré…
Les filles attendirent la bonne occasion et réitérèrent la manœuvre. A bout de force, et le cœur battant de crainte, elles finirent par déloger la seconde planche.
Anisha soupira d’aise avant de porter un regard sur les détenues encore endormies.
_ On devrait réveiller tout le monde…
_ Si j’étais toi, je ne ferais pas ça, lui dit Alva à voix basse.
_ Mais enfin, pourquoi ? Elles ont le droit de recouvrer leur liberté, elles aussi…
_ Je suis d’accord, seulement en les réveillant, lui expliqua Alva, tu diminueras tes chances de t’en sortir. La plupart de ces filles ne sauront pas où aller une fois dehors et elles resteront collées à tes basques. N’oublie pas que nous sommes dans un tout petit village portuaire, un groupe de femme ne passera pas inaperçue et ces pirates auront vite fait de vous retrouver.
Anisha savait que ce que disait Alva était factuel et qu’elles auraient eu bien plus de chance à deux, seulement son cœur ne pouvait lui permettre de les abandonner.
_ Désolée, mais je ne peux pas…
_ Très bien, dans ce cas part devant et cache-toi, d'ici à quelques minutes, je les réveillerai et elles pourront tenter leur chance.
_ Il en est hors de question ! s’insurgea doucement Anisha. Je ne te laisserai pas derrière moi !
Au regard d’Alva, la jeune femme compris qu’elle n’avait aucune intention de partir de cette prison, ni de renoncer aux chaînes que sa condition exigeait. Elle repensa à ce qu’elle lui avait dit à son réveil, sur le bateau et son cœur se serra.
_ Je ne peux pas te suivre, Anisha. Comme je te l’ai expliqué, je suis là de mon plein gré.
_ Mais enfin, on ne peut pas vouloir d’une vie d’esclave ?
_ Non, bien sûr que non… mais je n’ai pas le choix. Ma mère étant elle-même une serve, nous appartenons à son maître, et son choix fut de revendre l’un de ses enfants. Je me suis portée volontaire, car je n’ai aucune envie que ma grande sœur soit séparée de celui qu’elle aime. Si je fuis avec toi, ces gens sans scrupules iront réclamer leur argent à notre maître et c’est ma sœur qui risque d’être donnée en guise de dédommagement.
La jeune femme comprit mieux la volonté d’Alva de rester, mais même si elles ne s’étaient connues que peu de temps, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une forte tristesse.
_ Je… je ne sais vraiment pas quoi te dire…
_ Tu n’es clairement pas le genre d’oiseau qui peut vivre en cage, Anisha, alors dis-moi adieu et cours vers ta liberté…