Chapitre 6 : Le récidiviste
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Je compte les jours avant mon départ de cet endroit. Contrairement à ce que je craignais, Karamakoèn ne s’oppose plus à ce que je parte à Labé. Je ne sais pas comment son fils à réussie à le convaincre et je ne veux pas le savoir. Tout ce qui m’importe, ce que dans exactement trois jours, je quitterais cet enfer.
Je sursaute et mes sens se mettent en alerte lorsque j’entends crier mon prénom.
Mon oncle.
Je reste aussi silencieuse que possible espérant qu’il se fatiguera de m’appeler et retourne dans sa case. Je resterais cachée ici jusqu’à ce que ma mère revienne ou que mes cousins reviennent du champ.
Je pourrais toujours lui dire après que je ne l’ai pas entendu m’appeler ou même que je n’étais pas dans la concession.
Il insiste et je retiens mon souffle lorsque je perçois des pas qui se rapprochent. Je bondis de la pierre sur laquelle j’étais assise et me tiens debout comme une sentinelle.
-Tu ne peux pas répondre lorsqu’on t’appelle ?
-Je suis désolée, mon oncle. Je ne vous avais pas entendu.
J’ai peur. Je ne veux pas qu’il « s’amuse » avec moi encore aujourd’hui. Je sais que ce n’est pas bien ce qu’il fait. Il m’avait promis que j’allais y prendre gout mais ce n’est pas vrai. Je n’aime pas quand il me touche et j’ai toujours mal après.
-Viens avec moi.
Il m’attrape par le bras et me traine presque de force dans sa case. Il porte ce caftan horrible qu’il met à chaque fois qu’il veut « s’amuser » avec moi.
-Pourquoi tu as dis à Daouda que tu voulais partir d’ici ? Me demande-t-il tout en enlevant le seul habit qu’il a sur le corps.
Il se retrouve nu comme un verre. Je détourne le regard et me prépare à ce qui va suivre.
-Je veux étudier, mon oncle.
-Tu veux surtout me contrarier, Mouminatou. Tu n’aimes pas ta mère, c’est ça ?
-…
-Si tu aimais ta mère, tu aurais écouté son conseil. Ne t’a-t-elle pas demandée de ne pas partir ?
Il se rapproche de moi et me pousse doucement vers le lit. Je me laisse lourdement tomber sur le petit matelas, les yeux inondés de larmes.
-c’est la dernière fois, me dis-je intérieurement.
Pour la première fois, j’ouvre les yeux pour le regarder dans son plus simple appareil.
Quand je lève la tête et que je croise son regard, ce que j’y vois me noue l’estomac. Son regard, c’est celui d’un prédateur qui est prêt à bondir sur sa proie. Celui d’un animal sauvage incapable de toutes pensées raisonnables.
Je le regarde ! Oui, pour ne pas oublier. Je regarde la peau de son ventre qui tombe sous le poids des années. Il me lance un de ces sourires diabolique qui me permet d’entrevoir ses dents jaunies par la consommation excessive de la kola.
J’essuie mes larmes, en me promettant de ne plus pleurer. C’est, de toute façon, la dernière fois.
Il dénoue mon pagne et se couche de tout son poids sur moi. Il écarte mes jambes et essaie de s’introduire dans mon intimité.
Une énième intrusion. Une énième trahison.
Du haut de mes douze ans, je me sens trahi par une personne en qui j’avais totalement confiance. Une personne qui s’est avérée être perfide et déloyale.
Je fais ce que je fais d’habitude, m’évader dans ma tête. Je m’absente totalement et simplement. Je le laisse mon corps, mais mon esprit s’envole. Il ne pourra jamais contrôler ni posséder mon esprit. C’est un endroit ou il ne s’insinuera jamais.
Karamokoèn qui se relève brusquement et des éclats de voix qui se font entendre me ramènent dans mon corps.
-Tu as recommencé. Cri Koto Daouda dont le regard injecté de sang, foudroie son père.
Je reste couchée sans même penser à me couvrir. Je n’assimile pas complètement ce qui vient de se passer.
Mon oncle se précipite et récupère son caftan qu’il enfile maladroitement. Mon cousin ramasse mon pagne et le pose sur moi. Il glisse ses mains sous mon corps et me soulève délicatement. Il me conduit vers la case de maman. Pendant qu’il marche, moi dans ses bras, je l’entends respirer fort. Ses halètements ressemblent à ceux d’un coureur qui arrive au bout de son parcours.
Il me pose dans le lit et je lui tourne le dos. J’ai honte de le regarder.
-Tu vas bien ? Demande-t-il entre les dents.
-Je vais bien.
Je me sens anesthésiée. Là, tout de suite, je ne ressens rien. Je ne sais pas si je vais bien ou pas. Je ne sais pas si je suis soulagée ou si j’ai peur. C’est une situation que je n’avais pas prévue.
-ça fait combien de temps qu’il te fait ça ? Demande koto Daouda dans un souffle.
-Deux ans.
-Tu n’avais que dix ans il y a deux ans.
Je me tourne vers lui et vois qu’il a les poings serrés. Quand il lève la tête, ses yeux sont aussi rouges que le volcan. Son visage est en feu.
-Ne t’énerve pas, Koto. Il ne faisait rien de mal. Et puis, je ne dois pas te raconter.
-Pourquoi ?
-Parce que c’est un secret. Un secret entre nous. Si quelqu’un venait à être au courant, un malheur pourrait le frapper. Déclare-je en y croyant très fermement. Tu ne dois pas savoir.
Il me regarde intensément et ses yeux se remplissent de larmes.
-Il a dit que nous nous amusions.
Il est assis sur le bord du lit et a les yeux baissés. Ses poings qui sont toujours joints, tremblent légèrement. De profil, on dirait vraiment son père en plus jeune.
-Je te sors de cet enfer dès demain. Dit-il sans me regarder.
-Ne lui dis pas que tu au courant de notre secret, il n’aime pas ça.
Il prend ma main et la serre très fort. Il me fait mal mais je ne dis rien.
-Je reste ici jusqu’au retour de ta maman.
Il tient parole. Je ne sais pas au bout de combien de temps ma mère revient, en tout cas, elle a prit tout son temps. Je commençais déjà à somnoler lorsque j’entends sa voix.
-Qu’est ce que tu fais dans ma case, Daouda.
-Tu savais tout, n’est ce pas ? Demande Koto
-Savoir quoi ?
- Tu es quel genre de mère ? Comment peux-tu laisser faire ça à ta fille ? Je paris que tous ici, vous savez et personne ne lève le petit doigt pour venir en aide à cette enfant. Tu es indigne d’être mère. Tu ne mérites pas d’être appelé maman.
Ma mère reste bouche bée. Elle fixe juste mon cousin sans aucune réaction.
-Tu cris sur tous les toits que tu aimais ton mari, c’est que des bobards. Si tu l’aimais comme tu le dis, tu aurais protégée sa fille.
-Et moi, qui me protège ? vocifère ma mère. Qui se soucis de moi ? Qui se demande comment je me sens ? Est-ce que ça intéresse quelqu’un ?
***Koto Daouda***
-Tu ne mérites pas le statut de mère.
J’ai une envie dévorante de lui asséner quelques gifles qui vont effacer ces larmes de crocodile qu’elle verse devant moi. Ma pomme me démange, j’ai envie de la claquer bien fort.
-Dieu ne fait jamais rien à tort. Il savait pourquoi il ne voulait pas te donner de progéniture.
A ces mots, elle me donne une gifle dont je ne sens même pas la piqure. J’ai le corps anesthésié par l’horreur que j’ai vu.
-Tu n’as pas le droit de me dire ça, Crache-t-elle entre les dents. Je ne sais même pas de quoi on m’accuse.
-Je t’accuse d’insensibilité. Je t’accuse de cruauté. Comment peux-tu laisser cette gamine vivre ça ? Tu regardes ailleurs pendant que ton enfant se fait violer.
-Ne dit pas ça, Koto. Répond Mouminatou qui était restée silencieuse. Il ne faut pas répéter ça, si mon oncle l’entend, tu vas avoir des problèmes.
Elle se lève et vient se mettre en face de moi avec son regard remplie de terreur.
-Si tu le dis à haute voix, il va t’arriver malheur. Je ne vais pas qu’il t’arrive quelque chose.
Je la regarde et la fureur que je ressens se multiplie. Cette petite est traumatisée et marquée. J’ai honte d’appeler cet individu « papa ». Je ne sais pas comment réagir. Je ne comprends pas ce qui peut pousser un adulte à infliger une chose pareil à un enfant.
Je suis en colère contre mon père. Je suis en colère contre sa mère. Je suis en colère contre toutes les personnes qui vivent dans cette concession. Comment expliquer ce silence complice de chacun ?
-Il ne m’arrivera rien, dis-je pour la rassurer.
Sa génitrice est plantée là à nous observer en chialant. Je ne sais même pas pourquoi elle pleure.
-C’est Karamakoèen qui t’a dit de ne le dire à personne.
Elle hoche la tête en fixant un point imaginaire sur le sol. Elle a le regard hagard et vide. Je me demandais pourquoi cette petite avait cet air apeuré et triste depuis que je suis revenu. Je me demandais pourquoi elle ne voulait pas se séparer de moi ces derniers jours. Et bien, je viens d’avoir ma réponse.
Elle fuyait les pulsions sexuelles de mon géniteur.
Sa mère sort de sa léthargie et nous laisse dans la case. Je m’assois sur le bord du lit et ramène doucement Mouminatou vers moi :
-Il ne m’arrivera rien. Karamakoèn ne peut rien me faire. Dès demain, on va partir à Labé. Je vais t’y conduire personnellement. D’ici là, tu ne le laisses pas t’approcher, tu as compris ?
-J’ai compris.
Je lui prends la main et vais la coucher dans la case de ma mère. Elle n’est pas à la maison, je lui expliquerais la situation à son retour.
-Et toi, tu n’as pas intérêt à t’approcher d’elle. Je te vois poser ne serait-ce qu’un regard sur elle, tout ce village saura quel genre de mère tu es. Dis-je entre les dents quand j’aperçois la mère de Mouminatou devant sa case.
Elle ne me répond pas, elle se contente juste de regarder ailleurs.
Il est temps d’aller confronter le salaud maintenant. Mes pieds me portent jusque devant sa case. Je ne veux pas le voir, mais je ne peux pas laisser passer ça une seconde fois. Je respire très profondément avant de m’introduire dans sa case.
Il est assis par terre et il fixe le coran posé sur le petit tabouret près du lit.
-Allah te maudira si tu poses tes mains sur ce livre saint. Dis-je en essayant de toutes mes forces de ne pas crier. Tu es un être abject. Je pensais que je ne verrais plus ce genre de scène, mais il fallait que tu recommences. Il fallait que tu fasses subir ça à une autre petite fille.
Il tourne enfin le regard vers moi. Ses yeux sont ceux de quelqu’un qui a pleuré. Il a l’air honteux. Les épaules affaissées, il tremble légèrement.
-Comment tu fais pour oser te regarder dans un miroir, papa. Tu m’as envoyé loin d’ici pour cacher tes penchants pour les petites filles. Tu me fais tellement honte. Dis-je en me laissant tomber par terre, impuissant. J’aimerais pouvoir faire quelque chose contre ce porc, mais comme il y a des années, personne ne m’écoutera.
Je revis ce jour ou ma vie a basculé. Ce jour où, j’ai due m’accuser pour un crime que je n’ai pas commis. J’ai due me salir pour dissimuler les forfaitures de mon père.
« Marlyatou », ce prénom me hante encore aujourd’hui.
Marly, c’était cette petite fille que tout le monde disait que c’était ma femme. Je ne sais pas comment ça a pu être possible alors que nous n’étions que des enfants, mais il y avait quelque chose de très fort entre nous, au point que son père a décidé que je serais son mari un jour. Tout le village savait donc que nous étions destinés à être ensemble dans le futur.
Moi j’avais quinze ans et elle douze, mais nous savions que nous nous aimions. Cela ne faisait aucun doute. La douleur est toujours aussi forte quand je pense à elle, encore aujourd’hui.
Nous passions nos journées ensemble. Nous allions ensemble aider ses parents au champ et à son tour, elle était toujours là quand ma mère en avait besoin. Les deux familles respectives se connaissaient et se côtoyaient.
C’était la période la plus heureuse de ma vie. Insouciant et amoureux. Que demander de plus. Je ne voyais pas ce qui aurait pu venir contre carré nos plants. Tout était déjà trop bien ficelé.
Je devais aller pour la mémorisation du coran et elle devait m’attendre. A mon retour, on se serait mariés. Le plan était simple.
Mais, un jour, Marly est venu à la maison pendant que je n’y étais pas. Malheur pour elle et pour moi, mon père était le seul présent ce jour la dans la concession.
Je ne sais pas ce qui s’est passé avant que je n’arrive mais j’ai trouvé mon père sur Marlyatou. Elle s’était évanouit et elle saignait beaucoup. C’était une vision d’horreur. Je n’ai pas tout de suite compris la scène abominable qui s’offrait à mes yeux.
Mon esprit avait décidé d’occulter la partie ou mon père était couché sur elle et la partie ou je l’ai vu nu. Tout ce que je voyais, c’était Marly couché par terre, le corps inerte.
Je me précipite vers elle et mon père en profite pour s’éclipser. Il revient quelques minutes plus tard, accompagné de mon oncle.
-Qu’est ce que tu as fais, Daouda ? demande Bappa (petit frère du père)
-Je n’ai rien fait ? Je l’ai trouvé comme ça.
Je cris en la secouant de toutes mes forces pour qu’elle se réveille.
Bappa est sortit de la case pour aller chercher de l’aide, je suppose.
-Daouda, tu ne racontes pas ce que tu as vu, tu me comprends ? Dit papa, calmement mais fermement avec un air mauvais.
Je n’écoutais pas vraiment ce qu’il me disait, tout ce qui m’importait, c’était que Marly ouvre les yeux.
-Si tu ouvres la bouche, je vais te mettre dehors, toi et ta mère.
Bappa revient au bout de ce qui me semble être une éternité, accompagné de la guérisseuse du village. Il soulève Marly et la conduit dans un endroit inconnu. C’est la dernière fois que je l’ai vu.
Sous les menaces de papa, je me suis accusé. J’ai due dire aux parents de Marlyatou que c’est moi qui ai fait ça à leur fille.
J’ai appris après qu’on l’avait amené à la capitale pour y être soigné mais moi, mon père a précipité mon départ du village. Il m’a amené en Mauritanie pour soit disant parfaire mes connaissances en islam. Alors que tout ce qu’il voulait, c’était m’éloigner pour protéger son secret.
Quand je l’ai revu aujourd’hui, faisant la même chose à Mouminatou, j’ai cru mourir. Avec le temps, j’avais réussis à me convaincre que ce qu’il s’est passé il y a des années n’était qu’une erreur. Un moment de faiblesse qu’il a due regretter depuis le temps.
A une époque, j’étais même arrivé à excuser son comportement. A ne plus lui en vouloir. Je me suis lourdement trompé. Il est resté cet être vil et méprisable d’en temps.
Je me sens coupable de n’avoir rien vu venir il y a des années et je me sens coupable de l’avoir protégé. Mais même aujourd’hui, je ne suis pas capable de le dénoncer. De l’exposer aux yeux du monde.
Je suis aussi lâche que lui.
-Tu as encore recommencé. Dis-je en me parlant à moi-même.
-C’est le diable qui a pris possession de moi. Dit-il enfin.
-Tu es dis la même chose il y a des années. Mais cette fois, c’est pire que tout ce que je pouvais imaginer. Tu as violé ta propre nièce. Bappa doit se retourner d ans sa tombe.
-Les morts sont morts. Répond-il sans sourciller.
Je comprends qu’il ne regrette pas son acte. Il ne ressent aucun remord. Je suis donc conforté dans ma décision d’éloigner cette petite de ce village. Si je la laisse ici, il ne s’arrêtera pas.