Chapitre 4

C'est avec légèreté et appréhension que je me dirige vers la trattoria où j'ai croisée Adrian, hier midi. Je ne sais pas mais, je suis toujours un peu intimidée en sa présence, il a cette assurance des hommes qui plait, et moi qui suis si peu sûr de moi... J'ai la sensation de ne pas être à ma place en sa compagnie. C'est peut-être l'occasion de me faire un ami en dehors de mes collègues de la galerie?

Lorsque je rentre, je regarde immédiatement au comptoir. Je suis déçue, en constatant qu'Adrian n'y ai pas, je le cherche donc du regard, mais ne le remarque nulle part. Soudain, une main se pose sur mon épaule.

Adrian : " Tu me cherches? "

Ella : " Oui... enfin... oui... " dis-je gênée qu'il m'ai surprise. " C'était pour te faire un retour sur ce que tu m'as servit hier. "

Adrian : " Ah oui! Attends, je prends ma pause dans un quart d'heure, ça te dérange de m'attendre? Je vais te placer là et je viendrais te rejoindre. " dit-il, me guidant à une table près de la baie vitrée.

J'ai à peine le temps d'acquiescer, qu'il m'a déjà assise et qu'il est repartit. Je reste là, à regarder autour de moi. Je sors mon portable et commence à regarder mes mails en l'attendant. Il est 15h et le flux du service de midi doit s'être ralentit...car au bout du quart d'heure, je vois sa silhouette athlétique marcher jusqu'à moi. Il a deux petites tasses dans la main.

Adrian : " Je suis désolé de t'avoir fait attendre, mais je devais terminer quelque chose... comme c'est ma pause, je me suis dit qu'un expresso était de mise. Alors?..." dit-il en s'installant devant moi. " Qu'as-tu pensée de notre cuisine? "

Ella : " Pour être honnête, je ne pense pas m'y connaitre assez en cuisine italienne pour en faire une critique détaillée, mais ce que tu m'as donné était fabuleux! À tel point, qu'à présent à la galerie, ils ne veulent plus que commander ici! D'ailleurs, je me demandais si vous aviez des livreurs? J'ai essayée de me renseigner sur internet mais je n'ai rien vu. "

Il m'observe avec un large sourire, puis sort une carte du restaurant de sa poche et commence à noter quelque chose dessus.

Adrian : " Tiens. Appelle-moi avant midi, comme ça je te dirais ce qu'on a et j'enverrai quelqu'un te l'apporter. "

Ella : " Merci! Tu n'es pas obligé... "

Adrian : " Je sais. Je ne suis obligé de rien. J'en ai juste envie. " me coupe-t-il, d'une voix rauque.

Je suis un peu troublé par sa façon de me regarder et d'être aussi serviable. C'est la deuxième fois qu'il me fait une fleur en si peu de temps...

Ella : " Pourquoi étais-tu à la galerie jeudi? " demandais-je abruptement.

Adrian : " Je ne sais pas. " dit-il avec honnêteté. " Je passe devant tout les soirs et quand j'ai vu que c'était ouvert, je suis rentré. J'ai regardé un peu... "

Ella : " Ça t'as plu? " le coupais-je avec enthousiasme.

Adrian : " Oui... " dit-il mollement. " Je ne suis pas vraiment calé sur le monde de l'art. J'ai visité la National Galery quand j'étais enfant et ça s'arrête là, en ce qui concerne mes compétences. "

Ella : " Tu n'as pas besoin d'être un expert pour apprécier ce que tu vois, il suffit juste de ressentir. "

Adrian : " Si tu le dit... Tu habites ici depuis quand? Je ne t'avais jamais vu avant. " dit-il plus sérieux.

Ella : " Je suis à Camden depuis deux semaines. Je viens de m'installer. Je vivais à Bristol avant."

Adrian : " Bristol? Ça à l'air d'être une ville très chic... "

Ella : " Elle l'est, à certains endroits... "

Adrian : " Tu aimes Londres? "

Ella : " J'adore! C'est si excitant. Il y a toujours quelque chose à faire ou à voir. Je ne pensais pas me sentir chez moi aussi rapidement. "

Adrian : " C'est vrai, cette ville à quelque chose de magique. Je viens de Manchester et quand j'ai mis un pied ici, j'ai compris que je ne repartirai pas. "

Ella : " Tu travailles ici depuis longtemps? "

Adrian : " Six mois. C'est un nouvel endroit. " dit-il vaguement. Il regarde sa montre et se lève brusquement de sa chaise. " Il est presque 16h... tu veux venir à l'arrière salle? Il n'y pas grand monde ici et si tu veux, je pourrais te faire goûter de nouvelles recettes? " dit-il, avec vitalité.

Ella : " C'est intriguant... d'accord. " dis-je en me levant et en le suivant.

...

Il n'y a plus grand monde dans la cuisine, les autres employés sont dehors en train de prendre une pose. Il ouvre un frigo et sort plusieurs tupperware. Il prend une assiette et dispose les contenus dessus. Au bout de quelques minutes, j'ai devant moi une sorte d'assortiment d'antipasti. Des hors d'oeuvres italiens qui ont l'air absolument renversant.

Adrian : " Tu peux te servir. "

Ella : " Qu'est-ce-que c'est? " demandais-je, intéressée.

Adrian : " Tu as des aubergines grillés fourrées au fromage frais, du prosciutto et une brusquetta de tomate et basilic. "

Ella : " Je ne vais pas manger tout ça! "

Adrian : " Mange ce que tu peux? "

Je commence par la bruschetta. En l'enfournant dans ma bouche avec appétit, je me rends compte que c'est loin d'être glamour à manger, mais mon Dieu, qu'est-ce-que c'est bon!

Ella : " Hummm... il n'y a donc rien de mauvais dans cet endroit? "

Adrian : " Il faut croire que non... " répond-t-il fièrement.

Il me regarde de ses iris bleus, détaillant chaque mouvement que je fais avec ma bouche.

Ella : " Tu ne manges rien? "

Adrian : " Ah... euh... oui. " dit-il, revenant à lui-même. Il prend une fine tranche jambon et la savoure lentement. " Tu dois prendre un peu de ça... " me dit-il, pliant une tranche entre ses doigts et l'approchant à ma bouche.

Instinctivement, j'entrouvre mes lèvres et prends ce qu'il me tend. Le jambon est coupé si fin, qu'il fond sur ma langue. Nous mangeons à présent en silence, nos yeux plongés dans le regard de l'autre. Je me sens troublée et à l'aise à la fois. Nous nous connaissons à peine, mais je partage une proximité que je n'ai jamais ressentie avec personne, ni même Eric! Il a cette façon d'être dans le moment présent, que je lui envie. Sa spontanéité est communicative.

Ella : " Je n'étais pas venue vider les frigos... Je te le jure. " dis-je pour interrompre ce silence.

Adrian : " Manger avec quelqu'un en dit plus, qu'une grande et profonde conversation... Tu en veux d'autre? " dit-il, prenant un autre tranche de jambon.

J'hoche la tête et il me la tend à nouveau près des lèvres, et je l'attrape avec mes dents, délicatement.

Ella : " Merci... " dis-je, en mâchant doucement.

Il est à présent devant moi, et il lèche sur ses lèvres le goût salé de la charcuterie, qu'il vient de déguster. Je l'observe, hypnotisée par ce geste si décadent. Alors que je ressens la chaleur qui se dégage de son corps, des employés rentrent dans la cuisine et reprennent leurs postes comme-ci de rien n'était. C'est le moment où je reviens à moi-même, et décide de partir pour ne pas monopoliser son temps. " Je dois y aller... tu dois être occupé... " dis-je en m'éloignant.

Adrian : " Tu ne m'a pas dérangé... "

Je sors de la cuisine rapidement, et il me suit calmement. Quand j'atteins la porte, je me retourne pour le saluer mais me cogne, encore, contre son torse.

Ella : " Désolée... Je... "

Adrian : " Je vais commencer par croire que tu le fait exprès. " dit-il, enjoué.

Je ne rebondis pas à ce qu'il vient de dire, mais rougit fortement.

Ella : " Bon... et bien, je pense que tu auras une commande lundi midi pour la galerie... À la semaine prochaine... "

Adrian : " Passe une bonne soirée, Ella. "

...

Sur le chemin qui me ramène chez moi, je ne cesse de cogiter sur les réactions que provoque la présence d'Adrian lorsqu'il est près de moi. Il me regarde toujours dans les yeux, et j'ai l'impression d'être scrutée à chaque instant... il est si intense... et la nourriture qu'il me fait découvrir est tout aussi attirante que lui... Je l'ai tout de suite trouvé sublime en le croisant à la galerie, mais les hommes comme lui, ne sont généralement pas intéressé par les femmes comme moi. Je suis très ordinaire et ne cherche pas forcément à être autrement. Cependant, être regardée comme il le fait... c'est plus que très agréable.

Il doit être comme ça avec toutes les filles, me souffle ma conscience... Autant ne pas voler trop près du Soleil et s'écraser lamentablement dans la boue! Je vais m'en tenir à mes résolutions et me consacrer à mon travail à la galerie, sans commencer à divaguer sur un étranger...