03
3
- Je comprend, me sourit-il.
À chaque fois que ce gars ouvre la bouche pour dire quelque chose, il a toujours le même sourire magnifique, et m'observe avec ce même regard intense. Comment il fait ?
- Tu es au lycée ?
Je levai la tête et l'interrogeai du regard.
- Je te demande ça parce que tu viens seulement le midi, que tu es à pied et que ton sac ressemble à un sac de cours.
Remarquant mon silence, il ajoute en riant :
- Je ne veux pas te faire peur hein. C'est seulement quelques petits détails que j'ai remarqué chez toi. Rien de plus.
- Quelques détails ? Ça commence à faire beaucoup non ?
- Peut-être un peu, je te l'accorde. Mais j'ai vraiment envie d'en savoir plus sur toi. De te connaitre un peu plus, et comme visiblement tu ne veux rien me dire, j'essaie de deviner par moi-même. Ça te dirait de sortir un soir ? Ou un après-midi, comme tu veux.
Pendant que je réfléchissais à un moyen de décliner gentiment son invitation malgré ses beaux yeux, il continua :
- Et ne me recale pas comme la dernière fois, s'il te plait, parce que ça m'a vraiment fait mal ! rit-il. Juste une fois. Et si tu ne veux plus qu'on continue à se parler, je ne t'ennuierai plus. Je te le promet.
Aaah ! Comment dire non à ce sourire sublime ! Ce n'est pas dans mon caractère de réagir comme ça. Normalement, j'aurais dis non sans me poser aucune question, mais là, je n'en ai pas envie. Pourquoi je ne changerais pas un peu mes habitudes pour une fois ? Juste une exception aux règles que je me suis imposée à moi-même, ça ne peut pas me faire de mal, si ?
- Je ne sais pas. Je vais y réfléchir, dis-je en baissant la tête vers ma tasse.
- Réfléchis vite parce que je viens te chercher demain, répondit-il avec une assurance que je n'aurai jamais.
- Et comment tu vas faire ? Tu ne sais même pas où j'habite.
- Donne moi ton téléphone, ordonna-t-il en souriant et en tendant la main au dessus de la table.
- Pourquoi je te donnerais mon téléphone ?
Je le regardais étonnée, et lui souriait. S'il pensait que j'allais lui passer mon portable, il était vraiment naïf !
- Aller ! Je veux juste enregistrer mon numéro, je ne veux pas te le voler, s'amusa-t-il.
J'adore son rire, et je n'aime pas les changements que cela provoque en moi. Je ne le connais pas du tout, mais j'apprécie déjà sa présence. Beaucoup même. Peut-être un peu trop… Son sourire m'attire et son regard m'hypnotise irrémédiablement. Il avait l'air sympa – même si c'était sûrement du cinéma – et je crois que je vais accepter de le voir, seulement une fois. Je verrai bien ce que ça va donner.
Je l'enviais d'être aussi sûr de lui, mais en même temps, il avait de quoi. Son sourire devait faire des ravages et son regard brillant devait beaucoup l'aider.
Je commençai à fouiller dans mon sac et je pouvais déjà apercevoir un sourire poindre au coin de sa bouche.
- Je te remercie, me dit-il en prenant mon téléphone, un sourire satisfait suspendu à ses lèvres.
Il me le rendit au bout de quelques secondes, se leva pour aller payer les cafés et revint à ma table.
- J'attends ton message. A demain, j'espère.
Il avait l'air sincère, et je trouvais cela plutôt étrange. Je le regardais sortir quand mon téléphone sonna. C'était un message de Mathilde qui me demandait où j'étais. Quatorze heure seize ! Génial, j'étais en retard d'un quart d'heure.
- Qu'est-ce que tu faisais ? me demanda Mathilde quand je m'installai près d'elle en arrivant dans la salle de classe.
- J'étais au café, j'ai pas fais attention à l'heure. Merci.
- Tu me dois un café !
- Pas de problème.
Je sortis mes affaires et regardai discrètement mon portable sous ma table. J'entrai dans ma liste de contacts, que j'ai parcouru jusqu'au F : Flo le plus beau. Poète incompris, en plus d'être incroyablement narcissique et prétentieux !
Elle était finalement revenue aujourd'hui. Je n'étais donc pas venu pour rien et je savais maintenant qu'elle ne m'évitait pas. Enfin, pour le moment.
Je n'en ai pas appris beaucoup sur elle mais je crois que je suis en train de passer pour un psychopathe. Je ne sais même pas pourquoi je m'obstine à ce point pour la revoir alors que j'ai l'impression qu'elle veut rester le plus loin possible de moi. Pourtant, je n'y peux rien, c'est plus fort que moi.
Vu comme elle avait réagit à ma question, je savais qu'elle était au lycée. J'espérais seulement que ce n'était pas sa première année. Si c'est le cas, je serai obligé de laisser tomber. Je n'allais tout de même pas draguer et sortir avec une gamine de quinze ans… Non. Je pense qu'elle a dix-huit ou dix-neuf ans. Elle a dû redoubler. Et puis elle a bien vu que je n'avais pas l'âge d'aller au lycée, je ne fais pas aussi jeune, si ? J'espère sincèrement ne pas me tromper sur son âge, parce que je veux vraiment la revoir, et pas seulement une fois. Mais ça, c'est seulement si elle accepte, bien sûr, et je crois que c'est loin d'être gagné.
Jessica a quelque chose dans le regard qui me fascine, et en même temps qui est étrange. Elle a l'air triste, et renfermée sur elle. Je me demande pourquoi. Elle a quelque chose de spécial. Je ne sais pas quoi, mais j'aimerais vraiment le découvrir.
Elle est simple, mais vraiment belle en même temps. Elle ne se maquille pas, elle laisse ses longs cheveux bruns libres de leur mouvement, et elle s'habille simplement. J'ai l'impression qu'elle cherche à ne pas se faire remarquer des autres. Je pense d'ailleurs que c'est pour ça qu'elle a choisit la table tout au fond, au café, celle qui est la plus éloignée. C'est peut-être pour cela que je l'ai remarquée, moi.
Quand je suis sorti du café, j'étais content de moi. Je l'avais troublée mais j'avais eu ce que je voulais. Elle avait mon numéro, et je n'avais plus qu'à attendre un message de sa part. J'espère juste que je vais en recevoir un bientôt, même si toutefois, je ne me fais pas trop d'espoir…
En démarrant, je l'ai vu sortir du café en courant. Qu'est-ce qu'elle a ? Je lui manque déjà ? Je regardai l'heure et vis qu'il était plus de quatorze heure. A cause de moi, elle devait être en retard. Et merde, moi aussi j'y suis du coup ! J'étais vraiment un idiot de croire qu'elle courait pour me rejoindre. N'importe quoi…
Ça ne fait que deux jours mais j'ai comme l'impression que cette fille va me rendre dingue !
- Hey ! Tu rentres bien tard ce soir !
- Cam ! fis-je en soufflant. Qu'est-ce que tu fais devant chez moi ?
- Tu me manquais mon chéri, et puis tu ne répondais pas à mes messages.
Camille est ma copine du moment. D'ailleurs, elle commence à me soûler à venir chez moi dès qu'elle se fait chier toute seule. Je viens de rentrer de ma journée de travail et elle m'attend pour me prendre la tête.5
- À ce moment là, je me réjouissais que tu ne m'aie pas posé un lapin, s'exclama-t-il.
- Donc tu n'étais pas sûr de ton coup alors ?
- J'avais encore un petit doute. Mais je suis content que tu sois venue, ajouta-t-il en me jetant un rapide coup d'œil.
Quelques minutes de silence ont suivi ce bref échange durant lequel je triturais nerveusement mes doigts. Pourquoi il ne parlait pas ? C'est quand même lui qui avait voulu qu'on se voit. Je me décidai donc à engager la conversation malgré ma timidité et mon manque nettement visible d'assurance :
- Tu fais quoi ? Dans la vie je veux dire.
- Je travaille dans le bâtiment.
- Depuis longtemps ?
- Trois ans. Mon oncle m'a trouvé un travail avec lui juste après le lycée. C'est assez physique comme travail mais ça me plaît.
Nous avons continué de faire connaissance jusqu'à ce qu'on arrive au cinéma à un quart d'heure de route de chez moi. En fait, c'est plus lui qui m'a parlé de lui et je l'ai écouté. J'ai donc appris qu'il avait un grand frère, Maxime, de vingt-cinq ans, et qu'il avait perdu sa mère quand il avait seize ans. Il n'avait plus revu son père depuis la mort de sa mère. J'étais vraiment gênée qu'il me parle de tout cela aussi facilement, même si ça n'avait pas l'air de le déranger plus que ça.
Il ne m'a pas posé de questions sur moi, ce qui m'arrangeait.
- On va boire un café ? me proposa-t-il en sortant du cinéma.
- D'accord.
Comme il faisait plutôt bon pour un mois de septembre, on s'est installé sur la terrasse d'un café à côté du cinéma.
- Bon, je t'ai parlé de moi dans la voiture. A ton tour, me dit-il avec son éternel sourire.
Voilà ce que je redoutais. Je ne pouvais pas y échapper de toute façon, mais je répondis de manière évasive.
- Tu sais, il n'y a pas grand-chose d'intéressant à savoir.
- Je suis sûr que tout ce qui te concerne pourrait m'intéresser. Tu as des frères et sœurs ?
- Un grand frère et une petite sœur.
- Et tu fais quelque chose en dehors de la lecture et du lycée ? Tu es bien au lycée d'ailleurs ?
- Tu le savais déjà, non ?
Il n'avait fait que m'observer ces derniers jours alors ça ne m'aurait pas étonnée qu'il m'ait suivie jusqu'au lycée.
- Ce n'était qu'une supposition. Mais je vois que j'ai vu juste, me répondit-il en souriant.
- Je suis en terminale. Littéraire, ajoutai-je.
- Je m'en serais douté, étant donné que tu lis tout le temps, s'exclama-t-il amusé. Tu as quel âge ?
Il avait prit un air désintéressé en me posant cette question, comme si cela lui importait peu de connaitre mon âge, mais je pouvais remarquer qu'il attendait ma réponse avec impatience. Je pourrais très bien lui mentir histoire de l'éloigner de moi définitivement, mais je n'en avais pas envie.
- Dix-sept ans.
Il paraissait étonné mais rassuré en même temps. On m'a souvent dit que je faisais plus âgée, mais pourquoi il avait l'air rassuré ? Il pensait que j'avais quatorze ans ou quoi ? Et d'ailleurs, lui ne doit pas avoir mon âge…
- Et toi ? lui demandai-je calmement.
- Vingt et un ans.
- Ok.
Bon, au moins il n'a pas trente ans… Mais tout de même, quatre ans de plus que moi ça fait un peu beaucoup, non ? Pour moi, ça parait énorme, mais peut-être pas pour lui, je ne sais pas. Je verrai bien par la suite si ça le dérange de faire la discussion avec une lycéenne…
- Dis moi, ajouta-t-il après quelques instants de silence, je me trompe ou tu ne veux pas me parler ?
- Tu ne te trompes pas. Je n'aime pas parler de moi.
- Comment je vais faire pour apprendre à te connaître alors ? demanda-t-il en souriant honnêtement.
- Personne ne me connait, lui dis-je en espérant qu'il parte, m'oublie et me laisse tomber.
Je fais vraiment des choses contradictoires en l'espace de quelques secondes. Un instant je lui pose des questions pour en savoir plus sur lui, l'instant d'après je suis froide et distante, comme l'ai toujours été d'ailleurs. Il avait tout pour être troublé mais ce n'est pas pour cela qu'il a abandonné.
- Pas même ta famille ?
- Les membres de ma famille sont ceux qui me connaissent le mieux. Enfin, c'est ce qu'ils croient. Personne ne me connait réellement, lui dis-je en fixant ma tasse.
- Je serai patient alors.
J'ai levé la tête et il était en train de me regarder. C'en était trop. J'en avais assez. Comment peut-il dire qu'il sera patient ? Il ne me connait pas, et ne sait même pas à quoi s'attendre avec moi. Je n'aurais pas dû accepter de sortir avec lui aujourd'hui, c'était une très mauvaise idée. Je me suis levée, j'ai pris mon sac à main et je suis partie en direction du parking.
Je ne savais pas s'il était en train de me tester, de jouer avec moi, ou s'il s'intéressait vraiment à moi. N'importe qu'elle option, sauf la dernière. Je préfèrerais me faire recaler directement, comme ça je n'aurais pas à le faire moi-même, alors que je n'en avais pas du tout envie.
- J'ai dis quelque chose qui t'as blessée ? me demanda Flo après m'avoir rattrapée en courant.
Il avait vraiment l'air inquiet.
- Non. Je veux juste rentrer, lui répondis-je froidement.
En arrivant dans la voiture, il s'est tourné vers moi alors que je fixais le pare-brise :
- Écoute. Je veux vraiment en savoir davantage sur toi. Je ne sais pas pourquoi mais c'est comme ça. Je veux apprendre à te connaître, passer du temps avec toi. On s'est rencontré il y a quelques jours seulement, mais ce que je dis est vrai. Si tu veux y aller doucement, on ira à ton rythme. Si tu ne veux pas me parler de toi pour le moment, j'attendrai. Après, si tu ne veux plus me voir, ni même me parler, dis-le moi. Alors, je te déposerai chez toi et je ne te dérangerai plus. Dis moi juste ce que tu veux. Ou ce que tu ne veux pas. N'importe quoi.
Comme je ne disais rien depuis plusieurs longues secondes, il soupira doucement et démarra. Pour une fois, son sourire s'était décollé de son visage, ce qui m'a fait bizarre. Il avait vraiment l'air sérieux. Je ne le connais pas mais j'ai l'impression que j'ai déjà réussi à le cerner, ce qui n'est sans doute qu'une impression d'ailleurs.
Après ce qu'il m'a dit, je n'ai pas su quoi dire. Donc je n'ai rien dis. Je me suis contentée de détourner le regard et d'admirer le paysage. Qu'est-ce que je dois faire ? Je le laisse continuer son petit jeu ou je stoppe maintenant ? Malgré le fait que je préfère la solitude, je l'aime bien. J'aime bien sa compagnie, tout comme j'aime beaucoup ses yeux et son sourire. Je veux savoir aussi pourquoi c'est à moi qu'il est venu parler. Pourquoi c'est moi qu'il veut connaître alors que je lui ai dis que je ne voulais pas de lui. Il est vraiment étrange. Il me dit tout ça alors qu'il ne me connait pas et que je lui ai dis que je ne voulais pas lui parler. Et le pire, c'est qu'il me parle ainsi seulement après quelques jours. Qu'est-ce qui lui prend ? Je ne comprenais rien.
- J'en déduis que tu veux rester avec moi ?
Je le regardai, étonnée.
- Quoi ?
- On est arrivé devant chez toi, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, m'annonça-t-il en souriant.
Je regardai à travers la vitre et vis le bâtiment où j'habite juste à côté.
- Ah. Euh… Oui. Je… J'étais perdue dans mes pensées. Désolée, balbutiai-je.
- Aucun problème.