CHAPITRE 3
– Bruno, me répondit-il.
Après quelques secondes de silence, je lui répondis :
– Il me plaît bien de hisser avec toi ce lien que tu désires mais tu vas devoir me laisser fermer tout d’abord mes dix-huit ans.
– Nous pouvons commencer en attendant et avec le temps tu pourrais les fermer !
– S’il te plaît Bruno, je ne veux pas avoir de problèmes avec mes parents sinon, je serai foutue toute ma vie.
– Je ferai tout pour t’en épargner.
– Je manque de compréhension.
– Je disais qu’on allait mener la relation si tu acceptes mais de façon clandestine.
– D’accord, laisse-moi réfléchir cependant !
– Et quand me donneras-tu ta réponse ?
– Peut-être dans deux semaines.
– Deux semaines ? C’est déjà trop s’il te plaît.
– Si tu veux vraiment d’une réponse rassurante, mieux vaut m’accorder le temps que je t’ai demandé.
Dépassé par la durée, mon compagnon retint sa voix. Il baissa ensuite la tête.
Tout à coup, la sirène retentit avertissant l’heure du démarrage des cours de la soirée. Tous les élèves commencèrent à regagner leurs classes respectives. Ma copine Vanessa était en classe et par les claustras, observait Bruno et moi, sans que je ne m’y rendisse compte.
À peine entrée dans la classe, ce fut ma copine qui me parla en premier.
– Je comprends enfin combien nos sages avaient raison de leur adage.
– De quel adage parles-tu, lui questionnai-je, essoufflée.
– Oui, c’est aux yeux des humains que la chèvre broute l’herbe. Mais arrivée dans les champs, elle mange plutôt le bois.
– Et quelle en est la signification ?
– Grâce, n’était-ce pas toi qui jouais à l’hypocrite tout à l’heure quand on rentrait à la maison ?
– Sois plus claire et explicite, lui dis-je, harassée de colère.
– Ne t’enflamme pas s’il te plaît. Je crois que vous vous êtes enfin entendus sur de bonnes bases et que tu lui as déjà donné ce pour quoi il te dérangeait !
– Et quel est ton problème dedans ?
– Je sais bien que rien n’est mon problème. En tout cas, fais gaffe !
– Vanessa, je ne suis pas une gamine et je ne suis pas non plus ton égal, d’accord ? Et dès aujourd’hui, contrôle bien tes langages avant de me les adresser sinon...
– Sinon tu vas me frapper n’est-ce pas ? Excuse-moi de t’avoir mal parlé.
Prise de panique, je gardai silence et me mis à observer ma copine dans son nouvel état de tristesse.
***
Pour ma première fois, je sentais une grande joie me circuler les veines. Quelque chose me rendait heureuse. Je sentais quelque chose au fond de moi : un sentiment pur et léger. La déesse Vanessa avait bien visé : j’étais effectivement amoureuse.
Le professeur était enfin là, debout dans la classe, tenant un morceau de craie dans sa main droite, il demandait ce qu’on avait pu voir à la séance écoulée. Tous mes camarades levaient leurs petits doigts pendant que moi, je revivais encore l’entretien que je venais d’avoir avec Bruno.
***
Romaric, notre professeur de français était un homme de taille moyenne et d’un teint pas si clair comme le mien. Romaric était le professeur que j’adorais beaucoup parce qu’il était trop gentil avec nous.
Les cours commencèrent et prirent fin deux heures plus tard. À la fin des cours de dix-sept heures, je sortis de la classe toute seule parce que je ne comprenais pas la raison pour laquelle lorsque Vanessa, en voulant rentrer à la maison, était partie sans m’avoir attendue comme d’habitude. Son comportement m’intrigua et je m’étais mise à me poser des questions sans réponses.
En fait, je me demandais si c’était le simple palabre de tout à l’heure qui avait provoqué ce comportement affreux vis-à-vis de ma camarade ou non ? Je fis mine à ses comportements qui me paraissaient dorénavant et pour la toute première fois étranges.
À la sortie des classes, je fus une fois encore surprise de voir Bruno debout, à côté de ma salle de classe.
– Et que cherches-tu encore là, Bruno ? lui demandai-je, désespérée.
– Je voudrais te tenir compagnie en chemin, me répondit-il.
– Cela me plaît bien mais j’ai peur de mon daron.
– De ton père ?
– Si ! Je ne veux plus qu’il vienne me surprendre avec toi une seconde fois.
– D’accord ! Je te comprends ! Mais s’il te plaît Grâce, pour l’amour de Dieu, accepte mes avances sinon je pourrais gravement tomber malade cette nuit.
– Comment tu peux tomber malade cette nuit ? Arrête de jouer à la comédie s’il te plaît.
– Tu ne me croiras pas ! À cause de toi, je n’ai pas pu suivre les cours de la soirée parce que je ne me sentais pas bien.
– Bruno, que veux-tu au juste, dis-moi ?
– La grâce de ton cœur ! Grâce, je t’aime et je voudrais commencer ma relation intime avec toi ! Ton cœur m’appartient et jamais je ne permettrai à personne de me l’accaparer.
– Tu aimes trop me faire rire, Bruno. Et si je te disais que j’ai déjà un petit copain, que diras-tu ?
– Je sais que tu n’en as pas encore et que tu ne pourrais jamais en avoir !
– Jamais ? Ne suis-je pas assez belle pour être draguée par des milliers d’hommes ?
– Si, mais je…je…
– Je quoi ?
– Rien, mais je sais que tu es ma destinée.
– Ta destinée ?
– S’il te plaît Grâce, pour l’amour de Dieu, dis quelque chose sinon ça va pas.
– Est-ce ce que je dirai qui te guérira de tes maux ? lui demandai-je en pouffant de rire.
– Oui, chérie, me répondit-il l’air serein.
– D’accord, je te donnerai mon accord mais à conditions !
– À conditions ? me demanda-t-il, surpris.
– Oui, renchéris-je.
– Ok, lesquelles ?
– Promets-moi d’abord que tu les appliqueras.
Un grand silence s’empara des lieux. Mon interlocuteur, comme si ma phrase lui pesait le cœur, me considéra longuement avant de dire timidement :
– Oui, je promets.
Je le regardai un moment et…
– Bien, comme première condition, quand nous allons démarrer cette relation, tu devras me laisser apprendre mes cours. Deuxièmement, tu ne dois plus dorénavant venir t’arrêter devant ma classe. Troisièmement, on ne doit pas cheminer ensemble dans les rues. Quatrièmement, tu ne dois pas publier à tes copains que toi et moi menions une relation amoureuse. Cinquième condition, tu ne dois pas m’envoyer des lettres. Sixième principe, tu ne dois pas me perturber sur un ou des sujets inutiles. Septièmement, tu ne dois pas me surveiller de près. Huitième condition, tu ne dois pas me contrôler les pas. Et la dernière condition, tu ne dois pas me seconder après notre mariage. Et c’est fini !
Bruno baissa la tête et regretta de m’avoir fait la drague.
– D’accord, j’ai bien écouté tes protocoles. Il n’y a pas de souci ! Je ferai tout possible pour les mettre en pratique.
– Comme ça, je crois que nous serons toujours heureux.
Ce jour-là, Bruno et moi marchâmes ensemble du petit manguier qui était témoin de nos dialogues jusqu’à la devanture du portail de l’école. Pour éviter un nouveau scandale, je demandai gentiment à mon gars de rentrer chez lui.
Bruno accepta l’air attristé. Je compris sa peine. J’imaginais combien il avait envie de me tenir compagnie mais je n’avais pas le choix. J’avais peur de ma grande sœur et aussi de ma maman parce que papa serait déjà à son service.
Bruno ne se contraria point à mon ordre. Il partit puis je me jetai moi aussi, au pavé.
Au bout de quelques minutes, j’arrivai à la maison. Une fois la pièce affranchie, je fus surprise de la réaction de ma mère qui me fixa d’un regard noir.
Pendant que je montais les escaliers pour regagner ma chambre après l’avoir saluée, ma mère me rattrapa de sa voix.
– Grâce, reviens ici ! m’ordonna-t-elle, l’air rouge.
Je me retournai et l’approchai.
– Quelle heure fait-il ?
Je baissai la tête sans broncher mot.
– N’est-ce pas à toi que je m’adresse ? reprit-elle de plus belle, très énervée.
Une fois de plus, je rebaissai la tête sans dire mot.
– Depuis quand il t’a été permis de revenir tardivement à la maison ?
Je gardai ma bouche bée.
– Et d’ailleurs, qui était ce Bruno avec qui tu étais debout à l’école en train de parler ?
Mon cœur s’explosa dans ma poitrine. Comment était-elle arrivée à savoir que j’étais restée debout avec un homme ? Comment était-elle arrivée à connaître avec précision cet homme en question ? Avait-elle mis des surveillants à ma portée ? Avait-elle mis des caméras cachées pour me surveiller ? Des interrogations me hantaient l’esprit.
Je soulevai la tête pour lui exprimer ma désolation mais bouf ! Mes deux joues reçurent deux claques successives.
Je fus aussitôt déséquilibrée et tombai par terre. Ma mère m’ordonna de me mettre à genoux et alla dans sa chambre chercher sa ceinture.
– Allez, enlève tous tes vêtements, me consigna-t-elle.
J’obtempérai. Ma daronne se jeta sur moi et commença à m’agripper des coups de cravache. Elle me ligota pendant un bon moment.
Ce lundi, jamais je ne l’oublierai. Elle me corrigea bien et me priva de mon repas du soir. Tout mon corps était cicatrisé. Au cours de la correction, un petit fer qui fut au bout de la ceinture m’atteignit le front et y laissa une cicatrice. Me frappant très fort, je reçus un coup violent sur mon sein gauche et celui-ci commença à saigner et à me faire très mal. Malgré ce sang qui avait taché ma tenue kaki, ma mère ne me lâcha pas prise. Je hurlais et lui demandais pardon mais ouf ! Je criais de sorte que quelqu’un pût venir à mon secours mais personne n’était venu.