CHAPITRE 2
– Laisse-le on va partir ou bien c’est quoi la chose ? répartit ma copine.
L’inconnu fut vexé par cette phrase et voulait se rapprocher davantage de nous les deux. Que voulait-il nous faire ? Nous frapper ? Nous arracher nos cheveux ? Ou plutôt nous donner des coups de machette sur la tête ?
Et puisque Dieu est toujours vivant et n’abandonnait jamais ceux qui l’imploraient, mon père apparut avec sa grosse voiture. Il la gara puis ma copine et moi courûmes et le montâmes à bord. Pendant que mon père redémarrait le véhicule, j’ai jeté un coup d’œil par la vitre et aperçus le jeune homme debout en train de secouer incessamment la tête en guise de regret.
« Merci Seigneur » me dis-je tout bas.
Mais d’où venait-il en réalité ? Pourquoi parmi toutes ces jeunes lycéennes qui passaient dans la rue, c’était plutôt moi la pauvre que cet imbécile voulait faire du mal ? Pourquoi étaient-ce mes cheveux qu’il préférait arracher et non mes sourcils ? Et que lui ferais-je la prochaine fois qu’il osera s’afficher sur mon trajet ? Crier au secours ? Le fuir ? Et que voulait-il au juste de moi ?
Un tas de questions me tourmentaient l’esprit lorsque tout à coup, nous atteignîmes le seuil de la maison de Vanessa. Sans plus attendre, Vanessa descendit du véhicule et nous fit au revoir d’un signe de la main.
Papa redémarra encore le véhicule et nous reprîmes le chemin de notre maison. Quelques minutes plus tôt, nous arrivâmes à la maison. Je descendis du véhicule que papa avait stationné dans la cour, sur les pavés triangulaires d’où poussaient quelques mauvaises herbes récalcitrantes.
Après avoir traversé la cour et la véranda, je montai enfin les marches des escaliers. Je me dirigeai vers maman pour lui dire "bonsoir", cette salutation qui nous a toujours été soumise du retour de l’école. C’est alors que je fus soudainement stoppée par une parole venant de mon père.
– Arrête-toi là, m’ordonna-t-il d’une voix tonitruante.
Je n’avançai plus aucun pas.
– Avec qui étais-tu en train de bavarder dans la rue ? continua-t-il, impassible.
– Personne, papa, lui répondis-je pâle et triste.
– Veux-tu que je te bastonne d’abord, c’est ça ?
– Papa, je vous jure que je ne le connais même pas.
– Tu ne le connais pas ?
– Non papa, je suis sérieuse.
– Tu ne le connais pas et pourtant tu étais debout avec lui en train de bavarder tout ce temps ?
– Papa, il me posait des questions auxquelles je ne savais quoi répondre.
– Et pourquoi tu ne pouvais pas le surpasser ?
À cette interrogation, je me tus.
– La prochaine fois que je te verrai encore debout avec n’importe quel homme en train de parler, tu verras ce que je te ferai, imbécile. Allez, dégage de ma vue.
– Merci, papa ! exclamai-je en détalant.
Je bougeai des lieux et me dirigeai vers maman qui nous écoutait attentivement assise sur le divan.
En fait, dans ma famille, très souvent quand papa parlait, c’est le silence absolu. Plus personne ne pipe mot lorsqu’il parle. Je me demandais si c’était uniquement dans ma famille que régnait cette loi. Mais, j’ai finalement compris que dans d’autres familles, pendant que papa parlait ou grondait sur les enfants, la maman leur venait au secours même quand ces derniers étaient en erreur. Or, cet état de chose fait parfois que les enfants deviennent non seulement irrespectueux envers les adultes mais aussi des enfants récalcitrants dans la société.
Bref, dans ma famille, tout était planifié et lorsque maman ou papa mettait en vigueur sa loi, aucun d’entre eux ne s’y interposait.
Pour mes parents, l’éducation d’un enfant ne dépendait pas uniquement d’un seul parent. Et d’ailleurs, papa ne passait pas assez de temps avec nous. Il passait le plus clair de son temps au service qu’à la maison.
Mes parents étaient très rigoureux et à défaut de cette rigueur, mon unique frère a choisi d’aller s’installer définitivement au Togo, un des pays frontaliers du Bénin.
J’entends souvent dire que les benjamins étaient les plus choyés, les plus chouchoutés et les plus gâtés. Chez moi, dans ma famille, c’était pratiquement le contraire.
***
Il sonnait quatorze heures trente minutes. Je m’étais déjà apprêtée pour me rendre à l’école. Sur le point de vouloir quitter le salon, maman m’interpella et me dit avec gentillesse :
– Ma fille, j’entendais ton père te reprocher quelque chose cette après-midi. J’aimerais que tu l’obéisses comme d’habitude. Regarde-toi, tu n’as que seize ans. Il faut fuir les hommes et aussi la mauvaise compagnie. Prends ta sœur pour exemple. Puisqu’elle s’en fiche des hommes, as-tu vu combien elle brille à l’école ? C’est parce qu’elle n’a pas mis en tête les histoires amoureuses. Tu ferais mieux de l’imiter, elle pourrait te servir de modèle. Arrivée à l’école, va directement dans ta salle de classe. À la fin des cours, reprends immédiatement le chemin de la maison. Si tu ne m’écoutes pas et que tu vas faire le contraire, je ne serai pas d’accord avec toi.
J’acquiesçai de la tête et répondis calmement « merci maman ».
– Vas-y et sache que si tu y obéis, tu auras ma bénédiction.
– Merci maman, dis-je de plus belle avant de sortir de la pièce.
Ce m’était incroyable. Ce jour me parut très étrange car, c’était la première fois que je voyais ma mère me conseiller. C’était vraiment pour moi une grande joie. Même en chemin, j’étais très heureuse en me rappelant de ses beaux conseils. Heureuse parce qu’au moins, j’avais senti que j’avais une mère dans ma vie.
Quelques minutes de marches, j’arrivai sur le portail de mon école. Un portail au chevet duquel était écrit : CEG MALANHOUI. C’était le nom de mon école.
À mon arrivée, j’aperçus à ma grande stupéfaction, le même jeune homme qui m’avait abordée à midi sur le chemin du retour de la maison. Cette fois, il était dans son uniforme kaki. Malgré la tenue qu’il avait portée, je le reconnus.
« Mais, pour quoi m’en veut-il au juste ? » me demandai-je à en couler des larmes.
– Que me voulez-vous encore ? m’enquis-je, déprimée.
– Tu le sais bien ! répondit-il au bout d’un interminable silence.
– Non, je n’en sais rien ! Et vous savez, à cause de vous, j’ai été sévèrement battue à la maison cette aprème par mes parents et si vous allez continuer, je vous jure que je vous signalerai aux membres de l’administration de l’école et c’est d’ailleurs ce que je compte faire.
– Ne sois pas stupide, ma chère. Je ne suis pas là pour t’effrayer. Et surtout, je m’excuse d’avoir été la cause de de ta correction à la maison. Excuse-moi beaucoup s’il te plaît. Au fait, si tu me vois devant ta classe maintenant et à pareille heure, c’est pour te dire quelque chose qui me tient beaucoup le cœur.
– Pour me dire quoi ?
– Arrête d’être bizarre avec moi, réclama-t-il.
– Vous savez, moi j’ai cours et je dois me rendre en classe.
– Non, n’y va pas maintenant.
– Et pourquoi ?
Le jeune élève devint triste et s’emmura dans un silence total. Ce fut lorsque je voulus le surpasser qu’il me fixa d’un regard peint de tristesse.
– Ne t’en va pas. Je voudrais t’exprimer mes sentiments les plus profonds qui me font souffrir jour et nuit depuis que je t’ai vue pour la première fois.
Je fus frappée de stupéfaction car, c’était ma première fois où j’entendais quelqu’un me parler de sentiments. Étant bleue dans cette aventure, je lui demandai de quel genre de sentiment parlait-il.
– C’est pour te dire jusqu’à quel point je t’aime et combien j’ai mal à chaque fois que je te vois passer sans te l’en témoigner.
Je fus une fois encore surprise car, c’était aussi pour la première fois que j’entendais quelqu’un me parler de cette expression de « je t’aime ».
Aussitôt, me parvinrent à l’esprit les conseils que m’avait légués ma mère tout à l’heure quand je venais à l’école ! Ensuite, de ses menaces. Je me souvins aussi de mon père. Je me rappelai de sa manière de frapper et je murmurai à mon interlocuteur, déçue :
– Mon cher, je suis encore gamine. Je suis très jeune et vous savez, ces histoires de " je t’aime " me font beaucoup peur parce que mes parents sont très sévères et très rigoureux.
– N’aie pas peur s’il te plaît. Au fait, Grâce, sans te mentir, tu es celle que désire mon cœur.
Je fus frappée par une frayeur. Je me demandai comment ce diable avait pu faire pour connaître mon prénom. Ahurie, je lui demandai respectueusement celui qui lui aurait dit mon prénom.
– Quand on aime quelqu’un, on fait tout pour connaître tout de lui. S’il te plaît, ne me déçois pas et ne me rejette pas non plus, je t’en prie.
Je baissai la tête et ne sus quoi répondre. J’eus l’envie de lui dire « oui » et attendre les conséquences parce qu’il avait un beau visage et une belle taille. Il était aussi tout mignon. Sa corpulence rimait bien à sa beauté. Il était extrêmement beau et très jovial.
– Et comment on t’appelle, toi ? lui demandai-je après quelques secondes de silence.