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Chapitre 2

Je jette un coup d'œil à ma sœur, perplexe. Toute cette histoire pue. C'est beaucoup trop louche. Je comprends en un regard qu'elle non plus n'est pas dupe. Je me retourne à nouveau vers nos parents, suspicieux au possible.

— Une... bonne nouvelle ?

Tous les deux se sourient, un air niais scotché au visage. Non pas qu'ils tirent particulièrement la tronche en temps normal mais...

— Vous avez démissionné c'est ça ?

Sam dans toute sa splendeur. Elle au moins ne s'encombre pas de mille et un chemins et ne cherche pas à adoucir les angles. Elle a quelque chose à dire, elle le dit.

— Sam. Ne commence pas.

Mon père la toise sévèrement, plus pour la forme qu'autre chose. Ils ont fini par s'habituer, désespérés de la voir un jour rentrer dans les rangs. Je sais qu'ils la voudraient un peu plus comme moi, mais il ne faut pas rêver non plus. Sam et moi c'est un peu comme le chaud et le froid, le soleil et la lune, le Coca et le Pepsi. Aux antipodes l'un de l'autre. Mais Sam et moi c'est aussi le pile et le face d'une même pièce, indissociables l'un de l'autre.

— Quoi ? Vous avez dit ''une excellente nouvelle pour notre famille'' et bla, bla, bla...

Elle les regarde tour à tour avant de lever les yeux au ciel, pendant que de mon côté je reste silencieux.

— D'accord, alors sauf si c'est pour nous annoncer que papi Phil a enfin fini par rejoindre la tombe, je ne vois pas ce qu'on fait là.

— Sam !

Cette fois-ci c'est ma mère qui a parlé, tapant brusquement du plat de la main contre la table. Cette fausse mascarade pourrait me faire rire si j'étais un peu plus comme ma sœur. Mais ce serait terriblement irrespectueux, surtout pour mon père qui semble réellement peiné de ses paroles. Je passe ma main sous la table pour venir la poser sur la cuisse de cette dernière, lui intimant silencieusement de se taire. Ils ont manifestement quelque chose à nous annoncer et ce n'est pas le moment de ramener d'éternels débats sur la table.

— On vous écoute.

Je souris doucement à mes parents, bien que toujours perplexe. Sam souffle bruyamment à côté de moi, mais finit par poser sa main sur la mienne et ne pas répliquer, sa curiosité l'emportant.

— Bien.

Mon père retrouve doucement le sourire tandis qu'il échange un ultime regard avec ma mère. Oh pitié ne me dites pas qu'elle est enceinte. J'ai dix-neuf ans demain, Sam en a dix-sept, un petit frère ou une petite sœur n'aurait clairement pas sa place dans cette famille. Je ne veux personne d'autre que Sam.

— Alors voilà...

Ma mère se lance, prenant tout son temps. Je sens ma sœur sur le point d'intervenir une énième fois, supportant autant que moi ce mystère ambiant, c'est-à-dire pas du tout. De mon côté je prends sur moi. Jusqu'à qu'enfin la bombe soit lâchée.

— Votre frère revient en France. Il a accepté notre offre de travailler avec nous, en tant que chargé de communication pour l'international. Et bien entendu il va venir s'installer ici. Ce qui veut dire que nous allons enfin reformer notre fam...

Ma mère s'arrête subitement de parler, le bruit de la chaise tombant au sol l'interrompant. Sam vient de se lever brusquement et de partir, sans plus de cérémonie. Franchement je l'aurais bien suivi, respectueux ou pas. Je suis à des années lumières des bonnes manières actuellement. Seulement mon corps entier est figé, je me demande même si je continue de respirer. Mes oreilles bourdonnent, mes mains tremblent. Est-ce que j'ai vraiment entendu ce que je crois ?

— Raf...

Ma mère pose sa main sur la mienne et ce geste me ramène brusquement à la réalité. Je la retire d'un coup sec avant de moi aussi me lever, me reconnaissant à peine.

— Je n'ai pas de frère.

Ma voix est froide, bien que légèrement chevrotante. C'est bien la première fois que je me dresse aussi ostensiblement contre mes parents, mais c'est juste trop. Ces sourires, ces étoiles dans les yeux, ce bonheur écœurant, tout est trop. Hypocrite. Injustifié. Ils me donnent la gerbe, toute cette situation me rend malade.

Une bonne nouvelle ? Je retire ce que j'ai dit, je préférerais mille fois que ma mère soit enceinte. Tout sauf ça. Mon corps semble comme enclenché sur le mode pilotage automatique alors que je prends à peine conscience que je m'éloigne de la table pour rejoindre l'escalier.

Tout est silencieux, beaucoup beaucoup trop silencieux. Ou alors c'est juste mes pensées qui sont silencieuses, ne trouvant aucun mot à poser sur la situation. Mais quelle situation au juste ? Est-ce que tout ça vient réellement de se passer ou est-ce que je me retrouve une énième fois piégé dans un de mes rêves tordus ?

Sans prendre la peine de prévenir je pousse la porte de la chambre de ma sœur. Je la trouve exactement comme je m'y attendais, étalée sur son lit en position fœtale, les écouteurs vissés aux oreilles. Sans perdre une seconde je la rejoins et me positionne dans son dos, la serrant contre mon torse. Mon nez se retrouve dans ses cheveux et je prends une grande inspiration, légèrement tremblant. Alors doucement la situation prend de l'ampleur en moi à mesure que je prends conscience que non, je ne rêve pas.

Malo va revenir.

Celui que je considérais comme mon héros, un véritable modèle vivant, va revenir. Comment je vais réagir ? Est-ce que je veux le revoir ? Est-ce que je vais le reconnaître ? Est-ce que lui va me reconnaître ? Gamin j'aurais pu tout faire pour lui. Je faisais d'ailleurs tout en fonction de lui. J'étais le parfait petit stéréotype du petit frère trop collant, il était sans doute là le problème.

Je n'avais qu'un an quand il est arrivé, alors autant dire que je ne me souviens pas de comment c'était avant lui. Je savais déjà à cet âge qu'il était possible d'avoir un petit frère ou une petite sœur, alors pour moi mes parents avaient simplement eu un grand frère, fait les choses à l'envers. Un peu comme si Malo avait directement eu cinq ans. Mais du jour au lendemain il est arrivé, et du jour au lendemain je n'ai plus voulu le lâcher. Je le regardais avec des yeux d'admiration, des yeux d'enfant. Et ça a duré comme ça sept ans. À vrai dire il ne s'en est pas plein une seule fois, je pensais même qu'il était fier de son petit frère, fier de moi. Quand Sam est arrivée, je l'ai considérée immédiatement comme une ennemie, un grain de poussière venant tout gâcher. Ce n'était plus Malo et Rafael contre le reste du monde. Alors ouais, j'ai été un grand frère minable, j'ai essayé un maximum de la repousser, de la mettre de côté.

Mais pour quoi au final ? Parce que Malo s'est bien joué de moi, ce que je prenais pour de l'amour fraternel n'était que mascarade, comme bien souvent dans cette famille. Aussi subitement qu'il est arrivé, il est reparti. Je n'avais que huit ans à l'époque mais mes parents ont quand même tenu à m'expliquer la situation, et j'ai compris.

La véritable mère de Malo était américaine, mais venue s'installer en France pendant sa grossesse. Elle n'avait aucune famille, aucune attache. N'avait même jamais révélé qui était le père de Malo. Nouveau pays, nouvelle vie. Un plan sans doute sans faille, s'il n'y avait pas eu cette nuit-là. Cette voiture. Ce pont.

De ce que j'en savais, Malo était présent cette nuit, assis à l'arrière. Il a tout vécu. Il s'est retrouvé enfermé dans la voiture coulant dans l'eau glacée, au même titre que sa mère. Il n'a jamais rien dit à ce sujet, et je me demande même s'il s'en souvient. Je ne sais que les grandes lignes de cette histoire sordide, mais une personne a plongé pour tenter de sauver les occupants de la voiture. Sa mère a immédiatement tenu à ce que Malo soit le premier secouru. Ce qui a sauvé la vie de son enfant et condamné la sienne.

Mes parents ont comme tout le monde entendu parler de cette histoire, mais bien sûr mes parents n'ont jamais fait partie de la norme, ils n'ont jamais rien fait comme tout le monde. Alors ils ont recueilli cet enfant, un peu comme une famille d'accueil. Plus les mois passaient, puis les années, et plus Malo avait le statut d'un véritable membre de cette famille. Seulement mes parents n'ont jamais pris la décision de l'adopter officiellement, et tout ça pour la stupide raison qu'ils voulaient que Malo soit suffisamment âgé pour prendre conscience de l'ampleur de ce que cela signifiait et impliquait. Alors aux yeux de la loi ils n'étaient ni plus ni moins que ses tuteurs légaux.

Et là tout le monde le voit arriver à des kilomètres, mais bizarrement pas nous à l'époque. À vrai dire on avait tous fini par oublier cette histoire. Nous formions une famille de cinq, tout simplement. Mais Malo avait bien entendu un père, biologiquement parlant. Celui-ci a fini par découvrir le pot aux roses. Malo était encore jeune, et surtout sans aucune attache familiale réelle en France, alors que toute sa famille du côté paternelle l'attendait aux États-Unis. La balance a bien vite fait de pencher en leur faveur, et ainsi il est parti, comme ça, m'abandonnant complètement.

Mais j'ai compris. On m'a expliqué tout dans les moindres détails, et après tout le pauvre n'y était pour rien. Il n'a jamais rien demandé de tout ce cirque. À aucun moment mon amour pour lui n'a diminué à cause de ces évènements.

Alors pourquoi autant de réticence à le revoir après ces onze longues années ? Pourquoi autant de véhémence ?

Parce que lui n'en avait rien à faire. Il m'avait promis, les yeux dans les yeux, de ne jamais m'oublier. De toujours être là pour moi. Que je resterai à jamais son petit frère. Foutaises. Je n'ai tout bonnement plus jamais eu de nouvelles de lui. Pas une seule fois. J'ai bien été tenté pendant un moment de me dire qu'il ne pouvait peut-être pas, pour x raisons. Mais non. Il a continué de donner des nouvelles à mes parents. Rien qu'à eux. Il n'a jamais voulu reprendre contact avec moi, jamais demandé de mes nouvelles, jamais fait allusion à moi.

Il avait décidé de m'oublier. Tout comme Sam.

Suite à ça, je me suis considérablement renfermé sur moi. Moi qui n'avais jamais été d'un naturel timide, étant au contraire un réel bout en train, c'est limite devenu maladif du jour au lendemain. Je n'ai plus jamais eu confiance en moi, rougissant et bégayant pour un rien. Restant poli en toute circonstance, ne voulant surtout pas attirer l'attention sur moi.

La seule chose qui m'a permis de ne pas sombrer dans ma dépression, c'est Sam. Je ne suis même pas sûr que mes parents se soient rendus compte de mon état, étant si peu présents. Mais Sam, malgré son jeune âge, a tout de suite compris. J'avais été un grand frère horrible pour elle, et pourtant elle a été là. Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans elle. Alors je me suis raccroché à elle, aussi fort que je l'ai pu. Personne n'avait le droit de mal lui parler, de lui manquer de respect ou de lui faire de la peine. Les seuls moments qui me faisaient sortir de ma léthargie concernaient tous Sam. Elle a progressivement pris la place de Malo puis tellement plus. Elle l'a presque immédiatement haï quand elle a compris qu'il se fichait de nous. Elle l'a rayé de sa vie du haut de ses six ans.

J'ai fait de même.

Onze ans. Pas un seul mot. Pas pour nous en tout cas. Et là quoi, il se repointe, travail dans la fichue boîte de nos parents et revient s'installer ? Reprendre sa chambre ? Reprendre sa vie ?

La blague de l'année.

Je ne laisserai pas un inconnu venir chez nous, bousculer notre vie. Elle n'a rien d'idyllique, mais elle est ce qu'elle est. Personne n'a le droit de changer cet ordre établi. Surtout pas lui.

— Ne me laisse pas Raf...

Ma sœur vient de chuchoter ces quelques mots, le regard toujours dans le vide perdu devant elle. Mon cœur se serre qu'elle puisse imaginer une telle chose. Jamais rien ni personne ne pourra m'éloigner d'elle. Je lui prends un écouteur et vient le positionner sur mon oreille, resserrant mon emprise autour d'elle.

— Jamais.

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