chapitre 4
Chapitre 4
La décision était prise. Elias ne pouvait plus supporter ce silence entre eux, cette tension qui le rongeait depuis trop de temps. La discussion qu’ils avaient eue, les mots échangés, les non-dits, tout ça avait trop pesé. Le regard de Sophia, froid et distant, la façon dont elle avait justifié ses choix… C’était la goutte d’eau. C’était suffisant. Il ne voulait plus être une ombre dans sa vie, un sous-fifre invisible qui attendait une reconnaissance qu’il ne recevrait jamais.
Il avait pris son manteau, l’avait enfilé avec une lenteur calculée. Il savait qu’elle ne viendrait pas le chercher, pas maintenant. Il ne lui laisserait pas l’opportunité de le retenir avec des promesses vides. Il savait que ce départ serait définitif, qu’il n’y aurait pas de retour en arrière. Parce qu’il en avait assez de vivre dans l’ombre de ses choix, de ses ambitions. Il en avait assez de toujours être ce qu’elle voulait qu’il soit, et jamais ce qu’il était. Son mari secret. Son assistant fidèle. Mais jamais l’homme qu’elle aurait dû aimer.
Il l’avait observée un instant, elle était là, plongée dans des papiers comme d’habitude. Ses yeux ne se levaient pas, ne cherchaient même pas à capter son regard. Il n’était qu’un objet parmi d’autres sur son bureau. Et c’était ça, le problème. Il était invisible. Même s’il avait été là depuis le début, derrière chaque victoire, chaque décision prise, il n’avait jamais compté pour elle.
Il avait posé l’alliance sur le bureau. La petite bague en or blanc qui, à un moment, avait symbolisé quelque chose de plus fort qu’un simple contrat. Un engagement, une promesse. Mais ce n’était plus qu’un objet sans valeur. Il l’avait laissée là, là où elle ne pourrait pas la manquer. Comme pour lui rappeler que, même dans leur silence, il n’avait jamais été rien d’autre qu’un pion.
Il avait pris une dernière inspiration, une bouffée d’air chargé de cette amertume qui lui nouait la gorge. « Tu es libre, Sophia. Tu n’as plus besoin de moi. » Il avait dit cela d’une voix calme, mais il savait qu’elle sentait la colère. Elle l’entendait dans le ton. Mais elle ne réagissait pas. Il s’était attendu à ça, à son indifférence. Elle ne lèverait même pas les yeux de ses papiers.
C’était ça qui le tuait. Le fait qu’il ait été là, prêt à sacrifier tout pour elle, alors qu’elle ne l’avait jamais vu. Il avait tout donné, tout sacrifié. Sa carrière, sa vie personnelle. Et pour quoi ? Pour qu’elle l’ignore, pour qu’elle se ferme à lui, pour qu’elle lui inflige ce mariage avec un autre homme. Il n’était qu’un pion dans son jeu.
Il avait attendu quelques secondes, mais la pièce restait calme, vide de tout autre bruit que celui du crayon qui grattait le papier. Alors il s’était dirigé vers la porte. Ses pas étaient lourds, chaque mouvement plus décidé que le précédent. Quand il avait posé sa main sur la poignée, il s’était dit que c’était la dernière fois. Il n’y avait plus de retour. Ce n’était pas seulement un départ physique, c’était aussi un départ du cœur. Une rupture qui ne se réparerait pas.
Il s'était arrêté une dernière fois dans l'encadrement de la porte. Elle n'avait pas bougé, elle n’avait même pas levé les yeux. Et cette indifférence lui faisait mal. Mais il n’avait pas l’énergie de lutter contre. Plus maintenant. Il avait pris sa décision, et il s’y tiendrait. Il n’avait plus besoin d’être dans l’ombre de ses choix.
« Tu vas te marier avec lui, tu vas l’épouser, et tu vas continuer à jouer à la grande patronne. Mais moi, je n’ai plus de place dans ton empire. »
Il avait tourné la poignée, laissé la porte se fermer derrière lui, et il était parti.
Sophia, qui était restée figée devant ses papiers, n’avait pas bougé d’un centimètre. Elle avait attendu un moment, espérant une réaction de sa part, un geste qui trahirait ce qu’il pensait vraiment, mais elle n’avait rien vu, rien entendu. Alors, comme un automatisme, elle avait levé les yeux.
Le regard qui se posa sur l’alliance, posé sur le bureau comme une évidence, une marque de son absence, lui fit serrer la mâchoire. C’était comme un coup de poignard, aussi silencieux qu’il était cruel. Elle savait ce que cela signifiait. Elias venait de partir. Il ne reviendrait pas. Elle avait toujours eu ce contrôle sur lui, ce pouvoir, cette capacité à le manipuler dans l’ombre, mais là, tout était différent. Il avait enfin pris son indépendance. Il avait enfin fait ce qu’elle n’avait pas su lui offrir : la liberté.
Elle se leva brusquement, attrapa l’alliance et la serra dans sa main. Une douleur sourde, profonde, traversa sa poitrine. Elle aurait pu courir après lui. Elle aurait pu lui demander de revenir, de tout recommencer, mais elle savait que ce n’était plus possible. Pas maintenant. Pas après tout ce qu’elle avait construit, après les sacrifices qu’elle avait faits pour maintenir son empire intact. Elle ne pouvait pas revenir en arrière. Ce n'était pas le moment.
Mais, dans le fond, un autre sentiment se faisait jour, plus intime, plus secret. La douleur de cette perte qu’elle refusait de reconnaître, la honte de l’avoir laissée s’échapper, de ne pas avoir vu les fissures. Et pourtant, elle n’en laissait rien paraître. Pas un mot. Pas une larme. Juste une main serrée autour de l’alliance, et un vide qui la rongeait de l’intérieur.
Elle avait regardé la porte fermée, comme si elle pouvait encore le voir, comme si tout n’était qu’un mauvais rêve. Mais la réalité était là, implacable. Elias n’était plus là. Et elle était seule.
