CHAPITRE 08
Le capitaine Moutonet était la pire personne sur terre. Le jeune homme ne cessait de se mettre à la hauteur d'Isobel pour lui parler de choses romantiques comme la danse, les fleurs ou le vent dans ses cheveux. Des choses qui n'auraient pas dû intéresser Isobel en temps normal mais elle était transportée par ses belles paroles. Bien sûr, Yvan ouvrait la marche et ne faisait rien. Peut-être lui aussi parlait-il de choses romantiques avec Père ? Elle remonta un peu le cortège jusqu'à se poster derrière eux.
"Tu n'as pas dit que tu aurais la tête de ce sale bâtard ? Il doit faire dans ses chausses à l'idée que tu reviennes à Ravenwell."
Pas vraiment, en fait. La voilà rassurée ! Elle sourit doucement et se laissa rattraper par Alianora, qui montait de côté et fermait donc la marche. Elle avait tenu à mettre sa belle robe blanche ponctuée de dentelle noire, celle avec le joli nœud juste en dessous de sa poitrine généreuse. Elle s'était faite belle pour arriver à la capitale. Charlie aussi, mais elle montait tout de même dans le bon sens !
"Tu as vu les amoureux ?"
Charlie leva les yeux au ciel et soupira sans se cacher. Est-ce qu'elles étaient vraiment obligées de parler de cela ?
"Comment les manquer ?"
Alianora sembla enfin remarquer que la situation ne plaisait pas vraiment à Charlie et se redressa sur son cheval.
"Oh, ne t'en fais pas, ça finira bien par t'arriver, tu as encore le temps !"
Horrifiée qu'elle puisse croire à une jalousie, Charlie manqua d'arrêter son cheval brusquement sous le choc. Elle répondit tout de suite.
"Je ne voudrais pas être à sa place ! Surtout pas ! Ça m'énerve juste qu'elle change du tout au tout pour plaire à un homme !"
Alianora regarda un instant Isobel qui venait de placer une fleur dans ses cheveux après que De Pitray avait cueilli sur le chemin.
"Eh bien, au moins elle cherche à séduire un homme. Ma tante vient de s'engager dans une relation avec une femme, ma famille en est encore agitée. Elle a été déshéritée, naturellement."
Parbleu, elle n'y avait jamais pensé ! Une relation entre deux femmes ? Sans qu'elle ne sut pourquoi, ce genre de choses était tabou dans la société Noxi, alors même que le pouvoir en place était composé d'un couple d'hommes. Il ne lui avait pas semblé que personne avait pensé à renier l'Empereur, son mari ou même Yvan pour leurs tendance homosexuelles. Elle baissa les yeux et se mordit la lèvre. Et si, plus tard, elle aimait les femmes, Père serait-il en colère ? Alianora serait-elle dégoûtée ?
Elle secoua la tête et choisit de ne plus y penser quand ils passèrent l'arche des Immortels. La capitale se dessinait au loin et elle ne put s'empêcher de sourire. Ils y étaient.
Prochain chapitre, dimanche House of Cards.
CHARLIE
Les portes de la ville était terribles et monumentales devant eux. La jeune femme se redressa, digne, devant ces juges multi-millénaires. On disait qu'elles ne laissaient pas passer tout le monde et que si on n'était pas jugé assez digne, elles pouvaient nous réduire en cendres. Bien sûr, personne ne l'avait jamais vu mais les légendes urbaines étaient assez ancrées dans l'imaginaire collectif pour que les portes reçoivent des offrandes régulièrement.
La première fois qu'elle avait passé ces énormes battants en pierre, elle était endormie. Monsieur Branston ne l'avait pas réveillée pour qu'elle admire la vue et elle ne s'en était pas plainte. Quand elle était revenue de nouveau à la capitale, à l'été dernier, ils étaient passés par l'Arche Sud, moins engorgée à cause des festivités prévues pour l'anniversaire d'Yvan. Les portes au sud étaient faites d'un bois solide et enchanté, gravé de nombreux tournesols et autres fleurs estivales et joyeuses.
Cette fois, la route vers l'Arche Nord était plutôt dégagée et ils y étaient parvenus sans encombre. Ces battants là étaient bien plus froids et terrifiants que leurs cousins du Sud. C'était assez logique, quand on y pensait. Du Nord venaient les habitants du Duché de Condé, terre glaciale en hiver et fraîche en été où les récoltes étaient rudes et parfois franchement maigres alors que du Sud venaient les Hocheni, sujets du duché le plus grand et le plus ensoleillé de l'Empire, un peuple de chaleureux boute-en-trains. Des sauvages, comme disait Père.
Le changement était brut et, lorsqu'ils passèrent les grandes portes en pierre solide, elle s'arrêta de respirer un instant. Elle ne craignait rien, elle le savait, elle méritait sa place ici. Tout simplement parce qu'elle était la fille d'un Duc mais aussi parce qu'elle avait participé à sauver la peau de l'Empereur. Après un tel bonheur, on ne lui refusait plus rien, elle le savait. Elle essayait toutefois ne de pas en abuser.
Yvan se redressa sur sa jument et regarda autour de lui avec un œil plein de jugement. Cette sévérité n'était qu'une façade, sans doute était-il heureux de revenir, mais Charlie décida de faire de même. Elle souhaitait être digne, au moins aux yeux des basses gens.Il n'y avait rien de bien sorcier à accomplir, elle l'avait bine compris: il suffisait de se tenir droit, de donner des ordres et d'user de mots désuets. Un jeu d'enfant.
La comédie héroïque d'Yvan ne passa pas inaperçue et, bientôt, les gens remarquèrent leur présence. Boulangers, bouchers, forgerons et lavandières se précipitèrent pour admirer le spectacle, parfois quelque enfant juché sur leurs épaules ou portés à bout de bras. Isobel ne s'en aperçut même pas, occupée à converser avec le capitaine Moutonet mais Alianora fit quelques signes à la foule. En entendant les exclamations de joie de leur public, Charlie se rendit compte combien la future princesse était aimée.
Cette histoire de mariage n'était pas complètement une tragédie pour Alianora. Lucius était gentil et elle ferait une impératrice appréciée à juste titre. Bien sûr, cela aurait été tellement mieux si elle avait pu l'aimer ...
Un homme attifé d'une longue moustache cirée s'approcha de Charlie et, si elle eut peur au début, elle aperçut l'admiration dans ses yeux. Aussi tirait-elle sur la bride de son cheval pour qu'il s'arrête. L'homme la salua bien bas et elle crût qu'il allait s'affaler dans la boue mais ce ne fut pas le cas. Il portait une chemise blanche rapiécée et un manteau troué. C'est comme ça qu'elle le reconnut.
"Monsieur Branston ?"
Il hocha la tête et elle déglutit. Il avait considérablement maigri et semblait plus pauvre que quand elle l'avait vu pour la dernière fois, lors de son altercation face à Clair. L'hybride lui offrit un sourire partiellement dentu et elle lui rendit.
"Je sais que j'devrais pas parler à une grande dame de la Cour comme vous mais bah, je me dis que j'ai rien à perdre, hein. Quand vous verrez Siobhan, dites lui de passer à la maison, dites lui que j'ai changé."
Et de toutes ses forces, il embrassa la main gantée de Charlie. Horrifiée, la jeune Charlie comprit que personne n'avait parlé à monsieur Branston après l'attaque du manoir. Personne ne lui avait dit que sa femme était disparue et sans doute morte, malgré toutes ses bonnes qualités. Personne n'avait sans doute pensé qu'une servante puisse avoir de la famille qui s'inquiéterait pour elle. Ses yeux se firent humides mais c'est alors que l'appel d'Yvan parvint à ses oreilles.
"Charlie ! Viens là !"
Elle regarda en arrière. Ses parents l'attendaient, barrant la route de leurs chevaux. Yvan n'avait pas l'air de mauvaise humeur, mais il semblait pressé. Elle déglutit, se tournant de nouveau vers Branston et lui arracha sa main, laissant par mégarde son gant entre les doigts du vendeur d'esclaves.
"Je suis désolée.", fut tout ce qu'elle parvint à dire avant de s'en aller, rejoignant ses parents au petit trot. Le prince Yvan lui sourit doucement et elle masqua ses yeux embués de larmes sous une mèche de cheveux gris.
Le reste du trajet, elle se concentra sur les cheveux noirs tressés d'Isobel. Elle avait perdu toute son impatience de revoir Lucius et il ne lui restait plus que l'anxiété. Et s'il l'avait oubliée ? Elle n'était pas si importante, après tout. Où étaient ses racines ? Même elle ne le savait pas. Elle n'était pas un fils de Duc depuis deux ans, on pouvait facilement ignorer son existence. Alors qu'elle voyait le château au loin, elle se demanda derrière quelle fenêtre en bois le danger les épiait puis elle se ravisa. De toutes, sans doute.
Ils traversèrent Grandage Place et bifurquèrent pour éviter les grandes portes qui étaient le lieu idéal pour un traquenard. Le chemin pour se rendre aux écuries était plus sinueux mais les chevaux le connaissaient bien. En un rien de temps, ils mirent pied à terre et Alianora s'étira gracieusement avant de rejoindre Charlie.
"Je ne veux plus remonter sur un cheval avant, au moins, dix ans."
Charlie en retrouva un peu le moral et elle sourit doucement à son amie. Alianora n'avait pas un seul cheveu de déplacé. Typique.
"Est-ce que votre ducal postérieur en a souffert, Madame ?"
La jeune Fell lui couvrit la bouche avant de lui intimer de ne pas parler de son postérieur. Ah ... c'était bon d'être de retour.