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CHAPITRE 07                   

"Tu ne ressemble pas à un assassin qualifié mais je suppose que tu venais voir comment se débrouillait ton petit copain. Eh bien comme tu peux le voir, il n'a plus toute sa tête."

Un bref regard sur le lit apprit à la jeune fille que l'humain sur lequel le Ser Condé se nourrissait avait été en effet décapité. Sa tête gisait sur un tapis à poils longs, bien loin du cadavre. Cette vision - elle n'avait jamais eu l'occasion de contempler un corps mort de si près, ils avaient toujours eu des calices à l'Orphelinat - et la voix tranchante comme la lame d'une dague du Duc lui donnèrent l'impression de suffoquer, même si elle ne respirait plus depuis déjà une bonne demi-heure. 

"Je ... je suis ... Clair m'a amené... héritère ... je suis désolée !"

Elle avait parlé rapidement, de peur qu'il ne puisse la réduire en cendres avec le seul pouvoir de son regard ou qu'il ne lui craque le cou comme celui d'un lapin. Le noble, quant à lui, sembla se détendre un peu et la lâcha. 

"Oh. Hm. Désolé. Je suis un peu à cran en ce moment avec toutes ces tentatives d'assassinat. Attends moi dans le salon, je te rejoindrais sous peu."

Incapable de parler, 4407 hocha plusieurs fois la tête et s'en aller dans ce qu'elle avait prit pour un bureau, en fermant la porte, peut-être un peu trop fort. Bon sang, elle ne commençait pas bien sa période d'essai !

Taesch Condé était une personne bien plus appréciable quand il n'essayait pas de vous trancher la tête avec ses dents. Il avait même l'air sympathique. Lavé de tout son sang, habillé convenablement jusqu'au col et vêtu de son sourire le plus agréable, il avait tout d'un noble de haut rang qui savait quelle était sa place et comment se comporter. Et à bien y réfléchir, c'était bien plus logique de trouver un homme doué de sens dans une si grande maison, plutôt qu'une bête sans cervelle. 

Elle avait attendu environ vingt minutes, le temps que le cadavre sans tête soit vidé de son sang et que le maître de maison soit lavé et habillé. Le majordome, Théodose, avait fait de nombreux allers retours et l'avait salué de la tête à chaque fois. Il lui avait apporté du sel et de l'eau glacée pour laver sa robe, ce qu'elle avait fait sans attendre qu'on lui en donne l'autorisation. Elle détestait avoir des tâches de sang sur ses habits. 

Quand, finalement, l'homme était apparu dans le cadre de la porte, accompagné du majordome qui portait un tapis, roulé, elle l'avait trouvé sublime. Ses longs cheveux noirs ressemblaient à de la soie qu'on aurait taillé en fin fils et qu'on aurait disposé sur sa tête de façon à en faire une œuvre d'art. Ils étaient plus lisses qu'elle ne l'aurait cru possible mais il lui semblait qu'ils flottaient un peu autour de lui, comme une sorte d'aura nébuleuse. C'était probablement une illusion d'optique.

En dehors de ces longs cheveux qui lui arrivaient jusqu'aux hanches, il avait un visage d'adolescent, pareil à celui du tableau, de grands yeux d'un vert ombré qui donnait la même impression que les tissus passés à la laverie trop de fois. Ses traits étaient fins et délicats, comme sur une peinture de l'ancien temps, et pour peu, il aurait presque ressemblé à un Elfe ou un Draggelin. Bien entendu, la jeune femme savait ces espèces disparues depuis longtemps, probablement bien avant la naissance de cet homme.  

Tout le reste de son corps était gracieux et bien proportionné. Plus petit que Charlie, mais très légèrement, il était fin et gracile. Chacun de ses mouvements donnait l'impression d'assister à une œuvre d'art mouvante. 

Il se rapprocha d'elle, alors qu'elle servait le thé, et il se permit de soulever le lourd manteau de ses cheveux, désormais noirs comme la nuit. Il y repéra néanmoins une mèche blanche, pure, naturelle et, lorsqu'il la sentit de près, il comprit. 

"Je ne lui avait demandé qu'une chose : un enfant aux cheveux noirs."

Il grogna et se rassit confortablement dans son siège, si rembourré qu'il rebondit un peu dessus. 

"Alors, raconte moi ton histoire."

Il venait de rajouter deux sucres dans son thé et remuait lentement le liquide brûlant avec une cuillère qui semblait être en argent. 4407 prit le temps de mordre dans la viennoiserie qu'elle avait prit et d'avaler convenablement avant de lui répondre. Une Dame devait prendre son temps après tout, on lui avait bien apprit cela. 

"J'ai grandi à l'Orphelinat des Cerisiers ... J'ai fêté mes quatorze hivers il y a un mois et Madame Wolstenholme a décidé de me vendre à un marchand d'esclaves pour rentrer dans ses frais, puisque j'étais trop vieille pour être adoptée. Elle m'a vendu à Monsieur Branston, qui est un homme très correct, et qui m'a mit en vente il y a quinze jours. Aujourd'hui, votre ... neveu, m'a acquit pour une pièce d'or et m'a ramené ici !"

Le Duc faillit recracher son thé mais tint bon, comme un gentleman. Il avala et la regarda, visiblement surpris. 

"Une pièce d'or ! Bonjour le déshonneur !"

Il laissa néanmoins un sourire flotter sur ses lèvres en prenant un scone, ce qui devait signifier son amusement pour la situation, certainement. Il mordit dans le petit biscuit et reprit, plus calmement, après qu'elle se soit permis de lui expliquer pourquoi elle avait été payée si peu cher. 

"Tu es maligne, jeune fille. J'ignore combien on t'a apprit sur la vie à la Cour à l'Orphelinat et pour être clair, je m'en fiche bien. J'ai besoin d'une héritière, fière et redoutable, une jeune femme avec laquelle il faudra compter, une femme qui saura, plus tard, perpétuer l'honneur des Condé et leurs valeurs. Est-ce que tu t'en sens capable, mademoiselle ?"

Elle frémit, alors que le regard d'animal du Duc se posait sur elle. Non, elle ne s'en sentait pas capable. Mais Clair l'avait menacé, lui avait parlé de la vendre à une maison close, lui avait fait peur. Alors elle hocha la tête, avala sa salive et affronta le regard de Taesch Condé. 

"Oui, je pense même que la tâche me sera aisée. J'ai été élevée pour être une Dame après tout."

L'homme sourit et la resservit en thé, abondamment. Était-il content d'elle ? 

"Quel est ton nom petite ?"

Elle secoua la tête et déglutit. 

"Je ... Personne ne m'en a donné."

Il fronça largement les sourcils, ce qui lui donnait l'air encore plus terrifiant, et lâcha un soupir qui ressemblait plus à un grondement qu'à un son qu'on entendrait dans la bouche d'un noble. 

"Très bien. Tu t'appelleras Charlette, désormais. Charlette Caprizia Condé. Mais tout le monde t'appellera Charlie, puisque tes deux prénoms sont hideux." 

                             

La fille était jolie, au moins. Ses cheveux étaient noirs, même si c n'était que par l'action d'une teinture, et elle avait au moins le mérite d'être bien élevée. Bien entendu, elle avait été élevée à l'Orphelinat des Cerisiers... Elle devait donc savoir faire la révérence, coudre et citer les nombres premiers sans hésiter. Elle ne connaissait sans doute pas grand chose de la construction politique du pays mais Taesch et ses précepteurs pourraient se charger de lui apprendre la vie dans les hautes sphères de la Cour. 

                      

Elle avait treize ans d'après ses dires. Il espérait une jeune fille un peu plus vieille pour faire de l'ombre à l'héritière du général Yvan mais si elle était assez bien formée, elle pourrait éclipser n'importe qui. Au moins ne partaient-ils pas de rien ... Était-ce le hasard si Clair lui avait ramené cette enfant ? 

                      

Ils avaient prévu de construire une histoire de toute pièce : la gamine était la fille bâtarde perdue de Taesch et il avait choisi de la recueillir pour en faire une véritable princesse, une femme de pouvoir. Bien entendu, les nobles grogneraient mais personne ne pourrait nier leur lien de sang, puisque la jeune fille lui ressemblerait. Et puisqu'elle serait, de toute évidence, de noble naissance. Taesch avait chargé Clair de lui trouver une fille au port gracieux, aux cheveux noirs et avec un minimum de manière. Et, à la grande surprise du Duc, le fils de Vénus avait réussi. 

                      

Bien sûr, l'assassin pensait que sa fille adoptive - prétendue biologique - aurait un prénom, aussi ne lui en avait-il pas cherché un. Si elle s'était appelée Ray ou autre prénom de gueux, il aurait dû lui changer mais il ne pensait tout simplement pas qu'elle n'avait pas de prénom. Du tout. Alors il lui avait donné les prénoms de ses tantes, les très belles et intelligentes Charlette et Caprizia Condé, les sœurs de son père, un peu au hasard. Il n'était pas doué pour nommer les choses, de toute façon : son chien s'appelait Maître Kim et sa plante verte, Princesse. 

                      

Charlie lui fit une révérence mesurée et parfaitement exécutée et il lui fit un petit signe alors qu'elle s'en allait. Il se retrouvait de nouveau seul. 

                      

En se levant, il ordonna au majordome de débarrasser rapidement la table. Théodose n'avait pas besoin qu'on lui demande et avait déjà refermé la boîte de petits sablés. Il se réfugia dans sa chambre et s'allongea sur son lit. Il était fatigué ces derniers temps. 

                      

Être Duc lui prenait toute son énergie et il se serait bien épargné le poids d'élever un enfant si la situation n'avait pas été pressante. S'il n'y avait pas eu cette toux persistante, qui lui faisait cracher du sang. Les vampires ne tombaient pas malades, ils ne mourraient pas de cause naturelle. Ils se faisaient tuer, ils se suicidaient ou ils étaient oubliés. Mais jamais personne n'avait vu un vampire mourir de vieillesse. Or, Taesch était très vieux. Avec huit millénaires à son actif, il avait vécu quatre fois plus que la moyenne des vampires. Et si cette toux était une maladie, un signe de sa mort imminente, il ne pouvait pas laisser sa famille sans héritier. 

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