CHAPITRE 01
Le bruit de la chaudière lui manquerait certainement. Elle ne savait pas encore où elle allait mais elle était sûre d'une chose : l'Orphelinat lui manquerait. Ses grandes tours aux escaliers en colimaçon qu'elle s'amusait à dévaler, son lit, coincé entre ceux des jumelles Tamera et Tia, les leçons de cuisine de Madame Peterson et tout le reste. Bientôt, elle allait s'en aller pour ne plus jamais revenir et elle n'avait même pas le droit d'emporter toutes ses possessions.
"Seulement de quoi remplir une petite valise", lui avait dit Madame Wolstenholme. Bon sang, comment une enfant pauvre avait-elle pu accumuler autant de trésors durant les treize ans qu'avaient duré sa vie ? Elle ne savait quoi prendre et décida d'abandonner pour aujourd'hui. Son départ n'était que dans trois jours, elle avait encore le temps de décider ... si seulement elle avait su où on la conduisait, elle aurait pu mieux choisir !
Elle décida d'aller explorer une dernière fois l'Orphelinat alors que tout le monde dormait encore. Le soleil venait de se coucher mais 4407 avait toujours été une lève-tôt. Alors elle quitta sa robe de nuit pour enfiler un pantalon et une chemise volés dans les écuries et des bretelles pour ajuster le tout. Enfonçant un béret sur sa tête pour cacher ses longues boucles blanches, elle quitta la chambre dortoir.
Bien entendu, une Dame digne de ce nom n'aurait jamais dû mettre de tels habits et n'aurait jamais dû aller se promener seule mais elle n'était pas une Dame, contrairement à ce qu'on essayait de faire croire à tous ceux qui avaient envisagé de l'adopter.
4407 avait été placée dès la naissance à l'Orphelinat des Cerisiers. Cet institut, bien loin de la capitale, était un endroit de choix pour les nobles qui souhaitaient adopter un héritier potentiel. L'adoption était à la mode à la capitale depuis une centaine d'années - autant dire une broutille pour des vampires - et l'Orphelinat était un lieu de premier ordre pour former des Dames et des Messieurs à ce qu'ils pourraient être plus tard. Ils étaient tenus à l'écart de la vie politique et on leur enseignait le moins possible les usages de la Cour puisque chaque grande famille en avait sa propre vision.
Mais, à présent qu'elle avait treize ans, elle était considérée comme une jeune adulte aux yeux de la loi et ne pouvait plus être adoptée. Elle était trop vieille et donc serait bientôt envoyée loin de l'Orphelinat, loin de cette petite société presque curiale. Ici aussi, il y avait des rangs. Ceux qui avaient eu droit à un prénom - dont les parents étaient connus donc - avaient un avantage évident mais 4407 jugeait ne pas se débrouiller trop mal. Elle avait de bonnes notes, savait faire la révérence et servir le thé à merveille, jouait du piano avec une aisance relative et avait même quelques notions en broderies.
Non vraiment, son parcours aurait pu être parfait si elle n'avait pas cette tendance à bégayer dès qu'elle devait parler à quelqu'un d'important et si elle avait su garder son attention sur quelque chose plus de cinq minutes. Elle avait aussi ce problème de devoir s'habiller en garçon tout le temps - c'était tellement plus confortable et pratique !
Dans trois jours, elle dirait adieu à cette grande maison dans laquelle elle avait grandi, à Tia et Tamera et même au cerisier qu'elle avait eu le droit de planter pour son onzième anniversaire. Il commençait à être beau et fort. Peut-être bien qu'elle aussi serait un jour belle et forte.
Elle se promenait dans les couloirs vides quand un bruit attira son attention. Une sorte de chuchotement suivi d'un grincement. Est-ce que l'un des pensionnaires de l'Orphelinat serait en train de se balader comme elle ? Elle fronça les sourcils et, sur la pointe de ses pieds nus, se dirigea vers la source du bruit. Plus elle avançait et plus elle se rendait compte que quelque chose n'allait pas. Le chuchotement provenait des quartiers du personnel.
4407 se glissa contre les murs jusqu'à arriver à la porte fermée des appartements de Mme Wolstenholme, la directrice. Elle ne s'y était jamais rendu mais elle avait entendu beaucoup de choses, probablement fausses, sur cette endroit. On pourrait y rencontrer des gargouilles, des animaux légendaires, des murs couverts d'or et même quelques foetus conservés dans des bocaux.
La jeune fille était peureuse mais elle avait entendu son nom - si on pouvait appeler cela un nom - dans la bouche de la directrice. Et puis, elle était une adulte maintenant, alors elle devait prendre sur elle et éviter de faire sa poule mouillée. Si Mme Wolstenholme parlait avec un autre membre du corps administratif de son sort, elle devait savoir ce qu'elle disait ! Après tout, elle en avait bien besoin pour composer sa petite valise.
Elle actionna précautionneusement la poignée et poussa la porte en veillant à ne faire aucun bruit.
La directrice était là, bien en vue, dans un fauteuil luxueux et discutait avec un homme dont 4407 ne pouvait voir que le dos. Mme Wolstenholme était une vampire de cent cinquante ans environ, qui en paraissait à peine vingt. Elle était très à la mode, comme d'habitude, et portait une robe tout en voile qui dévoilait son corset, juste ce qu'il fallait pour ne pas être vulgaire. La jupe de sa robe était un amoncellement de voiles blancs qui dévoilait de temps à autre ses jolies chevilles. Elle portait de pesantes boucles d'oreille en or et avait arrangé ses cheveux de façon à ce qu'on se dise qu'elle venait de se lever tout en restant élégante. De toute évidence, l'arrivée de son invité ne l'avait pas tiré du lit.
Celui-ci ne dévoilait pas grand chose de sa personne du point de vue de 4407. Il avait un long manteau couleur sang et portait un chapeau à plumes noirs. Sa voix était grave et profonde. Il devait être assez charmant parce que la directrice s'était mis une fleur dans les cheveux et ne cessait de tortiller ses longs cheveux roux. Une carafe de sang odorant - probablement parfumé à la rose - avait été posée sur la tablette d'un guéridon entre eux.
"4407 est une charmante jeune vampire en pleine santé. Je pense qu'elle vous plaira, elle a un certain charme malgré ses quelques défauts."
L'homme émit un son approbateur qui signifiait qu'il comprenait Mme Wolstenholme et tendit la main vers la carafe pour se resservir un verre de sang. Il portait une chevalière sans armoiries nota 4407. Ce détail pourrait lui servir plus tard. Elle remarqua aussi qu'il se servait sans élégance aucune, pas du tout comme on l'avait apprit à la jeune fille !
La directrice semblait attendre qu'il lui réponde mais, comme il buvait bruyamment, elle reprit.
"Nous pensions vous en demander dix-sept pièce d'or ."
L'homme releva brusquement la tête, tout aussi surpris que la jeune fille apparemment. On allait la vendre ? Que lui ferait cette homme ? C'était affreux !
"Dix sept, c'est beaucoup pour une petite écervelée qui ne sait même pas parler correctement ! Est-ce qu'elle est vierge au moins ?
- Bien entendu ! Nous prendriez - vous pour un établissement de basse gamme ? Nous éduquons des Dames et de Messieurs tout de même !"
La directrice avait soudain le teint empourpré. Elle semblait bien ne plus du tout trouver l'homme charmant. Avait-elle joué les femmes séduites pour obtenir plus de cette vente ?
"Et vous les vendez au marché aux esclaves quand ils sont trop vieux pour plaire à la Cour. "
L'homme avait dit ça avec une pointe d'ironie dans la voix. Il semblait tout à fait amusé par la situation. Ce qui n'était pas du tout le cas de la directrice et de 4407.