03
Je restai figée sur place, n'ayant aucune idée sur la bonne réaction à avoir. Une partie de moi avait certes espéré la revoir, mais je n'y avais jamais vraiment cru. Mon corps réagit par lui-même et je fis un pas de l'avant.
- Restes où tu es.
Je sursautai au son de sa voix, mon regard toujours accroché au sien. Je cessai tous mouvements, cependant, je ne pouvais pas me retenir de la détailler.
Mes souvenirs ne faisaient pas écho à sa beauté. Sous la lumière du jour, le vert de ses yeux était moins profond et plus électrique. Ses traits étaient doux malgré son air sévère. Elle avait encore quelques cheveux rebelles qui encadraient son visage alors que le reste de sa crinière dévalait ses courbes jusqu'à ses hanches. Ils étaient toujours attachés en queue de cheval, certainement pour qu'ils ne s'emmêlent pas davantage qu'ils ne le faisaient déjà. Je n'avais jamais rencontré une personne avec une chevelure aussi longue.
- Euh... tu...?
Balbutiais-je honteusement, je ne savais même pas ce que je voulais dire. Ses lèvres esquissèrent tout de même un sourire.
- Je venais seulement prendre des nouvelles.
- Des nouvelles?
- Comment va ton frère?
Je mis un moment avant de percevoir le sens de sa question. Ah oui! elle parle de cette nuit-là. Décidément, je fonctionnais au ralenti.
- Bien... il va bien. Je croyais qu'il allait oublier ou penser avoir rêvé, mais il n'en a simplement pas fait une histoire.
- En a-t-il parlé?
- Seulement à moi, je lui ai fait promettre de garder le secret.
Une drôle d'expression passa sur son visage. Était-ce de la surprise?
- C'est bien. Et comment est ta cheville?
- Mieux.
OK, je commençais vraiment à ne pas être à l'aise. Je me dandinais d'un pied à l'autre sans savoir quoi dire; et ce regard... J'avais l'impression que chacun de mes mouvements était analysé. Elle se mordit la lèvre inférieure et je sentis mes joues bruler. Je me souvenais qu'elle avait fait la même chose la dernière fois. Je me demandais, encore, à quoi elle pouvait bien songer, mais craintive comme je le suis, je n'aurais jamais osé lui en parler.
- Puis-je être honnête avec toi?
- Vas-y.
Elle se racla la gorge et cette fois, j'en étais certaine, elle était aussi mal à l'aise que moi.
- Je vous ai entendu un peu plus tôt, toi et ton frère.
- Nous espionnais-tu?
- Non!
Elle soupira face à sa propre réaction ce qui me fit sourire malgré moi.
- J'étais seulement curieuse, je n'aurais pas voulu qu'il vous arrive quoi que ce soit après, tu vois.
- Donc tu es venue ici et tu nous as... épié?
Je me retins de pouffer de rire devant son froncement de sourcils.
- Peut-être un peu.
Je croisai les bras pour donner un peu de constance au faux regard de reproche que je lui adressai. Honnêtement, je ne me serais pas crue moi-même. Je sentais la commissure de mes lèvres trembler dans ma tentative de maitriser un sourire. En fait, l'idée qu'elle m'ait observée me plaisait bien.
Je repassai les évènements toute la nuit. Ma couverture avait tôt fait de rejoindre mes peluches sur le sol tant je bougeais. Impossible de dormir quand j'avais la tête aussi remplie. Je n'osais tout de même pas abandonner la bataille, me répétant qu'il me faudrait de l'énergie pour la revoir le lendemain. Dès que je fermais les yeux, je l'imaginais me faire face, toujours avec un fond sombre duquel elle se démarquait pleinement. Je la revoyais sourire ou encore se mordiller la lèvre. À certains moments, elle ne faisait que m'observer avec son regard étrangement calculateur qui m'enlevait tous mes moyens.
Même dans ma chambre, alors que ce n'était qu'une simple image, elle arrivait à m'atteindre... pourquoi? Je ne la connaissais pas du tout! Je ne savais d'elle que son nom et ah oui... bien sûr que c'était un loup-garou. Je ne suis pas xénophobe ou raciste, comme vous avez pu vous en rendre compte, cependant une partie de moi ne pouvait pas expliquer que je ressente autant d'attirance envers quelqu'un d'une autre nature. Que ce soit une fille ne me perturbait pas du tout, mais qu'elle soit à moitié louve me plongeait dans une profonde incompréhension. Si l'on me disait qu'un lapin est séduit par une grenouille, je trouverais ça grotesque.
En même temps, j'ai bien mentionné qu'elle était semi-humaine, donc ce n'est pas aussi étonnant que s'il s'agissait de deux espèces totalement différentes. Et puis elle est si belle, qui pourrait résister à une telle femme? Certainement pas moi!
J'étais heureuse qu'elle demande à me revoir, pourtant cette partie de moi plus rationnelle avait surtout peur; peur qu'elle se joue de moi pour atteindre mon village ou simplement parce que je suis timide et plus facile à berner. Elle était peut-être de ce type de nymphes qui, dans les livres, séduisent des intellos pour le plaisir de les ajouter à leur tableau de chasse. Non pas que je sois vraiment une intellectuelle, j'aime lire, mais je suis aussi une sportive malgré ma maladresse légendaire. Demandez-moi de tenir debout sur une chaise et il y a de bonnes chances qu'un éternuement me fasse tomber!
Je roulais des yeux, seule dans ma chambre, et j'entretenais une conversation entre moi-même et mes pensées. Il était clair que je n'avais pas seulement perdu une bataille contre le sommeil, mais la guerre elle-même. Je me levai lentement et c'est sur la pointe des orteils que je traversai le couloir vers celle de John. Il est très rare que je n'arrive pas à dormir puisque je suis du genre à tomber comme une ancre mais lorsque l'insomnie me frappait, j'avais une solution.
Je le vis dormant profondément dans son lit, son doudou serré contre lui. Même quand il faisait dodo, il parvenait à me faire sourire. Je soupirai avant de me glisser à ses côtés, sous les draps. Tout comme moi, il avait un sommeil de plomb et ne se rendait jamais compte de ma présence. Je me détendis au son de sa respiration et je finis par sombrer avec l'esprit serein.
***
Je m'éveillai doucement le lendemain, les yeux collés par le manque de sommeil. La lumière abondante ne m'avait laissé aucun répit. Pourquoi n'avais-je pas fermé ces fichus rideaux? Je voulus tendre le bras pour les attraper, les yeux toujours clos et ma main ne rencontra que du vide. Je m'étirai davantage et dans un hurlement, m'écrasai sur le sol.
- Hahaha! Mimi est tombée!
- Hmpf...
Je levai paresseusement la tête pour croiser le regard pétillant de mon frère. Je fis mine de l'ignorer et agrippai un oreiller dans une fausse tentative pour me rendormir.
- Nooooon Mimi, c'est le matin!
- Je veux dormir... marmonnais-je entre deux ronflements.
John sortit du lit en catastrophe et se mit à me pousser dans tous les sens; sur le dos, sur le ventre... il me roula presque sous le meuble. Voyant que je n'avais pas l'intention de bouger, il passa à l'étape suivante. Je sentis un doigt mouillé chatouiller l'intérieur de mon oreille, je sursautai d'horreur et sans un regard derrière, je courus jusqu'à ma chambre me cacher sous ma couette. J'entendais mon frère rire en venant après moi, il sauta à son tour dans mon lit pour me rejoindre sous les couvertures.