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Chapitre 3

— Une personne entre dans votre périmètre ! Ne me gravez pas sur la rétine une scène à laquelle je n'ai aucune envie d'assister !

Dieu merci je n'ai pas attendu Katherine et son légendaire savoir vivre pour me réveiller. En réalité je suis déjà revenu de ma course et ai déjà eu le temps de prendre ma douche. Tout juste ceci-dit. Je suis encore en serviette, les cheveux dégoulinants.

— C'est Kat que je viens d'entendre, ou un phacochère qu'on maltraite ?

Malo dépasse sa tête de la douche, un de ses sourcils levé. Il a vite compris que j'ai mes habitudes et que pour rien au monde je ne ferai une croix sur ma routine. Donc il s'est trouvé la sienne. Il s'arrange toujours pour se réveiller quand je prends ma douche, me rejoignant sous celle-ci sans exception. Non pas que je m'en plaigne.

Sauf que Kat n'était encore jamais arrivée à ce moment précis.

— Tu vas rester sous l'eau et me laisser me démerder avec elle, hein ?

Pour toute réponse il me sourit en coin, avant de tirer à nouveau le rideau, prenant bien son temps pour se faire. Fourbe un jour, fourbe toujours.

Je fronce les sourcils en entendant un remue-ménage dans la cuisine, me dépêchant de m'habiller. Je n'ai que moyennement envie qu'elle ne me retourne tous les placards pour finir par me montrer d'un doigt accusateur, sous prétexte que de ne pas avoir de pot de beurre de cacahuètes d'avance devrait être un crime reconnu par la loi. Oui, ça sent le vécu. Beaucoup trop.

En arrivant dans l'encadrement de la porte de la cuisine, je m'appuie contre son chambranle et observe la scène se déroulant devant mes yeux, me retenant du mieux que je le peux de laisser ces derniers rouler dans leur orbite. Kat semble en réflexion extrême penchée au-dessus du contenu de notre frigo, une tartine dans la bouche. Un crayon rose lui dépasse des cheveux, or je n'arrive même pas à m'en surprendre. Je crois que j'ai depuis bien longtemps dépassé le stade de la surprise quand il est question de la meilleure amie de Malo.

Celle-ci s'aperçoit finalement de ma présence, ne sursautant pas le moins du monde et restant dans la même position, se contentant de se tourner de trois quart dans ma direction. Le résultat est assez comique, aussi maintenir mon expression d'exaspération me demande une certaine dose d'efforts. La bouche toujours pleine de sa tartine elle me lance alors, faisant délibérément fi de toutes salutations ou politesses :

— Dis-moi que vous avez du lait, Raffa.

Cette fois je ne peux m'empêcher davantage de sourire. Elle risque de devoir revoir ses attentes à la baisse, je ne bougerai absolument pas pour lui venir en aide. Gardant donc mon sourire et haussant une épaule, je lui rétorque d'une voix mielleuse :

— Bonjour à toi aussi. Tu es tombée du lit ?

— Tu ne connais pas ce mot anglais ? On vous apprend quoi dans ton pays ? L-a-i-t, ce n'est pourtant pas si compliqué.

— Il y a au moins une dizaine de bouteilles de lait d'avance, juste dans l'arrière cuisine.

Mes lèvres s'étirent toujours un peu plus à mesure que je termine ma phrase, m'assurant de lui offrir une expression des plus innocentes et angéliques. Je la devine se retenir à grande peine de souffler alors qu'elle pose une main sur sa hanche, me rétorquant d'un air ennuyé :

— Je suis censée avoir compris un seul mot de ce que tu viens de dire ?

— Quoi, on ne vous apprend pas le français dans votre pays ? Ce n'est pourtant pas si compliqué.

Elle s'approche de moi suite à mes mots, s'accordant bien le temps de reprendre une bouchée de sa tartine volée. Elle ne consent à s'arrêter qu'une fois arrivée pile sous mon nez, me gratifiant de son magnifique majeur alors même que je mime un baiser dans sa direction.

— Il a dit que le lait était dans l'arrière cuisine, qui elle se trouve de ce côté. Et moi je rajoute qu'on va finir par t'inclure dans les charges.

Malo vient de faire son apparition à mes cotés, fraichement habillé mais une serviette encore autour du cou. Le regard de Katherine alterne entre nous deux mais surtout nos cheveux mouillés, avant qu'un sourire en coin ne pointe le bout de son nez sur ses lèvres. Je tente du mieux que je le peux ne pas ressentir de gêne aux conclusions que je la vois tirer dans sa tête. Peine perdue. Or elle ne commente pas, ce qui relève en soit de l'exploit quand on connaît le personnage. Ou alors elle a tout simplement beaucoup trop envie de son lait. Toujours est-il qu'elle se remet finalement en action en venant nous contourner, sortant de la cuisine et lâchant sur son passage :

— Vous êtes mes pires meilleurs amis.

Ça aurait été n'importe qui d'autre, j'aurai été estomaqué devant tant de culot, qui plus est contenu dans un si petit corps. Après tout elle vient de rentrer chez nous sans s'annoncer, fouiller dans nos placards pour se servir à son aise et râler de ne pas trouver dans la seconde ce que madame désire. Mais c'est Kat. Alors je souris, me sentant déjà de bonne humeur et prêt à attaquer une nouvelle journée.

Malo se pince les lèvres et hausse les sourcils en me regardant, l'air tout aussi défaitiste que moi quant à l'éducation de son amie. Nous avons tout deux à peine le temps de nous installer à la table sommaire de la cuisine qu'elle refait déjà apparition, s'asseyant en tailleur sur une chaise. Elle ne perd pas une seconde avant de se servir un bol de son précieux lait, le finissant d'une traite et sans rien ajouter. D'un geste un peu trop brusque à mon goût elle le repose ensuite sur la table, prend une grande inspiration, se redresse et nous regarde tous les deux tour à tour. Malo et moi échangeons un regard, et c'est sans même se concerter que nous sortons en même temps et d'une même voix :

— Crache le morceau.

Elle n'a pas toujours besoin de raison pour se pointer à l'improviste chez nous, vouloir nous faire un coucou ou un câlin sont des raisons amplement suffisantes à ses yeux. Mais pas cette fois-ci. Sans vouloir me montrer mesquin, des cernes pour le moins assez conséquentes habillent ses jolis yeux noisettes, et ai-je déjà mentionné à quel point elle est décoiffée ? Elle semble réellement avoir passé ce qui semble être une nuit blanche en bonne et due forme.

— Très bien. J'ai consacré ma nuit à un projet un peu fou. À vrai dire ça fait un sacré moment que ça me trottait dans la tête, mais hier soir j'ai eu l'illumination divine.

— Ta ligne de vêtements ?

Malo la regarde avec une fierté non dissimulée sur ses traits alors que ses yeux à elle pétillent de bonheur. Et il y a moi, qui comme le cheveux sur la soupe que j'ai toujours représenté me contente de rétorquer, perplexe :

— Ta quoi ?

— Kitty Kat a toujours voulu être dans la mode, du côté création. Depuis qu'on se connait elle m'en parle. Et elle est vraiment douée.

Malo m'explique tout très vite, puis se tourne à nouveau vers elle, poursuivant sur le même ton enjoué :

— Je pensais que tu avais abandonné l'idée ?

— Comme je viens de le dire, hier j'ai eu une poussée d'inspiration phénoménale. Raffa, tes grands couturiers français peuvent se rhabiller, sans mauvais jeu de mots. Avec ce que j'ai en stock je vais devenir la nouvelle star de la haute couture.

Je remarque seulement à cet instant que ses mains sont couvertes de traces noires, sûrement de fusain. J'avoue que ma curiosité est piquée, tant par l'engouement dont elle fait preuve que par l'admiration que lui témoigne Malo. Quoi que, je crois que cette fille pourrait lui sortir n'importe qu'elle idée farfelue, il la regarderait toujours d'un regard inchangé, aimant et protecteur tout à la fois.

— Tu as quelque chose de concret pour le moment ?

Elle me regarde dans les yeux à mon intervention, ne s'arrêtant décidément plus de sourire. Elle rayonne sincèrement à cet instant, je suis persuadé que de nous voir porter de l'intérêt à ce qu'elle nous raconte lui réchauffe encore un peu plus le cœur.

— Non, à vrai dire je n'ai que des esquisses pour le moment. Littéralement des centaines. Mais je me sens revivre. J'ai cru que j'allais finir ma vie avec le même poste de serveuse jusqu'à mes cinquante ans, à vivre sur le pourboire de mes clients radins. Je me voyais déjà avec mes trois chats et mes deux hamsters, sans aucun homme pour m'accorder de l'intérêt en dehors d'un voisin un peu trop pervers.

— Et maintenant ?

— Maintenant je me vois assaillie de paparazzi, à recevoir des appels de la famille Kadarshian voulant absolument une avant première de ma nouvelle collection et ce à n'importe quel prix.

— Tu ne nous oublieras pas à ce moment-là, n'est-ce pas ?

Elle se tourne à nouveau vers Malo et sa voix de chaton, tendant les bras pour les passer autour de son cou. Elle lui embrasse ensuite la joue avec amour, déclarant presque solennellement :

— Tu seras toujours mon pire meilleur ami. Qu'importe les kilomètres que tu mettras entre nous, qu'importe le fric que je vais me faire. Et vu que Raffa resteras à tes côtés, il sera difficile de l'oublier, lui aussi.

Malo se retient de glousser, tandis que de mon côté je marmonne en réponse :

— Merci... je suppose.

— Bon, personnellement j'ai vraiment faim, et cette nouvelle mérite un peu mieux qu'une pauvre tartine et un bol de lait. Partants pour un Starbucks ?

Malo commence déjà à se lever suite à ses paroles, étant littéralement controlé par son estomac. Je mets pour ma part un peu plus de temps à réagir, tout simplement parce qu'un détail me saute presque immédiatement aux yeux.

— Attends... Tu veux dire que depuis tout ce temps il y avait un Starbucks dans ce coin paumé et que tu ne m'as rien dit ? Si on était mariés ce serait un motif de divorce, t'en es conscient ?

Kat explose de rire tout en se tournant vers Malo, attendant elle aussi de voir comment monsieur va se sortir de cette situation. Non vraiment, je suis tout ouïe. Sa seule répartie durant un moment est de lever les yeux au ciel, puis il fait le tour de la table pour s'arrêter derrière-moi. Je sens ses mains se positionner de part et d'autre sur mes épaules. Je lève donc ma tête vers lui et la pose sur son torse, plissant les yeux pour lui témoigner de mon mécontentement. Un sourire malicieux le caractérisant si bien s'étale sur ses lèvres quand son regard rencontre le mien.

— Je vais tenter de faire comme si je n'avais pas entendu cette presque demande en mariage. Et non, aucune traitrise ici, il n'y a aucun Starbucks dans la ville. Mais j'en connais un qui vaut largement de faire quelques kilomètres en voiture, alors arrête de ronchonner, lève-toi et on y va.

— Je savais que j'avais choisi le bon.

— J'ai passé l'éponge sur la douche mais si vous continuez de vous montrer aussi écoeurants, je ne vais pas me gêner les gars. Pensez aux célibataires.

Je détourne finalement les yeux de Malo suite à l'exclamation de Katherine, redressant du même mouvement la tête. Mon amie lève ses mains bien haut au-dessus de la tête avant de se montrer du doigt, nous servant un de ses plus faux sourire. Je me redresse alors, comme traversé par une onde de choc. Tout se fait très vite, nous sommes dehors en à peine quelques minutes. Je crois que la promesse d'un bon café à une heure aussi matinale est irrésistible internationalement.

C'est mon dernier week-end avant la reprise officielle des cours. J'ai déjà fait le tour de mon campus universitaire, à deux reprises. Pourtant je ne peux m'empêcher d'angoisser. Alors je profite autant qu'il m'est possible de ces derniers moments de temps libre. Surtout quand l'on sait que Malo a posé ses congés pour pouvoir profiter lui aussi pleinement de ces derniers jours avec moi, et occasionnellement Katherine.

Après un trajet définitivement plus long que quelques kilomètres, notre Saint Graal est enfin à portée de doigts. En entrant dans le café je m'y sens presque instantanément à mon aise. Que ce soit aux États-Unis, en France, et je suis prêt à le parier dans n'importe qu'elle autre pays d'implantation de la marque, les locaux restent inchangés. Ainsi même à des milliers de kilomètres de Paris, cette sensation de familiarité me détend aussitôt. J'ai l'impression de retrouver un bout de chez moi, et même si je n'en suis qu'au début de mon expérience et que jusqu'ici je m'épanouis beaucoup plus qu'initialement anticipé, je ne nie pas en contrepartie ce manque en moi.

Ma sœur en est la principale responsable. Même si je lui parle absolument chaque jour et l'appelle dès que l'occasion se présente, pouvoir la serrer dans mes bras ou simplement la voir me manque sincèrement. Seulement selon Malo c'est un mal pour un bien, il ne doute pas que notre relation restera inchangée et toute aussi fusionnelle, mais insiste sur le fait qu'il nous faut apprendre à pouvoir s'éloigner sans en ressentir de gêne insurmontable.

C'est plongé dans ces pensées que je me laisse guider jusqu'à un des coins canapés, faisant entièrement confiance à Malo quant à ma commande. Celui-ci revient après quelques instants seulement, mais je ne sors toujours pas de mes réflexions. Maintenant que j'ai pensé à Sam, entendre sa voix devient à chaque minute un peu plus nécessaire. Kat et Malo reprennent bien vite une conversation passionnée centrée autour du projet de la jeune femme, ce qui me convient parfaitement à cet instant. Seulement c'était nécessairement trop beau pour durer. La réalité revient se faire sa place soudainement, ne me laissant qu'à peine le temps de me reconnecter au monde m'environnant pour comprendre la situation.

— Bah ça alors... Rafael, c'est ça ?

Ces mots sont ceux me ramenant les pieds sur terre. Je me tourne alors vers le serveur et son exclamation à mi-voix, clignant plusieurs des yeux. Il ne me quitte pas une seule fois du regard, et alors enfin le déclic se fait en moi tandis que mon regard change du tout au tout. De perplexe et perdu, je passe à surpris et, je ne vais pas le cacher, étrangement ravi de revoir cette tête familière.

— Leo ?

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