10

-Pourquoi n'êtes-vous pas allée déjeuner au réfectoire ? Ne me dites pas que vous ne prenez même pas cinq minutes pour vous nourrir et que vous restez ici pendant la pause repas ?

Son ton est neutre, sans agressivité ni méchanceté à première vue. C'est comme s'il s'intéressait réellement à la réponse que je vais lui donner. Je reste tout de même sur mes gardes et réponds poliment:

-Je ne pourrais pas rester tard ce soir, donc j'ai préféré ne pas perdre de temps et manger rapidement un sandwich ici tout en avançant sur le dossier Royal Beauty. Cela ne me dérange pas, j'ai l'habitude.

Dans mon ancien travail, il n'était pas rare que je mange mon déjeuner en vitesse sur mon bureau pour clôturer certains dossiers urgents. Ma réponse n'a pas l'air de le satisfaire car son air contrarié règne encore sur son visage si charismatique.

-Ménagez-vous, vous ne pourrez pas tenir ce rythme indéfiniment.

Sur ces paroles plutôt sympathiques, il tourne les talons et disparaît dans les couloirs en m'offrant la seule vue que je rêvais de revoir depuis ce matin. Cette visite inattendue m'a plus déstabilisée qu'autre chose. Pour une fois, je n'ai pas subi de remarque désobligeantes, de commentaires déplacés ou de coup de pression, au contraire. Mais c'est justement ce qui m'inquiète. Je ne comprends pas ce revirement de situation et j'ai appris à me méfier de ce genre d'homme. Il ne manquerait plus qu'il soit lunatique !

Au delà de son apparente "gentillesse", je suis extrêmement troublée par toutes les sensations que j'ai ressenties en sa présence. Je ne comprends absolument pas pourquoi mon corps a réagi de la sorte lorsqu'il est arrivé et pour être honnête, cela me fait peur. Je n'ai pas ressenti que le stress et l'angoisse que je ressens habituellement en sa présence. À cela s'est ajouté une certaine fébrilité et j'ai été totalement déstabilisée par ce cocktail de sensations déroutantes. Je dois absolument me changer les idées ! Je retourne m'assoir et au lieu de continuer mon étude de marché, je décide d'écrire à Grand ours brun. Alors que je prends mon téléphone dans mes mains, celui-ci se met à vibrer pour m'annoncer l'arrivée d'un nouveau message.

Grand ours brun: Coucou ma jolie, c'est l'heure de la pause dej ?

Je lui réponds immédiatement, trop contente d'avoir trouvé comment anesthésier mon esprit quelques instants.

Cancan09: Oui et non ! Je ne prends que 5 minutes pour manger rapidement un bout dans mon bureau. Pas le temps de traîner au réfectoire, j'ai bien avancé ce matin, je voudrais continuer.

Grand ours brun: Tu ne trouves pas que ça fait beaucoup quand même ? Fais gaffe tu vas vite craquer si tu continues ce rythme. Accorde toi au moins une heure pour souffler.

Cancan09: Ne t'inquiètes pas pour moi, je suis une grande fille ! Je pars au plus tard à 18h ce soir.

Grand ours brun: Je suis sérieux. Tu as vu le nombre d'heures que tu as fait en 4 jours déjà ? C'est beaucoup trop ! Fais attention à toi s'il te plaît. Et puis, il faut que tu sois en forme samedi pour réaliser tous mes défis...

Cancan09: Ne t'en fais pas, ça va aller... Tu es un ange de t'inquiéter pour moi !

Grand ours brun: Tu ne crois pas si bien dire !

Au moment où je reçois ce dernier message, Marina entre dans la pièce avec une tasse de thé fumante dans une main et du chocolat dans l'autre main. J'ai vraiment de la chance d'être tombée sur une collègue aussi gentille et agréable. Nous passons les quinze prochaines minutes à papoter et cette petite pause m'aide définitivement à me vider la tête.

Ma journée de travail se termine vers 18h après une après midi studieuse et efficace. Lorsque je m'installe au volant de ma voiture une heure plus tôt que tous les autres soirs de la semaine, mon sourire ne quitte pas mes lèvres car je sais que ma soirée sera parfaite. Je rejoins Cass juste avant notre cours de danse et lorsque je m'avance vers elle, ses yeux s'écarquillent et elle ouvre grand la bouche. Je ne comprends pas tout de suite sa réaction, jusqu'à ce qu'elle s'exclame:

-Oh putain de merde, qu'avez-vous fait de ma meilleure amie ? Dimanche j'ai quitté ma Candice toute sage et classique et aujourd'hui je retrouve une bombasse carrément sexy !

J'explose littéralement de rire face à cette réaction pour le moins spontanée.

-Je ne plaisante pas ! Non mais tu t'es vue ? T'es carrément démente dans ces fringues ! Je ne veux plus jamais te revoir avec tes anciennes fringues, c'est compris ?

-Oui maman ! je lui réponds ironiquement.

Nous nous dirigeons vers l'entrée de la salle de danse afin de profiter de deux heures de pure évasion. Cette parenthèse me fait un bien fou et je suis également ravie de partager ce moment avec ma meilleure amie. A la fin du cours, nous prenons la direction de mon appartement pour notre repas hebdomadaire. En chemin, nous nous arrêtons acheter des sushis et une fois arrivées chez moi, nous prenons place sur mon canapé comme à notre habitude. Nous commençons à discuter de tout et de rien lorsque Cass m'interrompt en me demandant:

-Comment ça se passe alors avec ton nouveau patron ? Il agit toujours comme un connard ou il s'est calmé ?

Je réfléchis quelques secondes à sa question. Jusqu'à hier j'aurais répondu sans hésiter qu'il n'est qu'un macho sadique et dédaigneux mais son attitude à midi m'a laissée perplexe.

-Et bien, je ne sais pas vraiment quoi répondre. En plus de m'avoir confié le dossier le plus compliqué uniquement pour me saquer, il n'arrête pas de me faire des commentaires désobligeants et déplacés quand à mes capacités et ma tenue vestimentaire. Je fais une courte pause puis reprends. Mais tout à l'heure, il est passé me voir et il a été plutôt agréable. Rien de bien extraordinaire, mais il m'a conseillé de me ménager un peu. C'est la première fois qu'il me parle sans méchanceté, c'était... bizarre.

-Pourquoi bizarre ? Peut-être que c'est le genre de mec qui veut asseoir son autorité dès le début et maintenant qu'il pense que le message est passé, il se détend un peu.

-Je ne sais pas trop. Je vais t'avouer un truc: je me sens vraiment mal à l'aise en sa présence. Il me rend... fébrile. C'est vraiment bizarre.

-Fébrile ? Qu'est ce que tu es en train de me dire Candice ? Tu as des vues sur ton patron ? me répond Cass en ouvrant grand les yeux.

-Mais pas du tout ! je m'insurge, ne dis pas n'importe quoi ! C'est juste qu'il est déstabilisant. Tu devrais voir son regard, son attitude, son ton quand il me parle...

-Décris-le moi physiquement.

-Il est... grand. Très grand. Il a un corps impressionnant. Je te jure, il est tellement grand et tellement musclé et tellement déroutant avec sa voix grave et tellement charismatique avec ses yeux marrons déstabilisants et je ne te parle pas de son torse et de ses mains... tu verrais ses mains ! Et...

-Ok, j'ai compris, ton patron c'est ton fantasme. Ma Candice, c'est pas parce qu'il est attirant que tu dois tomber sous son charme. C'est la pire idée que tu puisses avoir. Donc tu oublies ça tout de suite, d'accord ? Patron = pas touche !

Je soupire avant de reprendre la parole.

-Ne te fais pas des idées Cass, oui il est vraiment... plaisant à regarder mais ça s'arrête là.

-J'espère bien ! Fais attention à toi ma Can-can, me dit-elle un sourire chaleureux aux lèvres.

-Mais qu'est ce que vous avez tous avec cette phrase aujourd'hui ? Cass m'adresse un regard interrogateur m'incitant à m'expliquer. Grand ours brun m'a écrit exactement cette phrase aujourd'hui.

Ma meilleure amie se redresse en s'écriant:

-Mais dis donc, tu ne m'as pas raconté... où en es-tu avec ton mystérieux grand machin chouette ?

Malgré moi, je me mets à rougir. Je suis toujours légèrement gênée lorsque je dois raconter mes péripéties sentimentales, même si Cass connaît tout de moi. Je commence en bafouillant:

-Euh... alors... on s'est écrit cette semaine et...

-Tous les jours ? m'interrompt-elle à nouveau.

-Euh... oui...

-Petite coquine ! Raconte-moi tout !

-Et bien, on discute, on fait connaissance, on parle de notre quotidien et il me fait beaucoup rire. Il relativise toujours tout et j'aime beaucoup nos échanges, je lui avoue timidement.

-Mais c'est top ça ! Et comment s'appelle t-il alors ?

-Je ne sais toujours pas ! Il m'a laissé jusqu'à demain soir pour deviner son prénom sinon je devrai me plier à ses exigences pendant 24h. J'ai déjà collecté plusieurs informations mais toutes les propositions que je lui ai envoyées sont inexactes apparement.

-Laisse moi regarder, je peux peut-être t'aider ? me propose Cassiopée.

Je sors alors mon téléphone et lui fais lire nos échanges. A plusieurs reprises, elle me lance des regards appuyés, quelques fois elle se met à rire et finit par me rendre mon téléphone en faisant des propositions, malheureusement je les ai pratiquement toutes déjà essayées. C'est en relisant nos derniers messages que j'ai une illumination. Mais bien sûr Candice, tu le tiens ce satané prénom ! Je jubile intérieurement et j'ai hâte de voir sa réaction lorsque je lui clouerai le bec avec la bonne réponse. Mais en attendant, je compte bien le faire languir jusqu'à la dernière minute.

Ma meilleure amie et moi finissons notre repas tout en discutant puis elle décide de rentrer chez elle et je me rue immédiatement sur mon téléphone pour écrire à mon inconnu-plus-si-inconnu maintenant. Nous échangeons une dizaine de messages sans que je ne lui révèle le résultat de mes investigations. Moi aussi je peux être joueuse quand je le veux.