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09

Jeudi 17 novembre

À travers le brouillard qui embrume mon esprit, je distingue faiblement la sonnerie de mon réveil qui retentit depuis plusieurs dizaines de secondes maintenant. Je tends le bras pour m'accorder à nouveau 10 minutes de plus tout en ouvrant un œil. 6h20. Je grogne en me tournant et en enfonçant ma tête dans mon oreiller. Théoriquement, je ne commence pas avant 9h mais depuis mardi, j'arrive au bureau entre 7h et 7h15 pour avancer sur le dossier Royal Beauty et profiter de ces deux heures seule dans le silence pour être efficace. Enfin, pratiquement seule. Mme Saint Martin et Mr Archer arrivent en général autour de 8h15. Si mon horrible boss ne prend même pas la peine de me saluer ou de m'accorder un regard, ma responsable commercial vient tous les matins dans mon bureau pour me dire bonjour et m'adresser quelques politesses. Bien qu'elle semble évoluer dans une classe sociale plus élevée, cette femme très chic n'en reste pas moins humaine et chaleureuse. Mardi, elle est venue à ma rencontre pour comprendre pourquoi je venais si tôt. Elle m'a alors félicitée pour mon implication et m'a certifié qu'elle ne l'oublierai pas. Au delà de l'ultimatum professionnel que m'a posé Mr Archer, ce fameux dossier bleu représente pour moi un défi personnel: je veux prouver à cet homme macho que je suis une femme douée et compétente et non pas une potiche sans cervelle. Apparemment, ce qu'il voit quand il me regarde semble lui plaire, alors je vais me faire une joie de lui montrer que derrière mon physique se cache une employée fiable et compétente. Je vais décrocher ce marché, coûte que coûte.

Je ferme les yeux et compte encore jusqu'à 10. Malgré ma fatigue, je me motive et me lève. Mon premier réflexe matinal est de mettre un peu de musique, afin de sortir doucement de ce brouillard et je file sous la douche. Même si les remarques complètement déplacées de Mr Archer sur mon style vestimentaire m'ont profondément vexée et révoltée, je dois bien avouer que j'aime beaucoup ma nouvelle allure, bien moins classique et plus féminine, moderne. Aujourd'hui, j'opte d'ailleurs pour un pull fin noir et blanc avec des motifs géométriques légèrement vintage assorti d'une jupe courte en simili cuir et de mes bottes noires. Je noue mes longs cheveux en un haut chignon flou et applique mon maquillage sur mon visage pour un résultat naturel et un effet bonne mine. Même si je n'ai adopté cette routine que depuis 4 jours, je me suis vite prise au jeu et j'ai hâte de voir la tête que fera Cassiopée !

En déjeunant, je consulte mon téléphone et découvre deux messages non lus provenant de Grand ours brun. Lorsque je me suis couchée hier soir, nous étions en train de nous échanger des messages et je crois que je me suis endormie avant sa dernière réponse ! Pour ma défense, je suis vraiment épuisée par ce nouveau rythme et les nombreuses heures supplémentaires que je m'impose me fatiguent aussi bien physiquement que nerveusement. Son dernier message, qui m'est parvenu à 21h58, est là pour le prouver.

Grand ours brun: Assez parlé boulot ! Tu as avancé sur ton enquête ?

Grand ours brun: Bon petite marmotte... apparemment tu as du t'endormir, alors passe une bonne nuit et écris moi demain. J'ai hâte de connaitre tes nouvelles suppositions. Je te rappelle qu'il ne te reste que 48h sinon tu devras te plier à toutes mes exigences, c'est le deal !

Je souris en lisant ces messages. Il m'a laissé une semaine pour deviner son prénom sans quoi, je devrais subir pendant 24h ses demandes les plus farfelues sans possibilité de refus. Enfin... je lui ai d'ors et déjà annoncé que je ne ferais rien de compromettant. Je commence à bien le cerner et j'ai d'autant plus envie de découvrir son prénom par moi-même pour lui clouer le bec mais aussi pour éviter ces 24 heures qui s'annoncent... mouvementées. Depuis vendredi dernier, j'ai déjà éliminé beaucoup de piste. Je sais que son prénom est « intemporel », qu'il n'est ni d'origine italienne, ni américaine, ni ibérique, que ce n'est pas un prénom composé, qu'il ne termine pas par « O » et qu'il a plus de quatre lettres. J'ai déjà glané beaucoup d'indices mais mes journées à rallonge ne me permettent pas de me concentrer sur mes recherches.

Je prends quelques minutes pour lui répondre avant de partir. Depuis pratiquement une semaine, nous communiquons par message tous les jours et ses petits mots sont les bienvenus pendant cette semaine de l'enfer !

Cancan09 : Désolée pour hier, je crois que je me suis endormie sans m'en rendre compte, je suis rentrée tellement tard. Vivement demain soir ! Et ne jubile pas trop vite, je t'ai dit que je trouverai ton prénom, il est hors de question que je te laisse les rênes pendant 24h!

Je jette un œil à l'horloge qui m'indique que l'heure de partir est déjà arrivée et je grimpe dans mon véhicule. Lorsque je coupe le moteur de ma voiture sur le parking de La Soierie Saint Martin, les faibles lumières qui émanent du bâtiment m'indiquent que l'équipe de ménage est en train de s'activer. Je me dirige en direction de mon bureau et ouvre le dossier Royal Beauty afin de ne pas perdre de temps. J'ai tellement hâte de le rendre et que tout cela soit derrière moi ! J'adore mon travail bien sûr, mais j'apprécierai plus mes journées quand cette épée de Damoclès qui plane au-dessus de ma tête n'existera plus. Environ une heure après mon arrivée, alors que je suis pleinement plongée dans mon étude de marché et que je suis en train d'analyser des statistiques qui me semblent stratégiques, je sursaute en voyant passer devant ma porte Mme Saint Martin qui est au téléphone suivie de Mr Archer qui ne m'adresse pas un regard. Je ne me formalise pas de son attitude et je le regarde passer sans dire un mot. Son allure m'interpelle: au lieu de son habituel costume noir, il porte aujourd'hui une tenue tout à fait différente. Ses jambes fuselées sont parfaitement moulées dans un jeans brut cintré et son torse dévoile à travers sa chemise bleu des muscles bandés qui... Tu t'égares, Candice ! Avant qu'il ne disparaisse totalement de mon champ de vision, je ne peux m'empêcher de jeter furtivement un œil à son postérieur qui... Oh mon dieu ! Cette chose est parfaite ! Musclée, rebondie, ferme... Candice, bon sang, arrête ! Je secoue légèrement la tête afin d'évacuer ces pensées déplacées et essaie de me remettre au travail. Bon, d'un côté, lui ne se prive jamais pour me reluquer alors pourquoi devrais-je culpabiliser ?

Lorsque l'équipe commerciale au complet s'accorde l'habituelle pause café de 10h30, je me résous à les rejoindre afin de ne pas être complètement exclue dès la première semaine. La discussion qui anime Alessandro et son assistante Mélissa m'interpelle. Ils sont en train de parler d'un des plus gros concurrent de Royal Beauty sur le marché italien et si j'ai bien compris, ce dernier a commandé il y a un an une grande quantité d'une soie très particulière, fabriquée sur mesure expressément pour une collection spéciale.

-Excusez-moi, je vous ai entendu parler et cela m'intéresse. Je travaille pour un gros client qui est le concurrent direct de la maison Valentino. Est ce que je pourrais avoir une copie de ce dossier client ?

-Euh... oui bien sûr mais que veux-tu en faire ? Cette affaire n'était qu'un one-shot, une commande unique pour un événement unique, m'informe Alessandro avec son accent italien à croquer.

-Je me dis que si je propose à mon client une prestation complètement différente de votre client, je pourrais jouer sur l'argument de la démarcation et ne pas prendre le risque de leur proposer une collection qu'ils auraient déjà vu ailleurs.

Mon argumentation semble satisfaire le commercial en charge de la zone italienne puisqu'il me confirme qu'une copie du dossier me sera envoyée ce matin. Je reste encore quelques minutes à discuter avec mes collègues puis je retourne à mon dossier bleu. Par chance, Mélissa étant très efficace, je reçois le dossier Valentino très rapidement. Je commence alors à le décortiquer sous toutes les coutures et les informations que je découvre font germer dans mon esprit une proposition commerciale audacieuse. Il ne me reste plus qu'à analyser la faisabilité de mon idée.

Enhardie par ces nouvelles pistes de travail, je ne remarque même pas que mes collègues sont partis déjeuner. Je les avais prévenus que je mangerai un rapide sandwich à mon bureau afin de ne pas perdre de temps et pouvoir ainsi partir assez tôt ce soir pour assister à mon cours de danse. Mon ventre se met à gargouiller de plus en plus fort, je plonge alors la main dans mon sac pour en sortir mon frugal déjeuner. J'essaie de ne pas salir mon ordinateur et mes dossiers en mangeant sur mon bureau mais ce n'est pas chose facile lorsqu'on est plutôt du genre maladroit comme moi. Je laisse mon sandwich à moitié entamé et ma bouteille d'eau ouverte sur mon bureau et je me lève pour récupérer un classeur sur l'étagère située derrière mon bureau. Je prends quelques instants pour en feuilleter furtivement le contenu lorsqu'une drôle de sensation me parcourt.

Je ressens une certaine fébrilité, l'atmosphère s'est chargé en électricité et un frisson se promène malgré moi dans mon corps. Toujours dos à la porte, le silence qui règne dans la pièce m'aide à percevoir toutes les sensations qui m'habitent. Je sens les battements de mon cœur légèrement accélérer, ma respiration adopte à son tour un rythme imperceptiblement plus saccadé et je tressaille sans le vouloir en sentant mon ventre se contracter. Je lève les yeux du classeur que je tiens entre les mains et fixe un point invisible en face de moi. Je me force à inspirer lentement pour reprendre toute ma contenance avant de me retourner. Je sais déjà ce que je vais découvrir lorsque mon corps pivotera. Ou plutôt qui je vais découvrir. Je le sais, je le sens. Il est la. Je ne sais même pas pourquoi j'en suis si sûre mais je le sens. C'est lui.

Je ferme les yeux rien qu'une seconde avant de me retourner et d'afficher un sourire faussement détendu sur mon visage. J'avais raison, il est bien la, adossé au chambranle de la porte de mon bureau. Ses bras croisés sur son torse font ressortir ses muscles, ce qui n'est pas vraiment nécessaire vu la manière dont sa chemise sculpte déjà son corps. Mes jambes se mettent doucement à trembler et je ne comprends pas pourquoi je me sens si vulnérable en sa présence. Cela va au delà de la simple relation patron-employée, aussi intimidante soit-elle. Ma gorge se noue de plus en plus et la sensation perturbante que je ressens dans mon ventre ne fait que s'accentuer. C'est comme si je perdais le contrôle de mon corps et de ses réactions. Jusqu'à maintenant, j'étais persuadée que tout cela était dû à son attitude malveillante mais aujourd'hui, tout est différent. Son expression ne me semble pas hostile pour une fois mais je reste sur mes gardes, je suis persuadée que c'est un patron qui aime déstabiliser ses employés. Je remarque alors que ses sourcils se froncent lorsque ses yeux balayent la pièce et je commence à paniquer intérieurement. Alors que je m'apprête à prendre mon courage à deux mains afin de briser cet insupportable silence, ses yeux croisent les miens et ne les lâchent plus. Il ne me déshabille pas du regard, il ne laisse pas ses yeux descendre sur ma poitrine ou mes jambes, il ne m'accorde pas un regard lubrique. Non, pas cette fois. Cette manière qu'il a de me fixer m'est totalement inconnue et je suis comme hypnotisée. Cet échange intense doit peut être durer trois secondes ou cinq minutes, je suis incapable de le dire. Heureusement pour moi et mon rythme cardiaque affolé, sa voix grave et assurée résonne enfin.

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