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Vendredi 16 décembre

                              

En seulement quelques enjambées à peine, Ethan rattrape Mr Jameson qui pensait s'en sortir bien tranquillement et le tire par le bras. Je n'ai jamais vu un tel état de haine et de fureur sur le visage d'un homme. Mr Jameson se retourne, totalement surpris par l'action de mon patron et à travers mes larmes, je distingue la peur se frayer un chemin sur son visage disgracieux. Il essaie de se reculer mais la poigne ferme et déterminée de mon sauveur l'en empêche. Ils se tiennent tous les deux devant la porte d'entrée de l'hôtel, aux yeux et à la vue de tous les passants mais cela ne semble pas déranger mon supérieur, contrairement à mon agresseur qui ne cesse de scruter les alentours avec appréhension. 

                              

-Qu'avez-vous fait à mon assistante ? 

                              

Ethan crache ses mots avec un mélange de haine et d'inquiétude. Ses mains empoignent le col de sa veste et il le dépasse d'une bonne tête. Mr Jameson est clairement en train d'anticiper le coup qu'il va sûrement recevoir. 

                              

-Absolument rien. Votre petite assistante est une sacrée allumeuse et maintenant elle joue la sainte-nitouche car elle n'assume pas de m'avoir sauté dessus. Vous devriez mieux l'éduquer, Mr Archer. 

                              

La mâchoire d'Ethan se serre à l'extrême tandis qu'il repousse le corps de cet être ignoble avec le plus de hargne possible. Les mots que je viens d'entendre me percutent de plein fouet, m'obligeant d'abord à me courber en avant et à maintenir mon ventre quelques instants. Mes larmes inondent toujours mon visage mais je n'arrive plus à pleurer en silence, un sanglot m'échappe. Puis un deuxième. Puis une multitude. Je n'arrive plus à respirer correctement et la nausée que je retiens depuis si longtemps me submerge. J'ai à peine le temps de me redresser, de courir jusqu'à ma chambre, d'ouvrir la porte que je me rue sur les toilettes pour déverser tout le contenu de mon estomac dans la cuvette. 

                              

Cette libération n'en est pas une. Au contraire, le dégoût, l'angoisse, la panique, la honte et l'incompréhension sont remontés à la surface et ils flottent maintenant autour de moi, m'emprisonnant dans un faisceau aveuglant qui me maintient la tête sous l'eau. Quand mon estomac finit par se calmer, je reste un moment les genoux à terre et le regard dans le vide. Mon cerveau ne m'offre aucun répit. Il rejoue sans cesse la scène de mon agression et les gestes ainsi que les mots de Mr Jameson me font un peu plus mal à chaque seconde qui passe. Je sens encore ses sales mains maudites sur mon corps et j'ai tout à coup besoin de me laver. Il faut que j'ôte les marques que cet homme a laissées sur moi avant qu'elles ne s'infiltrent définitivement dans mon corps. C'est une question de survie.

                              

Telle une furie, je me relève en titubant légèrement et mes jambes manquent de me lâcher à chaque pas en avant que je fais. Cependant, ma détermination est telle que je réussis à atteindre la douche. Je dois me laver. Je dois tout effacer. Mon corps doit oublier. 

                              

Lorsque je me défais de mes vêtements, il me semble entendre des coups et un cri mais je n'y prête pas attention. Je dois me laver. J'allume le jet, n'attends pas que l'eau soit chaude et me place sous l'eau qui commence à ruisseler sur ma chair. Cette sensation ne m'offre pas la délivrance que j'avais espérée alors pendant que mes sanglots spasmodiques me secouent, j'attrape la petite bouteille de savon et commence à nettoyer ma peau des traces ignominieuses qu'un homme s'est autorisé à laisser. 

                              

Je frotte fort, je me lave une multitude de fois mais rien n'y fait. Ni l'eau, ni le savon, ni mes larmes ne parviennent à effacer ce qu'il m'a fait. Ainsi que ce qu'il a voulu me faire. Mes sanglots redoublent d'intensité et mes jambes me lâchent brusquement, me faisant ainsi tomber violemment sur le sol. Ma tête frappe légèrement le mur carrelé derrière moi mais cette douleur n'en est pas une. Elle me permet juste de déplacer mes pensées, d'oublier une seconde que mon cœur saigne. Je reste ainsi une minute, peut-être dix, je ne sais pas. 

                                          

              

                    

L'eau froide finit par me ramener à la réalité et je tremble si fort que je n'arrive pas à m'agripper aux murs pour me relever. Je mets un temps fou à retrouver ma stabilité sur mes jambes, mes larmes ne me rendant pas service. J'arrête le jet d'eau et sors machinalement de la douche. Mes pieds me portent jusqu'au miroir de la salle de bain qui me renvoie une image choquante. 

Je ne me reconnais pas. Mon teint est blafard, mes yeux injectés de sang et mes lèvres bleues. Cette vision stoppe instantanément mes sanglots et je m'imagine en train de cauchemarder. La réalité ne peut pas être si cruelle, c'est impossible. Depuis toute petite, je me conforme aux désirs des autres pour être acceptée, j'agis toujours comme on l'attend de moi et non comme j'aimerais le faire. Je contrôle toujours tout, je prévois toujours tout et je mets tout en œuvre pour atteindre les objectifs qu'on a décidés pour moi. Je ne suis jamais sortie du droit chemin, je ne me suis jamais rebellée. Je ne mérite pas de subir une quelconque sanction. Alors la seule explication à toute cette situation, c'est que je suis en plein cauchemar. 

Machinalement, je prends une serviette de bain et me sèche. À travers le tumulte de mes pensées, je crois deviner de nouveaux coups et de nouveaux cris mais je ne réagis pas. Je me dirige maintenant vers ma valise, posée sur le meuble attenant au plan vasque de cette grande salle de bain et prends mécaniquement une poignée de vêtements que j'enfile sans réfléchir. Le petit short de pyjama et le pull fin à manches longues que je porte ne me réchauffent pas mais je ne m'en plains pas. Le froid exalte ma souffrance physique, faisant ainsi diversion. 

Quand j'ouvre la porte de la salle de bain pour rejoindre ma chambre, des bruits tonitruants me clouent sur place. Quelqu'un frappe et hurle si fort derrière la porte que mon estomac se tord de douleur et de peur. Mais je reconnais cette voix et je n'arrive pas à savoir si j'ai envie de lui faire face. 

-Candice, ouvrez bon sang !!!! 

Un nouveau coup porté contre le bois de ma porte me fait sursauter. Je ne peux pas ouvrir. Il va me faire mal avec ses mots. 

Sans vraiment me rendre compte de ce que je suis en train de faire, mon corps prend l'initiative de se laisser glisser par terre et j'attends. Je ne sais pas ce que j'attends. Sûrement qu'il parte, peut-être qu'il reste. Un lourd silence envahit la pièce et je tremble toujours de froid, de peur et de dégoût. J'ai mal dans chaque millimètre carré de mon cœur et de ma chair. 

Soudain, j'entends un petit bruit semblable à une tête qui s'écrase contre la porte puis ces mots, lancés dans un soupir emplit de douleur: 

-Candice... s'il vous plaît... dites-moi seulement si vous allez bien... 

Chaque syllabe me heurte de plein fouet avec une telle douceur que ça en devient déchirant. Il ne souffre assurément pas autant que moi mais sa peine me vrille le cœur. Elle me ramène à la vie. Je n'ai pas d'autre choix que de me lever, de briser la distance qui me sépare de lui et d'ouvrir cette porte. 

Au moment où ma main abaisse la poignée, j'ai mal, j'ai peur, je me noie mais je ne me débats plus. Je me laisse simplement engloutir par la noirceur des ténèbres qui semblent m'attendre. 

Ethan pousse vigoureusement la porte afin de m'apercevoir au plus vite et lorsque ses yeux se verrouillent aux miens, ses pupilles s'écarquillent de stupeur. Pourtant, il ne bouge pas. Il me laisse l'accueillir à mon rythme. Mon cœur enseveli sous une montagne de gravas semble essayer de se frayer à nouveau un chemin vers la lumière. 

Au bout de très longues secondes d'hésitation, je me décale légèrement d'un pas. Il comprend tout de suite mon geste et souffle longuement, très longuement, en signe de soulagement. Ethan fait un pas, entre dans ma chambre et se poste face à moi. Cet homme immense me paraît en cet instant encore plus grand que d'habitude. Il me surplombe et j'ai l'impression d'être recroquevillée à l'intérieur de moi-même quand ses yeux protecteurs s'installent durablement sur mon visage. Ses iris tourmentés noircis de colère et d'anxiété fouillent longuement mon visage puis descendent sur mon corps frêle. Il me scanne pour essayer de trouver les réponses à ses questions mais il ne prononce toujours pas un mot. J'ai l'impression qu'il attend que je le rassure mais que pourrais-je bien lui dire ? Ma tête est en train de se désintégrer et j'ai mal. Tellement mal. 

            

              

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